En Hongrie, la télévision d’État prise pour cible par les opposants à Viktor Orbán

Depuis dimanche soir, le siège du groupe d’audiovisuel public MTVA est devenu le lieu de rassemblement haut en symbole choisi par la mobilisation anti-gouvernementale. Lundi toute la journée, plusieurs incidents ont émaillé les tentatives de plusieurs députés d’opposition d’accéder à l’antenne afin d’y lire les revendications des manifestants.

Budapest – « Je n’en crois pas mes yeux ; ils nous ont pris et nous ont jetés, violemment. Nous sommes des parlementaires ; nous voulions simplement lire une pétition à l’antenne. Une pétition en cinq points, qui reprend ce que veulent les manifestants ». La scène tourne en boucle depuis ce matin sur les réseaux sociaux hongrois. On y voit la députée écologiste Bernadett Szél violemment débarquée des locaux de la télévision d’État MTVA, sous les yeux incrédules du petit comité qui l’attendait dehors. Son collègue Ákos Hadházy, aux côtés duquel elle a mené la campagne du LMP aux dernières législatives, est quant à lui pris violemment à partie par les vigiles, sans que la police ne lève le petit doigt pour intervenir afin de les en empêcher.

Au même moment, la M1, la chaîne d’info en continu de la MTVA, faisait ses gros titres sur le risque terroriste en Europe de l’Ouest, avant de passer aux premières neiges de l’hiver et à un marché aux cochons. Il en va ainsi depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán en 2010 : chaque manifestation anti-gouvernementale est soigneusement passée sous silence et toute expression de l’opposition parlementaire est tue, peu importe si plusieurs dizaines de milliers de personnes prennent la rue comme en 2012, 2014 et en 2017, ou qu’il y ait des protestations dans toutes les villes de province, comme ces derniers jours contre la loi sur la libéralisation des heures supplémentaires et la flexibilisation du temps de travail.

« Les médias publics sont de plus en plus un outil de propagande au service du pouvoir », avait commenté l’éditorialiste hongrois Attila Mong sur les ondes de France Inter en janvier 2012, suite aux coupes et choix de champs décidés par la rédaction du journal du soir de M1 pour minimiser l’importance d’une manifestation qui avait mobilisé une centaine de milliers de personnes dans les rues de Budapest pour « défendre la République ». En février dernier, la chaîne d’informations du Qatar Al Jazeera avait réussi à faire témoigner deux journalistes hongrois sur la censure et la centralisation qui règnent dans les médias publics en Hongrie. « Vous ne pouvez pas écrire quoique ce soit de négatif à propos du gouvernement », avait témoigné l’un des deux journalistes du groupe d’audiovisuel public, à visage couvert et avec une voix reproduite par un acteur afin d’assurer son anonymat. « Si quelque chose est politiquement sensible, je reçois des instructions. Dans certains cas, on m’envoie même l’article prêt à publier et tout ce que j’ai à faire, c’est copier/coller. C’est totalement incroyable », avait-il également affirmé.

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La MTVA, centre névralgique du pouvoir

Hier soir, alors que les différents partis organisateurs de la manifestation anti-gouvernementale avaient convenu de s’en tenir au blocage du pont Marguerite après le rassemblement sur la place du parlement, un bon millier de manifestants ont finalement décidé d’emboîter le pas du petit parti libéral Momentum, bien décidés « à passer à la télé », et ont gagné un peu avant vingt-deux heurs le siège de la MTVA, après sept kilomètres de marche sur les artères d’Óbuda, en scandant « La télé ment ! » à plusieurs reprises.

Sur place, des cordons d’agents des brigades d’intervention rapide (TEK) protégeaient le bâtiment presque mieux que le parlement, mais une délégation d’une petite dizaine de parlementaires d’opposition a pu y entrer afin de lire en direct les cinq points de revendication des manifestants. Ils sont sortis calmer les manifestants vers vingt-trois heures après que l’accès à l’antenne leur a été refusé, mais la plupart d’entre eux sont restés toute la nuit sur place.

Les manifestants devant le siège de la MTVA hier soir – Photographie : Index

Au petit matin ce lundi, les deux députés mentionnés en début d’article ont donc été débarqués manu militari par les vigiles, tandis que le directeur du groupe MTVA refusait obstinément de rencontrer leurs collègues. Toute la journée, les parlementaires ont par ailleurs largement mis en scène leur sit-in au sein des locaux de la télévision publique, via Facebook principalement, avec – il faut le dire -, plus ou moins de talent.

 

Dans l’après-midi, des députés se sont également couchés au sol pour dénoncer la brutalité avec laquelle aurait été traité le député DK László Varju, sans que l’on sache exactement de quoi il en retourne. Celui-ci a ensuite été pris en charge par des ambulanciers. Beaucoup de confusion a en tout cas régné toute la journée, les parlementaires et la direction de la MTVA se renvoyant sans cesse la balle au sujet des dérapages et comportements violents mis en image. Comme l’a rappelé à 168 óra – et relayé par l’AFP – l’avocat Márton Nehéz-Posony, l’expulsion de députés du siège de la MTVA est quoi qu’il en soit contraire à la loi : « les membres du Parlement sont légitimement autorisés à pénétrer dans le siège des médias publics conformément à la loi sur le statut des membres du Parlement ».

Les députés d’opposition couchés au sol (Capture d’écran Index)

Du côté du Fidesz,un visuel a été mis en ligne en début d’après-midi, dénonçant « les dirigeants d’opposition qui veulent s’immiscer avec violence dans le fonctionnement d’une rédaction », sous-titrant à l’accoutumée : « Ce sont là les méthodes bien connues du réseau immigrationniste de Soros ; leur comportement est inacceptable ! » Le parti gouvernemental cherche visiblement à verser de l’huile sur le feu face à la colère sociale. Le président du parlement László Kövér n’a pas jugé utile d’examiner les incidents au siège de la MTVA, mais a en revanche annoncé des retenues sur salaire à l’encontre les députés d’opposition, coupables à ses yeux d’avoir bordélisé la séance parlementaire de mercredi dernier.

Visuel issu de la page Facebook du Fidesz.

« On dirait qu’on a touché à un point sensible », a déclaré un peut avant dix-huit heures le député indépendant Ákos Hadházy à nos partenaires de Mérce. « Toute pression politique sera efficace si elle est durable, déterminée et pacifique. J’espère que la manifestation sera pacifique », a-t-il ajouté, alors que les policiers étaient en train de fermer la rue Kundigundda, où se situe le siège de la MTVA.

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« Nous devons montrer que nous sommes plus nombreux que ceux qui soutiennent Orbán »

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).