C’est peu dire que l’arrivée de Momentum sur la scène politique hongroise l’année dernière a piqué au vif l’intérêt des médias hongrois et étrangers. Mais le « En Marche » hongrois peine à décoller depuis et s’est montré peu coopératif avec les autres partis de l’opposition. Entretien avec Katalin Cseh, une des fondatrices du parti, et candidate aux législatives à Budapest.

Le mouvement Momentum s’est fait connaître à l’hiver 2016/2017 avec la campagne victorieuse Nolimpia contre l’organisation des Jeux Olympiques à Budapest. Comment est né le mouvement ? D’où viennent ses fondateurs ?
En fait, en 2015, j’ai reçu un coup de téléphone de la part d’un ami, et ancien camarade de classe, qui m’expliquait vouloir fonder un parti, pour apporter des changements en Hongrie, et renvoyer Viktor Orbán. Cet ami c’était András Fekete-Györ, et au début je ne le prenais pas au sérieux vu l’ampleur de la tâche. Mais je l’ai rencontré, et nous avons tous les deux dressé le même constat : aucun des partis politiques actuels en Hongrie ne représente les intérêts de notre génération. Alors nous avons décidé de fonder un parti plus européen et plus consensuel. Ce qui est dangereux en Hongrie, c’est que la société est très divisée, et qu’il n’y a rien entre la droite et la gauche sur l’échiquier politique. Nous avons donc voulu combler ce manque en créant un parti centriste. Pendant deux ans, nous avons travaillé à la création de Momentum, et en janvier 2017, nous nous sommes affichés en public avec notre campagne contre l’organisation des Jeux Olympiques 2024 à Budapest. Nous avons collecté plus de 250 000 signatures à Budapest, et ensuite le gouvernement a renoncé à ce projet. Il s’agit de notre plus grande victoire à ce jour, et nous sommes fiers d’avoir pu alerter les Hongrois sur les risques de corruption dans ce pays. Désormais, nous participons à nos premières élections législatives et nous espérons rentrer au Parlement.
Ne craignez-vous pas que Momentum reste pour beaucoup de Hongrois, le parti de Nolimpia et non une réelle alternative ? Que répondez-vous à ceux qui vous ont taxé d’opportunisme par rapport à la campagne contre les Jeux ?
Bien sûr nous sommes fiers de cette campagne, car il s’agit de notre premier véritable succès, mais nous espérons pouvoir avoir un impact dans d’autres domaines à l’avenir. Cependant, je crois que la campagne « Nolimpia » est aussi le plus grand succès de l’opposition depuis qu’Orbán est au pouvoir. Après ce n’est pas totalement illégitime de parler d’opportunisme, même si finalement il est normal d’agir lorsqu’une cause nous tient à cœur. Si l’on regarde les récents championnats du monde de natation à Budapest, leur coût est colossal. J’utilise souvent cette comparaison, mais si vous nous pouvez pas payer votre loyer, n’achetez pas une nouvelle cuisine pour votre appartement. Et cela représente plutôt bien à ce qui allait se passer avec les Jeux Olympiques.
« En marche est une source d’inspiration pour nous »
Momentum est perçu comme le En Marche hongrois. Quelle est la nature exacte de vos relations avec le parti d’Emmanuel Macron (que vous avez d’ailleurs rencontré par le passé) ?
J’ai participé à cette rencontre en France, et En marche est une source d’inspiration pour nous, car Emmanuel Macron a réussi à établir ce mouvement très rapidement, et En marche symbolise une nouvelle façon de faire de la politique, plus rationnelle et plus pragmatique. Par ailleurs, Momentum et En Marche s’engagent en faveur d’une véritable politique pro-européenne dans leurs pays. Nous travaillons avec eux, et avec leurs représentants à Budapest, et nous apprenons beaucoup. Nos partis restent quand-même différents. En Marche est un parti centré autour d’un leader très charismatique, qui a été Ministre, alors que Momentum est un petit parti, financé par de faibles donations, et nos membres sont pour la plupart tous jeunes ou étudiants.
Comme En Marche, Momentum ne reconnait pas le clivage gauche-droite et se démarque par sa jeunesse. Cette mise en avant de la jeunesse tant par vos candidats que dans votre programme n’est-elle pas un frein à votre développement dans un pays qui compte plus de « vieux » que de « jeunes » ?
Bien sûr les fondateurs de Momentum représentent la jeune génération, mais heureusement nous avons des membres de tous les âges. Nous avons par exemple un candidat qui a soixante ans. Cette nouvelle génération politique que nous présentons dans notre slogan (la génération Momentum) ne se définit pas par son âge mais par sa mentalité, sa nouvelle façon de faire de la politique, et peu importe que vous ayez soixante ans si vous partager cette mentalité et nos valeurs.
Justement, quel est le profil de vos partisans ?
La plupart de nos partisans ont soutenu d’autres partis par le passé, et ont l’espoir avec Momentum d’enfin changer les choses. Les autres sont les déçus du système, qui en ont marre des promesses non-tenues, de la corruption et qui veulent un véritable débat, et une politique pro-européenne. D’ailleurs, l’on évoque beaucoup l’hypothèse d’une grande coalition anti-Fidesz, mais déjà au sein même de notre parti, nos membres viennent de l’ensemble de l’échiquier politique. Certains sont des anciens partisans du Jobbik, et d’autres d’anciens socialistes.
« S Momentum accepte une coalition avec le Jobbik et LMP […] nous nous montrerons très fermes sur les conditions […] à propos de valeurs que nous estimons fondamentales telles que la protection des droits de l’homme et la lutte contre toute forme de ségrégation »
A ce propos, le Jobbik nous a confié être prêt à former une coalition avec vous et LMP au parlement après les élections. Qu’en est-il de votre côté ? Quid d’un éventuel retrait de candidats au profit d’autres partis si cela peut permettre de battre le Fidesz ?
