L’anthropologue Kristóf Szombati explique pourquoi seule une « alliance populaire » rassemblant la gauche, les libéraux et le Jobbik peut venir à bout du régime de Viktor Orbán en Hongrie. Il décrypte aussi la recomposition de l’opposition, au sein de laquelle la gauche risque de céder le pas aux libéraux.
Le 13 octobre dernier, les partis d’opposition ont enfin réussi à briser le mythe de l’invincibilité du parti au pouvoir, le Fidesz de Viktor Orbán. Neuf ans après avoir perdu le contrôle de la capitale, l’opposition réunie – composée des sociaux-libéraux, des sociaux-démocrates et des verts de gauche – a remporté une victoire décisive à Budapest. Ailleurs dans le pays, les partis d’opposition ont uni leurs forces avec celles de l’ancien parti extrémiste et raciste Jobbik, et pris le contrôle de 10 des 23 plus grandes villes de Hongrie. L’avancée de l’opposition a toutefois été stoppée dans d’autres villes importantes et le Fidesz a renforcé sa domination sur les zones rurales.
Alors que les journaux de gauche, en Hongrie comme dans beaucoup d’autres pays européens, ont traité la nouvelle comme une étape politique majeure marquant la fin de l’hégémonie du Fidesz et offrant la perspective d’une alternative démocratique, des journalistes et des experts de gauche, en France notamment, s’interrogent : les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux ont-ils bien fait de s’allier à un parti qui a appartenu à l’extrême droite ?
L’intérêt de la gauche française pour une alliance électorale aussi peu orthodoxe est parfaitement compréhensible, étant donné le poids du Rassemblement national (RN) et la faiblesse structurelle d’une gauche fragmentée. Dans ce qui suit, je ferai néanmoins valoir que les partis libéraux et sociaux-démocrates hongrois ont fait le bon choix en décidant de coopérer avec le Jobbik. D’un côté, je soutiens que le Jobbik d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier (ni ne peut être assimilé au RN) et que de l’autre, le Jobbik perd en influence.
Fasciste un jour, fasciste toujours ?
En tant qu’anthropologue cherchant à comprendre l’émergence d’un contre-mouvement raciste, anti-libéral et « anti-cosmopolite » (sic) dans la Hongrie rurale et les efforts (couronnés de succès) du Fidesz pour le domestiquer et le phagocyter après son arrivée au pouvoir en 2010, j’ai pu observer de près la transformation politique du Jobbik. Son anti-tsiganisme acharné lui a permis de trouver un soutien important dans les régions en déprise industrielle et agricole du Nord et de l’Est du pays, mais cette stratégie a rencontré beaucoup moins de succès en dehors de ces régions périphériques.
L’attrait pour cette politique brutale et raciste a également diminué après le lancement par le Fidesz d’un programme de travail très populaire en 2012. Tandis que les travailleurs pauvres étaient heureux de voir les « assistés » forcés à effectuer du travail communautaire, les chômeurs de longue durée étaient, eux, soulagés de percevoir un revenu stable, bien que très maigre. Ne pouvant que constater la perte de popularité du racisme, les dirigeants du Jobbik ont décidé de se déradicaliser, à l’instar de Marine Le Pen et d’autres dirigeants européens d’extrême-droite.
Sans entrer dans une analyse comparative du RN/FN et du Jobbik, je peux affirmer que le Jobbik de Gábor Vona a mené une déradicalisation plus profonde que le FN (puis RN) de Marine Le Pen. Il est vrai que cette évolution a été largement dictée par des contraintes externes, à commencer par la mise en œuvre de mesures de droite radicales par le gouvernement Fidesz, dans le but de limiter la marge de manœuvre du Jobbik (réhabilitation partielle du dirigeant de l’entre-deux guerres Miklós Horthy (ici et là), octroi de la citoyenneté hongroise (ici) et du droit de vote pour les Magyars d’outre-frontière, etc.).
La transformation du parti d’extrême-droite s’est manifestée au niveau de son programme, de son style et de sa stratégie électorale.
Sur le plan programmatique, le changement le plus spectaculaire a été la suppression de l’antisémitisme et de l’anti-tsiganisme dans sa rhétorique, obstacles majeurs à l’expansion du parti dans l’électorat hongrois. Sous l’impulsion de Gábor Vona, le parti a cessé petit à petit de s’en prendre aux minorités (privilégiées ou défavorisées) pour cibler les dirigeants et les oligarques du Fidesz, accusés de prospérer sur le dos des travailleurs hongrois. Certes, les éléments racistes n’ont pas été complètement éradiqués du parti et Gábor Vona n’a présenté que des demi-excuses pour la rhétorique et les campagnes antisémites et anti-tsiganes du parti.
