A l’ombre des principales formations polonaises d’opposition, au sein d’un paysage politique culturellement dominé par la droite, le parti Razem cherche à réveiller la vieille gauche sociale-démocrate en cherchant à mobiliser la jeune génération autour de la justice sociale et de l’écologie.
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
C’est un petit parti qui avait créé la surprise lors des élections législatives d’octobre 2015 en rassemblant 3,6% d’électeurs six mois seulement après sa création. Fondé par des militants issus des Jeunes socialistes, des Verts et engagés dans plusieurs initiatives locales, Razem (« Ensemble ») cherche depuis son origine à ressusciter une gauche polonaise en déshérence, incarnée ces trente dernières années par l’Alliance de la gauche démocratique (SLD), le grand parti social-démocrate héritier de l’ancien parti communiste.
« La raison de notre fondation, c’était notre opposition résolue à la politique néolibérale menée par la Plateforme civique (PO) et les gouvernements précédents », nous avait confié Urszula Kuczyńska, militante de Razem, en marge d’un meeting du « Printemps européen » en juin 2018 à Varsovie. « Même si nos programmes sont similaires à première vue, le SLD est responsable avec PO de la situation actuelle, et notamment de la victoire de Droit et justice (PiS) en 2015 », avait-elle taclé. Au pouvoir entre 2001 et 2005, le SLD avait appliqué une très impopulaire politique de rigueur budgétaire et avait été éclaboussé par des affaires de corruption.

Dans les faits, Razem se distingue du SLD et de PO en applaudissant des deux mains les nombreux transferts sociaux effectués par les conservateurs du PiS, notamment à travers une généreuse politique d’allocation familiale : le programme « 500+ ». « Nous n’allons pas nous opposer là où le PiS a eu raison. Certaines mesures sociales mises en place auraient dû l’être il y a quinze ans », reconnaissait d’ailleurs Urszula. Cette position vaut doctrine pour le parti, qui veut « élargir les programmes sociaux de PiS », comme l’a rappelé récemment Maciej Konieczny – membre de la direction de Razem – à nos confrères de Wirtualna Polska.
L’organisation « rouge-verte », poisson pilote de la « nouvelle gauche » européenne en Pologne, n’en est pas moins critique envers le PiS. Aux yeux d’Urszula Kuczyńska, le gouvernement a certes redistribué beaucoup d’argent, mais sans s’attaquer en profondeur aux inégalités sociales ou aux problématiques émergentes dans le monde du travail. « Nous avons de plus en plus de personnes du monde du travail dans nos rangs, notamment des précaires. Car c’est exactement leurs intérêts que nous voulons représenter », nous disait-elle. Razem ne goûte pas davantage à la pratique verticale du pouvoir par Droit et justice : « Jarosław Kaczyński, Viktor Orbán et le premier ministre slovaque, on les surnomme l’Internationale des dictateurs ».
Bousculades entre tenants de la « troisième voie »
Dans un contexte politique polonais structuré par l’antagonisme entre le PiS et la Plateforme civique, Razem cherche à incarner une « troisième voie » de gauche, caractérisée – comme ailleurs en Europe centrale – par un profond renouvellement générationnel. « Les Polonais ne doivent pas être condamnés à choisir entre une droite conservatrice et une droite libérale », résumait encore récemment Adrian Zandberg, la figure la plus connue du mouvement.
Inutile dès lors de préciser que Razem a très peu apprécié la constitution d’une « Coalition européenne » autour de PO et de SLD. « Le SLD, ce n’est que des discours », jugeait Urszula, des mois avant que cette alliance soit actée. Le coup le plus dur est venu des Verts, traditionnels alliés du mouvement au niveau municipal, qui ont également rejoint la Coalition. « Il était possible de former un rassemblement avec le parti Razem. C’aurait été une décision désespérée, c’est-à-dire sans grandes chances d’obtenir un siège. Mais au moins, nous aurions commencé avec des personnes idéologiquement proches de nous », déplorait Adam Ostolski, ancien co-président des Verts et désormais membre de Razem, dans une entrevue pour Krytyka Polityczna.
Depuis quelques mois, la rhétorique de la « troisième voie » a été préemptée par une autre personnalité, autrefois proche du mouvement : le charismatique Robert Biedroń, qui a fondé en février le parti « Wiosna ». Une plateforme sociale, libérale, laïque et écologiste, « mais pas de gauche », aux yeux de Maciej Konieczny. « Razem est le seul parti aujourd’hui qui se réfère directement à l’identité de gauche. Il occupe l’espace que le SLD a quitté et que Robert Biedroń refuse consciemment de prendre », développait de son côté Adam Ostolski. Le style du chef de Wiosna, très égocentrique et jupitérien achève de rompre les amares avec le petit parti de gauche : « Razem prétend qu’il ne doit pas y avoir de chef, tandis que Wiosna considère que le chef passe avant tout », concluait Adam Ostolski.
Avec son « Printemps », Robert Biedroń cherche à ringardiser la classe politique polonaise
Dépasser le seuil des 5%
Pour ces élections européennes, Razem a noué une alliance au niveau national avec le mouvement de Piotr Ikonowicz pour la justice sociale, l’Union du travail et de nombreuses organisations militantes au sein de la liste « Ensemble à gauche » (Lewica Razem), une étiquette autrefois utilisée par le SLD. « Il faut que l’Alliance de la gauche démocratique ne représente plus le vote pour la « gauche par défaut » », expliquait d’ailleurs Urszula Kuczyńska.
Bien implanté à Varsovie et dans les grandes villes de Pologne, Razem cherche à se démarquer de son image de parti de citadins, afin de draguer les déçus du SLD. « La liste « Ensemble à gauche » est soutenue par les personnes qui ont voté pour le SLD, mais qui n’ont pas apprécié que le parti rejoigne la Coalition européenne », décryptait un sondeur anonyme pour Wirtualna Polska.
A l’échelle européenne, Razem a rejoint le « Printemps européen » autour de Diem25 et de son président, l’ancien ministre grec des finances Yánis Varoufákis. En font également partie, entre autres, les écologistes danois d’Alternativet, les éco-socialistes portugais d’O Livre ou encore le parti français Génération-s. En déplacement à Varsovie au début du mois, son dirigeant Benoît Hamon, avait appelé au dépassement des clivages Est-Ouest dans lesquels est enfermée la construction européenne, au nom des valeurs de démocratie et de justice sociale.
Conférence de presse chez @partiarazem
L’occasion de rappeler que @GenerationsMvt revendique ? l’effectivité de l’égalité salariale
? un accès sûr et légal à l’IVG. Comme l’abolition de la peine de mort le droit à l’IVG doit être une condition d’adhésion à l’UE. #8Mars pic.twitter.com/LZWYpUlBUa— Benoît Hamon (@benoithamon) 8 mars 2019
Avec entre 3 et 4% des intentions de vote pour le scrutin de mai prochain, « Ensemble à gauche » n’est pourtant pas assuré d’envoyer un seul député au Parlement européen. « Nous sommes désormais implantés dans toutes les voïvodies, nous nous développons petit à petit et notre objectif à terme est d’avoir un député dans le Sejm » – le parlement polonais -, nous assurait, plutôt confiante, Urszula Kuczyńska. Pourtant, un échec de Razem aux élections européennes pèsera incontestablement lourd sur la stratégie du parti à quelques mois des élections législatives d’octobre.
La Coalition européenne devance pour la première fois le PiS dans les intentions de vote