Le procès en appel d’Ahmed Hamed doit reprendre ce mercredi en Hongrie. Amnesty International conteste sa condamnation à dix ans de prison pour « actes de terrorisme » et veut croire en sa possible libération, après presque deux années et demi de détention. Entretien avec Áron Demeter, juriste dans cette ONG.
Dans quel état d’esprit se trouve Ahmed H. avant la reprise de son procès en appel ?
Áron Demeter : D’après mes informations, il a le moral et il est assez optimiste. Evidemment, il veut que le procès se termine pour pouvoir rentrer chez lui auprès de sa famille, à Chypre.
Comment vit-il sa détention, après plus de deux années passées derrière les barreaux ?
Ahmed est en détention depuis plus de deux ans désormais, et qui plus est dans un pays dans lequel il n’est jamais venu auparavant, ce qui, j’imagine, doit être un peu perturbant…
Quelles sont ses conditions de détention ?
Elles sont relativement bonnes. Enfin aussi bonnes qu’elles peuvent être dans une prison…, mais il est en bonne santé, il peut appeler sa femme régulièrement, avec qui il tente de rester en contact, et ses avocats viennent le voir régulièrement. Donc globalement, ça va.
« Jeter des pierres et utiliser un mégaphone, ce n’est pas du terrorisme ».
Ahmed Hamed a été reconnu coupable de franchissement illégal de la frontière et de jets de projectiles sur les forces de l’ordre lors d’une émeute à la frontière serbo-hongroise le 16 septembre 2015. Le premier procès a été très critiqué, notamment par Amnesty. Pouvez-vous nous rappeler les lacunes de l’accusation lors de ce procès qui a conduit à une condamnation très lourde de dix années d’emprisonnement ?
Ahmed a été accusé d’acte de terrorisme, et beaucoup pensent que ce n’est pas juste. Selon les preuves qui ont été présentées lors du premier procès, nous savons qu’il a jeté des objets vers la police à plusieurs reprises, et qu’il a utilisé un mégaphone pour s’adresser à la foule. Ce sont les deux seules preuves qui existent. En revanche, il n’a pas été prouvé qu’il ait ainsi incité la foule à pénétrer sur le territoire hongrois, ni même qu’il ait blessé quiconque en jetant des pierres, ou tout autre objet. Au vu des preuves, il est évident qu’il était présent à la frontière [lors de l’émeute le 16 septembre 2015, ndlr] et qu’il a commis quelque-chose. Amnesty dit juste que ce n’est pas du terrorisme.
Jeter des pierres et utiliser un mégaphone ce n’est pas du terrorisme, c’est pourquoi nous pensons que – au minimum – la charge pour terrorisme doit être abandonnée. Aussi, depuis le début du procès, il y a d’importantes pressions politiques. Juste après les affrontements en 2015, le Premier ministre et d’autres personnalités politiques de premier plan – y compris dans l’opposition – ont déclaré qu’Ahmed était un terroriste. Officiellement, il est présenté par le gouvernement comme un terroriste, ce qui va à l’encontre de principes fondamentaux tels que la présomption d’innocence et le droit à un jugement juste et équitable. Ces pressions politiques interviennent en plus dans un pays comme la Hongrie, où depuis 2015, il y a une campagne xénophobe continue contre les réfugiés et les migrants, ce qui est extrêmement problématique.
« Il est présenté par le gouvernement comme un terroriste, ce qui va à l’encontre de principes fondamentaux tels que la présomption d’innocence et le droit à un jugement juste et équitable. »
Dans un tel contexte, pourquoi assiste-t-on tout de même à un procès en appel ?
En fait, en juin 2017, la Cour de seconde instance a estimé qu’en première instance l’ensemble des preuves rassemblées n’avaient pas été suffisamment examinées, et elle a donc demandé une enquête complémentaire afin de prouver – ou non – la culpabilité d’Ahmed H. Or, pour Amnesty, à partir des preuves existantes, Ahmed n’est clairement pas un terroriste.
Amnesty conteste donc la qualification « d’actes de terrorisme ». Ce jugement est-il directement lié aux nouvelles lois antiterroristes en Hongrie ? Que prévoient-elles ? Ont-elles des équivalents ailleurs en Europe ?
L’affaire en elle-même n’est pas liée aux nouvelles lois anti-terroristes en Hongrie. Ahmed est simplement accusé d’un crime inscrit dans le Code pénal hongrois. En revanche, l’ensemble de la campagne anti-réfugiés et anti-migrants a un lien direct avec cette affaire. Le gouvernement hongrois – et plus particulièrement le Premier Ministre Viktor Orbán – ne cessent de déclarer depuis les attaques de Charlie Hebdo que l’ensemble des migrants et réfugiés venant en Europe sont des terroristes. Du coup, c’est plutôt pratique pour le gouvernement de pouvoir enfin présenter un terroriste en Hongrie. Nous avons donc l’impression qu’Ahmed H est un bouc-émissaire.