En fait, nous venons juste de retirer trois candidats, ce qui témoigne de notre bonne volonté. Nous pensons que tous les partis d’opposition doivent faire un effort, et pas seulement Momentum, puisque nous pesons environ 5 %, alors que le Jobbik et MSZP représentent potentiellement 20 % des votes chacun. Ils doivent donc trouver un compromis. En retirant trois candidats, sans rien demander en échange, nous avons fait un geste ! On espère en retour que les autres partis parviennent à un accord, même si pour le moment aucun effort n’a été fait de leur côté. Momentum ne sera pas l’instigateur d’un véritable changement de gouvernement, mais en coopérant nous avons de meilleures chances de gagner. Concernant une éventuelle coalition avec le Jobbik et LMP, la décision appartient à notre Congrès. Personnellement, je crois que si Momentum accepte, nous nous montrerons très fermes sur les conditions, notamment envers le Jobbik à propos des valeurs que nous estimons fondamentales, telles que la protection des droits de l’homme et la lutte contre toute forme de ségrégation. Mais nous sommes ouverts à toutes discussions.
« Viktor Orbán a abusé de son pouvoir et a créé une sorte d’autocratie »
Quel constat faites-vous de la situation actuelle en Hongrie ? Quelles sont les critiques que vous adressez à Orbán ?
Ces dernières années, Viktor Orbán a abusé de son pouvoir, et a créé une sorte d’autocratie. Le résultat est une division entre ceux qui ont des opportunités et ceux qui n’en ont pas. Il ne faut pas non plus oublier la pauvreté croissante, ce qui est inacceptable dans un pays membre de l’Union Européenne, où la logique est plutôt la convergence vers le haut. L’argent public a été mal utilisé. Depuis vingt ans, la corruption est de plus en plus frappante et visible, et le contrôle des médias se fait de plus en plus pressant. Les partis d’opposition au Parlement ont reçu des millions de forints, et n’ont rien fait pour s’opposer au gouvernement et améliorer la situation.
« Notre programme repose sur trois piliers : la solidarité, la méritocratie, et la restauration d’une image positive de la nation »
Quelles sont les mesures phares proposées par Momentum ?
Notre programme repose sur trois piliers : la solidarité, la méritocratie, et la restauration d’une image positive de la nation. Cela signifie que l’on souhaite que personne ne vive en dessous de certains standards et que tout le monde puisse avoir la chance de réussir. Aussi nous croyons aux vertus du marché libre, de la libre concurrence, et de la transparence. Nous souhaitons combattre la corruption par tous les moyens, et montrer que l’on peut être fier d’être hongrois sans être un extrémiste. Par exemple, si quelqu’un veut mettre un drapeau sur son balcon, pour nous cela ne doit pas être un problème. Enfin, nous sommes véritablement pro-européens, et nous voulons favoriser le rattrapage des autres Etats européens par la Hongrie.
« Le gouvernement devrait réfléchir à ce qu’il peut et doit faire pour la jeunesse et non les jeunes à ce qu’ils devraient faire pour le gouvernement »
Le Jobbik a un discours solide sur l’avenir des jeunes en Hongrie. Quant à Viktor Orbán, il a exhorté – dans un discours ultranationaliste le 15 mars – les jeunes à lutter pour leur patrie. Comment vous réagissez à cet appel au patriotisme ?
Je ne me souvenais plus vraiment de cet appel, à cause des nombreux autres passages scandaleux de son discours, comme son avertissement lancé contre les partis d’opposition, qui devraient avoir peur d’éventuels représailles… A propos de la jeunesse, le gouvernement devrait combattre pour que les jeunes restent en Hongrie, pour qu’ils se sentent chez eux ici, et qu’ils aient des opportunités. Beaucoup de jeunes quittent le pays au point que Londres est devenue la deuxième ville hongroise en termes de population. Donc le gouvernement devrait réfléchir à ce qu’il peut et doit faire pour eux et non les jeunes à ce qu’ils devraient faire pour le gouvernement.
Pourquoi les jeunes désertent-ils le pays en grand nombre selon vous et comment les convaincre de revenir au bercail ?
J’ai aussi vécu à l’étranger, et je pense qu’il n’y a pas de problème à ce niveau, si l’on a une bonne opportunité à l’étranger, où l’on tombe amoureux de quelqu’un. Le problème est qu’ici les jeunes partent car ils n’ont pas d’autre choix. Certains jeunes diplômés sont obligés d’aller travailler au Starbuck’s. Les élites politiques et le gouvernement devraient trouver des alternatives à ces personnes, peut-être de meilleurs emplois, mais aussi les aider à trouver un appartement, créer davantage de logements pour les étudiants, soutenir les jeunes entrepreneurs, etc… Il reste beaucoup à faire dans ce domaine.
Comment se positionne Momentum par rapport aux récents mouvements lycéens/étudiants ? Espérez-vous un mouvement de contestation citoyenne tel qu’on l’a vu au printemps 2017…ou même plus ?
Ce qu’ils font est absolument incroyable. Momentum a discuté avec eux et ils veulent rester indépendants, ce que nous comprenons parfaitement. J’admire leurs efforts pour exprimer leurs opinions, ils représentent le futur de la Hongrie. J’espère qu’ils réussiront car l’avenir dépend de l’éducation, même si malheureusement – comme Momentum – ils ne sont pas toujours pris au sérieux comme ils devraient l’être.