Cinq ans après la crise des réfugiés, la Hongrie plus verrouillée que jamais

Il y a cinq ans, la Hongrie coupait la « Route des Balkans » empruntée par des centaines de milliers de personnes en quête de protection. Aujourd’hui, le pays est plus fermé que jamais aux demandeurs d’asile.

C’était il y a cinq ans jour pour jour. Le 15 septembre 2015, le gouvernement hongrois mettait ses menaces à exécution et scellait sa frontière méridionale au niveau de la Serbie, tendant un véritable mur de barbelés le long de sa frontière « verte ». Syriens, Afghans, Pakistanais et autres Bangladais tentant de gagner l’Europe de l’Ouest et du Nord par les Balkans se heurtaient à un double mur, le mur législatif de Schengen et le mur physique hongrois.

Le lendemain, le 16 septembre des échauffourées éclataient entre des migrants et la police hongroise au passage frontalier de Röszke. Jets de projectiles contre gaz lacrymogène et canons à eau. L’un des participants, Ahmed Hamed, serait condamné à dix années de prison en Hongrie et érigé en bouc-émissaire avant d’être relâché en 2019. Le dirigeant hongrois Viktor Orbán évoque depuis ces évènements comme « la bataille de Röszke » lors de laquelle les Hongrois ont réussi à bouter les migrants en dehors de la Hongrie.

Le flux migratoire ne s’est pas tari totalement pour autant, mais vraisemblablement peu des quelques centaines de personnes[1]http://www.police.hu/hirek-es-informaciok/hatarinfo/illegalis-migracio-alakulasa qui tentent le passage illégal par la Hongrie réussissent à échapper à la police qui n’hésite pas à user de violence à leur encontre. Une forme d’état d’urgence migratoire reste toujours en vigueur à ce jour dans les régions frontalières, donnant les coudées franches aux forces de sécurité pour lutter contre l’immigration clandestine.

Les portes d’entrées officielles se sont aussi peu à peu totalement refermées depuis l’année 2015. Le gouvernement hongrois a tout fait pour dissuader les migrants de se présenter aux frontières de la Hongrie pour y demander l’asile. Deux sas d’entrée fonctionnant au compte-goutte ont été installés le long de la frontière avec la Serbie, n’acceptant chacun pas plus d’une poignée de demandeurs d’asile chaque jour, douze, puis six seulement. Ceci contraignant les migrants à patienter parfois des semaines aux portes de Schengen, dans le nord de la Serbie, dans des conditions misérables.

La CJUE a jugé que la pratique consistant à placer automatiquement la quasi-totalité des demandeurs d’asile dans des zones de transit frontalières fermées constituait une détention illégale.

Lorsque le tourniquet permettait enfin à ceux qui n’avaient pas encore renoncé à ce parcours du combattant de se présenter aux autorités hongroises, ce n’était pas la fin du calvaire pour autant. Certains étaient renvoyés illico en Serbie, considéré comme un « pays tiers sûr ». Pour les autres, commençait une longue attente dans les « centres d’accueil », en réalité des conteneurs similaires à ceux que l’on trouve sur les chantiers de constructions, mais entourés de grillages surmontés de fils barbelés. Des familles avec des jeunes enfants ont dû vivre des semaines et même des mois dans ces conditions carcérales. Des personnes dont la demande d’asile a été déboutée se sont vu priver de nourriture pendant plusieurs jours.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé le 14 mai 2020 que la pratique de la Hongrie consistant à placer automatiquement la quasi-totalité des demandeurs d’asile dans des zones de transit frontalières fermées pendant toute la procédure d’asile constituait une détention illégale.

Le gouvernement s’est rapidement conformé à cette décision et, dans les jours qui ont suivi, a vidé les deux zones de transit et acheminé leurs trois cents demandeurs d’asile vers un véritable centre d’accueil. Selon l’AFP, la plupart des demandeurs d’asile se sont depuis évaporés du pays et les rares qui sont restés végètent en espérant voir leur demande aboutir.

Après la décision de la Cour européenne de Justice, le gouvernement de Viktor Orbán n’en est pas resté là : ses frontières sont restées hermétiques aux demandeurs d’asile depuis la fermeture des zones de transit et au mois d’août il a annoncé la mise en place d’un nouveau système d’asile. Désormais il est impossible pour les demandeurs d’asile de pénétrer sur le territoire hongrois pour déposer leur demande. La procédure débute dans les ambassades de Hongrie à Belgrade (en Serbie) ou à Kiev (en Ukraine), où les demandeurs d’asile doivent soumettre une « déclaration d’intention » qui, si elle est acceptée, donne droit à un permis de voyage spécial permettant de se rendre en Hongrie et d’y déposer la demande d’asile.

Ce système est une violation flagrante de la législation hongroise et de tous les traités internationaux. Pour le Comité Helsinki hongrois, il constitue une « violation de la loi fondamentale hongroise, de la Convention de 1951 sur les réfugiés, et de la Convention européenne des droits de l’homme ». « Seules sept personnes avaient frappé à la porte de la représentation diplomatique hongroise au 31 juillet, selon les chiffres fournis par le gouvernement », rapporte l’AFP.

La Hongrie est aujourd’hui, à l’automne 2020, un pays fermé à double-tour pour les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.

Notes

Notes
1 http://www.police.hu/hirek-es-informaciok/hatarinfo/illegalis-migracio-alakulasa
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).