Le parti n’a pas non plus renoncé à ses principes de contrôle des communautés roms. Cela a été clairement visible à Ózd, une ville en crise du nord du pays, où le nouveau maire Jobbik a poursuivi la politique antérieure du Fidesz consistant à favoriser la population non rom et à contrôler les pauvres, majoritairement roms. Les dirigeants du parti ont cependant mené un effort concerté pour marginaliser les voix extrémistes et les pousser hors du parti, et ils ont indiqué sans ambiguïté que la parole et les initiatives ouvertement racistes ne seraient plus tolérées. Menée de manière assez cohérente, cette stratégie a indéniablement contribué à la diminution progressive du rejet du Jobbik de la part des électeurs et des intellectuels libéraux et de gauche.
Le Jobbik s’est efforcé de se distinguer des autres partis d’opposition – qui ont tous épousé un anti-orbánisme assez primaire et superficiel – en conservant son nationalisme et son conservatisme (y compris l’homophobie), et surtout comme le parti le plus courageux et qui n’avait pas peur de défier le Fidesz. Les tentatives du Jobbik de présenter le Fidesz comme un traître à la cause nationaliste l’ont poussé à adopter un style agressif, surfant sur les scandales et cherchant à décrédibiliser et à délégitimer le premier ministre Orbán. Au cours de la période cruciale 2014-2018, le Jobbik a pu jouir d’un gros avantage sur ses concurrents de l’opposition : le soutien de Lajos Simicska, le plus grand oligarque du pays, l’ancien ami et mentor d’Orbán. Profitant de son empire médiatique, le Jobbik a organisé une impitoyable campagne d’affichage ciblant les dirigeants du Fidesz, accusés d’être des « gangsters » et des « voleurs ».
Avec l’aide de M. Simicska, M. Vona pensait pouvoir faire du Jobbik la force hégémonique de l’opposition et renverser le Fidesz en 2018. On ne saura jamais si les choses se seraient déroulées différemment, mais la crise migratoire qui a éclaté en 2015 a permis au Fidesz d’attiser les sentiments anti-musulmans et anti-réfugiés, et de se présenter comme le garant de la sécurité des Hongrois et ainsi de relever le défi lancé par Jobbik. Aux élections législatives d’avril 2018, Jobbik est arrivé en deuxième position (avec un peu moins de 20 % des voix), loin derrière le Fidesz, qui a obtenu une troisième majorité constitutionnelle des deux tiers. La stratégie de Gábor Vona ayant clairement échoué, le chef du parti a assumé ses responsabilités et quitté la vie politique partisane.
L’ampleur inattendue de la victoire du Fidesz a provoqué une onde de choc dans toute l’opposition et a immédiatement plongé ses principaux partis dans une crise profonde. Le Jobbik s’est trouvé dans une situation particulièrement délicate : son chef avait démissionné et ses finances étaient à sec après une campagne coûteuse et une amende sans précédent infligée par l’Autorité fiscale (contrôlée par le Fidesz). Pire encore, non seulement le parti avait échoué dans son objectif stratégique d’ébranler le Fidesz, mais il avait aussi été dépassé par les sociaux-libéraux et les sociaux-démocrates (qui ont obtenu ensemble davantage de sièges au Parlement que le Jobbik). Un débat interne s’ensuivit entre les partisans d’un retour à l’extrémisme raciste et les modérés qui souhaitaient poursuivre le processus de déradicalisation en vue de forger une alliance avec les autres partis de l’opposition.
La direction du parti soutenait la seconde option, en partant du principe que seule une coopération aussi large que possible pouvait permettre de défier efficacement un parti autocratique qui, au pouvoir, disposait de fonds presque illimités, d’un vaste empire médiatique et qui n’hésitait pas à mobiliser les moyens de l’État pour mettre au pas ses rivaux. La ligne modérée l’a emporté et les extrémistes ont quitté le parti pour créer le parti raciste « Notre patrie » (il a obtenu 3 % des voix aux élections européennes).