Le véritable problème, légalement parlant, c’est la mauvaise utilisation du terme « terrorisme ». Dans le Code pénal hongrois, la définition du terrorisme reste très vague, ce qui n’est pas spécifique à la Hongrie. Une majorité des pays d’Europe ne définit pas précisément ce qu’est le terrorisme, ce qui laisse la porte ouverte à nombre d’interprétations. En ce sens, l’histoire d’Ahmed H. n’est pas si unique en Europe. Lors des dernières années – et notamment en France, en Espagne, aux Pays-Bas ou encore au Royaume-Uni – les gouvernements ont tous essayé d’utiliser la lutte contre le terrorisme comme un prétexte pour limiter les droits individuels au nom de la sécurité nationale. Néanmoins, ce qui rend cette affaire particulière est qu’il n’y a aucun autre gouvernement européen qui a développé une telle politique xénophobe.
« C’est plutôt pratique pour le gouvernement de pouvoir enfin présenter un terroriste en Hongrie ».
On parle d’Ahmed Hamed comme du « terroriste d’Orbán ». Ce procès sert-il d’exemple selon vous ? Ahmed n’est-il pas finalement le coupable parfait pour Viktor Orbán et sa politique « anti-migrants » ?
Ahmed est le seul qui est accusé de terrorisme, donc il est le seul que le gouvernement peut utiliser pour justifier sa politique anti-migrants. Cela est d’autant plus absurde qu’Ahmed H. n’est pas un réfugié. Il vient de Syrie, mais a vécu plus de dix ans à Chypre avant de se faire arrêter à la frontière hongroise. Il a un visa Schengen, donc il peut circuler librement au sein de l’Union européenne. Il ne demande pas l’asile. Il était présent à la frontière uniquement pour mettre sa famille à l’abri en Allemagne. Mais évidement c’est quelque chose que le gouvernement oublie, car il est le parfait « Arabe » qui est venu à la frontière pour renter en Hongrie. Donc oui, cette affaire est particulièrement politique, et c’est drôle de voir Amnesty accusée de vouloir influencer le procès, ou encore d’être financé par Georges Soros. Ces gens là oublient que si le Premier ministre considère Ahmed comme un terroriste, peut-être que cela met davantage de pressions sur les juges que lorsque Amnesty déclare qu’il doit être relâché…
« Je dois dire que cette nouvelle procédure semble être beaucoup plus indépendante et plus sérieuse que la première. »
Outre le climat politique particulier, y-a-t-il eu une ingérence avérée du pouvoir dans le processus judiciaire ?
Le gouvernement a certes tenté de remplacer toute une génération de juges, mais ce n’est pas directement lié à cette affaire. Il y a eu des déclarations du gouvernement qui laissent penser que le jugement de la Cour est biaisé. Néanmoins, je dois dire que cette nouvelle procédure semble être beaucoup plus indépendante et plus sérieuse que la première.
Y-a-t-il un « effet élections » ?
La principale raison est la Cour en elle-même. J’ai assisté à tous les procès, et les nouveaux juges se concentrent davantage sur la recherche de la vérité dans cette affaire. Je suis certain que si le verdict le 19 mars ne va pas dans le sens du gouvernement, donc si Ahmed obtient une réduction de peine voire s’il est acquitté, cela risque de susciter de vives réactions du gouvernement. La Cour sera certainement accusée d’avoir été influencée par Georges Soros ou Amnesty ou je ne sais qui d’autre… Mais je ne pense pas, enfin je ne suis pas sûr, que les élections puissent avoir une quelconque influence, bien que le gouvernement souhaite qu’Ahmed soit de nouveau condamné pour terrorisme.
En cas de confirmation de la condamnation, quels sont les recours possibles ? Qu’attendez-vous des institutions européennes ?
Cette affaire est loin d’être terminée. La procédure ne prendra certainement pas fin ce mois-ci, elle se poursuivra certainement face à la Cour d’Appel. Si Ahmed est acquitté, le procureur fera appel, et si sa condamnation est confirmée alors ce sont ses avocats qui feront appel. Nous verrons bien ce qu’il se passera. Mais s’il est définitivement condamné, sa meilleure option est d’aller devant la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg. J’espère néanmoins qu’il sera relâché avant, car il a déjà passé plus de deux ans en prison.
Au-delà d’Ahmed H., battons-nous pour une justice indépendante en Hongrie