Hongrie : « Pas pour le Jobbik, mais contre le parti unique ! »

Le journaliste de gauche András Jámbor estime nécessaire de défendre le parti d’extrême-droite Jobbik face à l’attaque du « parti unique ». En manifestant à ses côtés devant le siège du Fidesz à Budapest ce vendredi soir.

Tribune de András Jámbor publiée le 7 décembre 2017 dans Mérce. Traduite du hongrois par Paul Maddens.

Je n’encouragerai jamais personne à voter pour le Jobbik, pas plus que je ne le fais maintenant. Les lignes politiques du Fidesz et du Jobbik sont diamétralement opposées à ce que je pense du monde, mais je demande à tous ceux qui lisent cet article de se tenir aux côtés du Jobbik face à l’attaque que le parti gouvernemental a lancée contre lui, qu’il soit électeur du Fidesz ou du Jobbik, qu’il soutienne le MSzP, le LMP, le DK ou n’importe quel autre parti.

On ne peut pas pardonner au Jobbik d’avoir créé le thème de la « criminalité tsigane« , d’avoir soutenu des mouvements tels que le « Betyársereg » [ndlr : l’ »Armée de brigands »], d’avoir promu des politiciens tels que László Toroczkai [ndlr : vice-président du Jobbik et maire d’un village proche de la frontière serbe], d’avoir organisé des manifestions telles que celle de Devecser au cours de laquelle des maisons d’innocents ont été attaquées, tandis qu’ils parlaient d’extermination des Tsiganes. Oui mais ! Ce « mais » ne minimise pas la gravité de ces fautes, il renvoie à autre chose.

Dans les années passées, nous avons pu voir comment le Fidesz accumule argent, pouvoir et médias, en utilisant les biens du pays, comment il impose sa domination sur les institutions qui dirigent le pays, comment il « dévore » les freins du système démocratique.

Aujourd’hui le temps est venu pour lui de mettre tous ces moyens à profit. De ce point de vue, peu importe qui est celui contre qui il les utilise. Nous savons précisément qu’il le fait parce qu’il veut avoir encore plus d’emprise sur nos vies, il veut une victoire brutale aux élections de 2018.

Et maintenant il se trouve que la Cour des Comptes s’abat sur le Jobbik et lui inflige une amende de 300 millions de forints (soit environ 1 million d’euros), une somme qu’elle peut prélever sur ses comptes bancaires. Il s’agit de la même Cour des Comptes qui n’a jamais vraiment examiné les dépenses d’aucun parti et qui ne le fais pas plus aujourd’hui. Quand bien même preuve a été faite que le Fidesz avait menti à propos de ses dépenses de campagne en 2010 dans sa déclaration auprès de la Cour des Comptes, elle ne l’a pas condamné.

Mais elle se rue sur le Jobbik. La Cour des Comptes a réalisé son contrôle à un autre moment que celui convenu au préalable et quand des représentants du Jobbik ont apporté personnellement les documents demandés dans le délai de cinq jours fixé par la loi, elle n’en a pas pris possession. La question est la suivante : s’ils n’ont pas pris les documents, à partir de quoi sont-ils arrivés à la conclusion qu’il y a là un cas de financement illicite ?

Bien sûr […] il est probable que Lajos Simicska a vendu au Jobbik des emplacements d’affichage largement au-dessous du prix du marché, mais les choses vont ainsi en Hongrie depuis bientôt trente ans, y compris au Fidesz.

C’est justement pour cela que la question n’est pas de savoir si le Jobbik a utilisé des fonds illégaux, mais d’abord de savoir pourquoi la Cour des Comptes, dont le président est un ancien député du Fidesz, n’intervient qu’à son encontre.

La situation est très grave quand la loi est utilisée pour que le parti politique qui écrit les lois et règne sur leur mise en œuvre « abîme » son adversaire. Cela s’appelle le parti unique. Si nous acceptons une telle situation, si nous ne protestons pas, si nous commençons à finasser en disant que lui aussi est corrompu, alors il est certain que cela rend possible qu’un parti (le Fidesz en l’occurrence) se serve des lois et de l’appareil d’état hongrois pour « exécuter » ses adversaires politiques.

« Le parti unique est né. »

Si cela peut se produire, alors ne nous étonnons pas que l’administration des impôts s’en prenne au travailleur de la santé exigeant un salaire plus élevé, au professeur qui se rebelle pour un meilleur enseignement, au citoyen qui conteste, au concurrent commercial, s’il est plus petit.

Nous restons alors tous sans défense face au parti unique, que nous soyons électeurs du parti LMP, du MSzP, de DK, de Ensemble, de Dialogue, ou justement du Fidesz. Il n’est donc pas question que je reste en dehors de tout cela, car cette pratique deviendrait admise pour briser n’importe quel adversaire.

Le parti unique est né. C’est précisément pour cela qu’il vaut la peine de mettre de côté ce que nous pouvons penser du Jobbik. Nous savons ce qu’est le Jobbik, mais il est question d’autre chose ici.

Si le parti unique peut détruire financièrement son adversaire politique, le parti d’opposition le plus fort six mois avant les élections, alors qu’est-ce qui l’empêchera de le faire avec d’autre ? Qu’est-ce qui l’empêchera de se servir, contre nous aussi, des lois destinées à nous protéger ?

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András Jámbor

Journaliste

Fondateur et rédacteur-en-chef de Mérce, site d'information indépendant, engagé à gauche et dans le mouvement social en Hongrie.

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