Hongrie : « Pas pour le Jobbik, mais contre le parti unique ! »
Un mariage de nécessité
Ce bref aperçu des manœuvres du Jobbik sur la période 2014-2018 et du choc des élections de 2018 était nécessaire pour montrer en quoi un accord électoral avec le Jobbik pour les élections municipales de 2019 est devenu une option non seulement réaliste mais aussi souhaitable pour ses rivaux de l’opposition, y compris pour ceux qui avaient rejeté cette possibilité : le Parti socialiste (MSzP) et la Coalition démocratique (DK). Un tel accord aurait été impensable avant les dernières élections législatives, principalement pour ces deux raisons : les libéraux et sociaux-démocrates pensaient encore pouvoir vaincre le Fidesz sans l’aide du Jobbik ; et le Jobbik d’autre part n’avait pas renoncé à devenir la principale force de l’opposition. La majorité constitutionnelle des deux-tiers décrochée par le Fidesz a douché leurs espoirs et clairement montré que le parti au pouvoir ne pourrait être battu que par une coalition des principaux partis de l’opposition.
Trois autres événements ont pavé la voie à la formation d’une large alliance.
L’évolution de l’opinion publique libérale et de gauche – Jusqu’en 2015 environ, pour les intellectuels et les militants, le Jobbik restait infréquentable, car même s’il avait mis le racisme en sourdine, ses engagements sur les questions démocratiques restaient fragiles et le parti restait désespérément anti-européen. La propagande anti-réfugiés et anti-Soros menée par le Fidesz, conjuguée à la mise en sourdine du discours anti-européen du Jobbik et à ses appels à restaurer les institutions démocratiques, ont changé la donne. Il devenait évident que le Fidesz et le Jobbik échangeaient leurs identités et leurs positions : le premier était devenu un parti de droite radicale et le second un parti nationaliste et conservateur. Cela s’est traduit par le renforcement des demandes – émanant notamment des rangs des jeunes intellectuels et militants libéraux et verts – pour une réévaluation de la stratégie politique et pour une certaine forme de coopération avec le Jobbik.
La mobilisation contre la loi « esclavagiste » – La mobilisation populaire contre le projet de réforme du Code du travail a uni toute l’opposition l’hiver dernier et lui a offert une plate-forme idéologique commune (la défense des droits sociaux) et un discours (« le parti au pouvoir cherche à asservir les travailleurs hongrois ») autour desquelles un futur agenda politique pouvait être articulé. Bien que le mouvement se soit essoufflé et que la « loi esclavagiste » ait été promulguée, les manifestations unifiant syndicats, étudiants et représentants politiques de tous bords ont montré que l’ensemble de l’opposition pouvait s’unir si nécessaire. Retrouver ici l’ensemble de nos articles traitant de la “loi esclavagiste”.
Le déclin du Jobbik – Enfin, le décrochage inattendu du Jobbik aux élections européennes de mai 2019 (6 %) et l’évolution du rapport de force dans l’opposition qui a suivi ont évacué les craintes que le Jobbik ne mette le grappin sur l’ensemble de l’opposition en cas de coopération. Dans l’hypothèse de négociations en vue des élections municipales, le soutien de l’électorat du Jobbik serait nécessaire et ses candidats devraient être soutenus dans quelques villes de province où le parti reste la principale force d’opposition, mais le parti ne serait pas en mesure de prétendre aux villes les plus importantes.
Tout cela a conduit à la négociation d’un ensemble complexe d’arrangements électoraux, formels et informels, impliquant tous les principaux partis d’opposition, dans une centaine de villes. Ils prenaient en compte le rapport de force politique dans chaque circonscription et les projections concernant la volonté/rejet des électeurs à soutenir tel ou tel candidat. L’objectif stratégique était de présenter un candidat commun dans chaque circonscription où l’opposition pouvait espérer battre le Fidesz (sur la base des résultats des élections précédentes). Ces candidats ont été choisis lors de négociations secrètes, à l’exception notable de l’organisation d’une primaire pour désigner le candidat commun pour la mairie de Budapest, remportée par Gergely Karácsony, et dans le neuvième arrondissement de la capitale.
Rétrospectivement, ces arrangements locaux se sont révélés plus bénéfiques pour les sociaux-démocrates et les libéraux que pour le Jobbik. Grâce au soutien des sympathisants du Jobbik, les candidats libéraux et de gauche ont vraisemblablement gagné dans quelques quartiers de la capitale, ainsi que dans plusieurs grandes villes (telles que Miskolc, quatrième plus grande ville de Hongrie). Le Jobbik, de son côté, n’a enregistré qu’un gain modeste. Il a conservé le contrôle d’Ózd et a remporté les mairies de deux villes de taille moyenne : Eger et Dunaújváros. Le parti a également maintenu sa présence dans les petites villes et villages où la gauche est complètement absente et où les partis libéraux sont très faibles. Cela semble garantir la survie du parti dans un avenir proche.
