Un nouveau parti politique est né en Pologne. Social, libéral, écologiste et anti-clérical, « Wiosna » veut bousculer les clivages traditionnels et s’imposer comme la première force d’opposition face au PiS. Son chef de file Robert Biedroń a en tout cas tenu à marquer les esprits lors de la première convention nationale du mouvement, hier à Varsovie.
« Il y a vingt jours, à Gdańsk, une grande tragédie s’est produite. Pour des millions d’entre nous, le temps s’est suspendu un instant. Le maire estimé d’une ville n’est plus, car il n’avait pas peur d’aller à contre-courant. Ces dernières années, il s’est entièrement dévoué à construire des ponts entre les communautés ». C’est sous le très symbolique parrainage posthume de Paweł Adamowicz – assassiné par un déséquilibré le 13 janvier dernier – que Robert Biedroń a lancé hier son nouveau parti politique « Wiosna » (« Printemps ») devant 6000 de ses partisans à Varsovie.
Le populaire ancien maire de Słupsk, premier dirigeant politique polonais ouvertement homosexuel, a voulu mettre les petits plats dans les grands, en se livrant à un véritable one-man-show. Sur les airs de Sztywny Pal Azji, groupe polonais phare des années 1990, il a égrainé ses propositions sur la séparation de l’Église et de l’État, la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse, ou encore la sortie de la Pologne du charbon d’ici 2035. Une façon radicale de marquer sa différence avec le PiS au pouvoir, dont Robert Biedroń a critiqué la « bunkérisation », mais aussi de se frayer un chemin parmi les partis d’opposition, renvoyant son principal représentant – la Plateforme civique (PO) – au rôle de faire-valoir du pouvoir.
Robert Biedroń a appelé à mettre fin à la « guerre polono-polonaise » dans lequel serait enfermé le pays depuis 2007 et les alternances qui se sont succédé entre les deux grands partis conservateurs. Un positionnement qui le place de fait très à gauche sur l’échiquier politique polonais, mais qui se veut davantage comme un alignement de la Pologne sur les standards des sociétés ouest-européennes, tel que l’analyse la journaliste Agata Szczęśniak dans OKO.press. « Nous sommes en 2019 », a clamé dans son discours le leader de Wiosna, dans une tentative de ringardiser tous ses concurrents, à la manière du premier ministre canadien Justin Trudeau lors de sa campagne victorieuse en 2015.
Dans un post publié sur sa page Facebook, l’historienne Katarzyna Chimiak a salué le choix de « Wiosna » comme nom du mouvement, « qui résonne bien en Europe de l’Est ». « A Saint-Pétersbourg, le « printemps » est le nom d’un mouvement de jeunesse ; en Biélorussie le nom d’une organisation de protection des droits de l’Homme ; Boris Nemtsov avait organisé une « marche du printemps » avant d’être assassiné », a-t-elle ainsi écrit, oubliant sans doute de mentionner le Printemps de Prague de 1968. Problème : le « Printemps européen » (Europejska wiosna) est aussi le nom de la liste menée par le petit parti de gauche Razem pour les élections européennes de mai prochain.
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Un accueil mitigé du côté du pouvoir et de l’opposition
Le chef du groupe parlementaire PO à la Diète polonaise, Sławomir Neumann, a reproché à Robert Biedroń d’avoir dispensé « beaucoup de mots d’ordre et peu d’analyse sérieuse ». Il a en outre décrit Wiosna comme « une étoile filante, entièrement construite autour et au service de son chef ». Soucieux de ne pas trop insulter l’avenir, mais également de la popularité de Biedroń au sein de l’électorat de centre-droit, ce responsable de la Plateforme civique a néanmoins salué « une énergie et un enthousiasme qui seraient mieux utilisés dans le cadre de la Coalition civique », du nom de l’attelage mis en place autour de PO lors des dernières élections locales.
Du côté du centre et de la gauche, de nombreux petits partis ont accusé Wiosna de reprendre leurs projets, à l’instar de Nowoczesna et des socialistes du SLD. Son président Włodzimierz Czarzasty, a par exemple déploré que le programme présenté lors de la convention « n’était pas créatif » et « reprenait les fondamentaux des partis dont Biedroń a été membre, comme l’Alliance démocratique de gauche, entre autres ». Il a également estimé que Robert Biedroń avait évité d’aborder des questions controversées, comme « l’économie, le système fiscal, les droits des employés et des syndicats ». De même, la question de la place de la Pologne dans l’Union européenne « n’a pas été suffisamment développée » à ses yeux.
Beata Mazurek, porte-parole du parti Droit et justice au pouvoir, a estimé de son côté que « la lutte fratricide au sein de l’opposition avait commencé » et réduit la convention de Wiosna à Varsovie à un « festival de promesses ».
« La Pologne reste massivement conservatrice »
« Il a quand même réussi à remplir la Halle Torwar, qui est la deuxième plus grande salle de Varsovie », a tenu à souligner Jean-Yves Potel, historien français et spécialiste de la Pologne, que nous avons interrogé. « C’est un phénomène qui traduit à l’évidence l’existence d’un courant indépendant, en dehors des partis traditionnels, lequel s’est très clairement exprimé lors des dernières élections locales, où beaucoup de figures nouvelles ont émergé ». Si le style et la personnalité de Robert Biedroń sont inédits dans une Pologne réputée conservatrice, « ce positionnement d’outsider a toujours existé, dans toutes les campagnes électorales polonaises, depuis 1989 », rappelle l’universitaire.
Pour Jean-Yves Potel, « les axes de son programme sont très positifs, notamment à l’égard des femmes, des minorités sexuelles, au sujet de l’Église, mais il y a des oublis graves. Rien sur les arbitrages budgétaires, pas davantage sur le dialogue social, le développement des contrats poubelles, et encore moins sur l’Europe et les questions internationales. » L’historien déplore également « des propositions très dangereuses », comme celle de porter les dirigeants actuels devant la justice, « ce qui serait pire que la décommunisation menée par le PiS ». Jean-Yves Potel conclut ainsi : « il peut atteindre les 15% en grattant sur les électorats de PO et des partis de gauche, mais il n’a à l’heure actuelle pas les moyens, ni l’aura, ni la capacité technique d’écraser ses concurrents. Il ne faut pas oublier que la Pologne reste massivement conservatrice ».
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