Mais le Jobbik a quasiment disparu de Budapest et sa présence est très faible dans les grandes villes. (Aux élections européennes, le score du Jobbik a chuté à 5-9% dans toutes les villes, à l’exception de Dunaújváros et de Miskolc, où il a atteint 11-12%). Bien que Ózd, Eger et Dunaújváros ne sont pas des villes sans importance, il est difficile d’imaginer le parti pouvoir en faire des vitrines ou des bases pour reconstruire son organisation nationale. A la différence de Budapest, où Gergely Karácsony obtient l’opportunité d’articuler une alternative politique de gauche.
Le véritable défi qui attend la gauche
Le véritable enseignement de cette élection, qui a échappé à la plupart des commentateurs étrangers, est la résurgence en Hongrie de courants libéraux pro-européens. Les élections municipales ont confirmé le déclin structurel du Parti socialiste qui, même s’il s’en est très bien tiré à Budapest, n’a réalisé que des scores à un chiffre dans les zones rurales. Elles ont également montré que deux formations sociales-libérales rivales – la Coalition démocratique (DK), issue d’une scission du Parti socialiste en 2011, et le mouvement Momentum créé en 2017 – sont en passe de prendre le contrôle de l’opposition.
Après une décennie de divergence par rapport aux tendances européennes, la politique hongroise semble se réaligner sur celle de la région, en particulier de la Pologne, où s’affrontent un bloc souverainiste, conservateur et autoritaire et un bloc démocratique, libéral et pro-européen. Sans entrer ici dans une analyse plus poussée, mon propos est simplement de dire que, à l’heure actuelle et dans un avenir proche, la survie de la gauche en tant que formation politique n’est pas menacée par Jobbik, mais par un libéralisme regonflé à bloc et qui pourrait façonner l’agenda du nouveau maire de Budapest et de l’opposition entière. La gauche hongroise se trouve donc aujourd’hui dans une situation qui ressemble à celle de la gauche polonaise il y a quelques années, avant la formation des partis Razem et Wiosna.
Vers une « alliance populaire » contre le Fidesz
Les événements qui se sont produits lors de la dernière législature ont clairement montré que la véritable menace pour la démocratie en Hongrie ne réside plus dans Jobbik, mais dans le parti au pouvoir, le Fidesz. Dans cet article, je n’ai fait qu’esquisser la transformation du Jobbik, d’un parti raciste qui se démarquait des partis d’opposition rivaux et du Fidesz en un parti nationaliste et conservateur prêt à coopérer avec d’autres partis de l’opposition. Bien entendu, d’autres analystes ont beaucoup insisté ces dernières années sur la dérive du Fidesz vers la droite radicale : avec l’adoption d’un discours anti-migrants, de l’islamophobie et plus récemment de l’homophobie ; ainsi que la concentration du pouvoir politique dans les mains d’une poignée de personnes et son instrumentalisation au service des détenteurs des capitaux nationaux et étrangers. (On a beaucoup moins parlé des protections sociales et des récompenses symboliques offertes par le Fidesz à la classe moyenne inférieure, qui contribuent pourtant grandement à l’assise du parti – mais c’est un autre sujet). Cela me laisse la tâche d’en tirer la conclusion évidente, celle à laquelle sont arrivés les chefs de l’opposition hongroise et que de nombreux commentateurs ont également reconnue, mais préfèrent ne pas dire à haute voix.
Avec les contraintes imposées par le régime électoral et le recours du Fidesz à des stratégies répressives et clientélistes, les opposants à l’autoritarisme n’ont pas d’autre choix que de se rassembler sur une vaste plate-forme pro-démocratie. Le but est de restaurer une république pluraliste qui garantit aux citoyens leurs libertés individuelles et leurs droits sociaux et politiques ; c’est-à-dire un régime politique gouverné par des institutions démocratiquement responsables où la compétition politique se déroule dans un cadre électoral libre et équitable. Après avoir atteint cet objectif, l’alliance des forces social-démocrates, social-libérales, vertes et conservatrices laissera la place au retour du jeu politique dans un cadre républicain.
Le Fidesz ayant inscrit ses politiques économiques et sociales dans la constitution (ou par des lois cardinales), cette alliance doit être suffisamment large pour former une majorité constitutionnelle de deux-tiers, seule capable de modifier les lois fondamentales. Cela nécessite la coopération de partis qui ont toujours promu une vision démocratique avec un ancien parti d’extrême-droite, qui reste entâché par son passé raciste, mais qui s’est engagé de façon crédible dans un processus de déradicalisation et qui soutient le rétablissement des règles démocratiques.
« La tache de l’opposition n’est pas moindre que de proposer une alternative au capitalisme autoritaire que le Fidesz a instauré »
L’agenda, le style et les personnalités de cette alliance en devenir dépendent avant tout du mandat de Gergely Karácsony à la mairie de Budapest (qui est lui-même objet de débat entre sociaux-démocrates, libéraux et verts) et du rapport de forces entre les partis de l’opposition au niveau national. Cette alliance qui émerge doit surmonter bien des obstacles s’il veut défier le Fidesz : il devra dépasser le vide de l’anti-orbánisme, leur dénominateur idéologique commun. Il devra renouer un dialogue avec les circonscriptions rurales qui sont passées sous le contrôle du Fidesz et dont la survie dépend pour beaucoup des programmes et des services de l’État. Jobbik aura un rôle à jouer dans la lutte contre le Fidesz dans les petites villes, mais il est peu probable qu’il façonne le programme et l’identité politiques de l’opposition, du fait de sa disparition de Budapest et d’une organisation nationale affaiblie.
La tache de l’opposition n’est pas moindre que de proposer une alternative au capitalisme autoritaire que le Fidesz a instauré pour faire face à la crise duelle d’une économie dominée par les intérêts des entreprises multinationales et d’une démocratie libérale qui a perdu une partie de son autorité. Cette tâche se distingue de celle qui s’est présenté aux forces démocratiques (les partis de gauches inclus) dans l’entre-deux guerres. Les partis autoritaires qui ont accédé au pouvoir en Italie, Allemagne et d’autres pays (comme la Hongrie) ont laissé soit aucun, soit très peu de place á l’opposition politique. Alors que la politique menée par Mussolini et Hitler avait certainement une dimension populiste, elle était dominée par un totalitarisme qui est éloigné de MM. Orbán et Kaczyński. Cependant, il y a quand même une similitude importante entre les pouvoirs autoritaires de l’entre-deux-guerres et d’aujourd’hui: l’emprise croissante qu’exerce le parti au pouvoir sur l’appareil d’État, que l’historien américain Robert Paxton a souligné dans le cas de l’Allemagne nazie.
Le Fidesz ne s’est pas contenté d’utiliser la législation pour biaiser le jeu politique. Il faudrait plus de place pour déchiffrer les mécanismes à travers lesquels le Fidesz influence les partis d’opposition, mais l’exemple de la sévère amende infligée au Jobbik par la Cour des comptes montre lui seul que le parti au pouvoir n’hésite pas à utiliser la bureaucratie de l’État pour maîtriser ses rivaux. Face à cet autoritarisme alarmant, une vaste alliance populaire des forces politique majeures doit convaincre l’opinion publique de la nécessité de s’opposer à toute nouvelle dérive autoritaire, mettant en perspective la restauration des fondements culturels, économiques et politiques d’un ordre social démocratique. J’utilise le mot « populaire » pour désigner précisément la construction d’un bloc de pouvoir d’opposition viable sur le plan électoral, comme la seule stratégie capable d’entraver l’avancée de l’autoritarisme, lorsque l’autonomie des principales administrations de l’Etat a été réduite au point que celles-ci ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions normatives assignées par la Constitution.
Les dernières élections municipales ont confirmé la viabilité de cette stratégie. Avant les élections, M. Orbán avait exprimé son souhait d’introduire des amendements importants à la Constitution (rédigée par son seul parti et entrée en vigueur en 2012) et ses lieutenants avaient fait savoir que cela dépendrait des résultats des élections municipales. La proposition – quelque peu surprenante – du premier ministre de travailler de façon constructive avec le maire Gergely Karácsony après sa victoire à Budapest montre que ce succès de l’opposition a eu un effet modérateur sur le bloc au pouvoir. Le temps nous dira si l’opposition peut tirer profit de cette nouvelle donne pour consolider ses alliances émergentes, produire une vision commune convaincante et la mettre en œuvre dans les villes dont elle vient de prendre le contrôle.