À un an des élections législatives, cartographie de l’archipel politique hongrois

En Hongrie, les élections législatives du printemps 2018 se dérouleront dans un contexte vraisemblablement tendu. Après deux mandats à la tête du pays, le Premier ministre sortant Viktor Orbán voit grandir en face de lui une opposition de plus en plus déterminée, mais toujours affaiblie par son morcellement. L’occasion de faire une cartographie de la situation.

Auteur : Ludovic Lepeltier-Kutasi © Hulala
L’hégémonie de la Droite

La vie politique hongroise est largement dominée depuis 2010 par le Fidesz, représenté ici comme une vaste terre étendue et à priori homogène : l’île de la droite. Étant donné l’hégémonie institutionnelle du Fidesz, il est difficile de préciser la nature des débats internes qui le traversent, mais l’on devine néanmoins de nettes différences de sensibilités entre les dirigeants du parti, souvent en lien avec leur trajectoire personnelle mais aussi l’histoire politique du pays. Si le Fidesz semble avoir réussi la synthèse entre un centre-droit plutôt européiste (Tibor Navracsics) et une aile populiste proche de l’extrême-droite (Máté Kocsics), son centre de gravité reste ultra-conservateur et trouve sa formulation dans la doctrine « illibérale » de Viktor Orbán.

Deux partis politiques semblent avoir conservé une certaine autonomie : le Parti populaire démocrate-chrétien KDNP, membre de la coalition gouvernementale, particulièrement conservateur sur les questions des mœurs ; et le Parti civique indépendant des petits propriétaires et des travailleurs agraires (FKgP), non représenté au parlement, mais pourtant issu de la mouvance agrarienne autrefois puissante en Hongrie.

L’émiettement de la gauche socialiste et sociale-démocrate

Face à l’hégémonie du Fidesz, « l’île de la Gauche » est d’évidence bien plus morcelée. Si le territoire du Parti socialiste hongrois (MSzP) semble le plus étendu et avec l’assise la plus solide, celui-ci doit composer avec de nombreux concurrents qui grignotent son potentiel électoral. Nous passerons très rapidement sur le Parti social-démocrate de Hongrie (MSzDP) et le Parti social-démocrate – Canal historique (SzDP), deux astres morts sans véritable puissance de feu électorale, mais qui peuvent se prévaloir d’une histoire politique ancienne dans le pays. La concurrence est en revanche plus rude au centre-gauche, avec la dissidence de la Coalition démocratique (DK) de l’ancien Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsány ainsi que celle d’Együtt (« Ensemble ») de son successeur social-libéral Gordon Bajnai. Connu comme très favorable à l’économie de marché depuis sa rupture avec son passé de parti unique communiste, le MSzP a entamé un brutal virage à gauche fin 2016 avec la promotion de László Botka, populaire maire socialiste de Szeged, comme vraisemblable tête de liste pour 2018.

Le Jobbik et la dérive des continents

Un continent dont il est difficile de mesurer la taille, dénommée ici « île de l’Extrême-droite », semble contourner le « continent Fidesz ». Il y a d’abord le flanc oriental, clairement fascisant avec le Parti pour la justice et la vie (MIÉP), mais surtout les éléments les plus radicaux du Jobbik (comme László Torockai et des mouvances comme le Mouvement de jeunesse des soixante-quatre comitats – HVIM). Il y a ensuite le flanc occidental, qui lorgne l’électorat de gauche, avec l’aile « sociale » du Jobbik représentée par son actuel président Gábor Vona. Si on sent bien quelques accointances entre des personnalités du Fidesz et du Jobbik, notamment en ce qui concerne le rejet radical du libéralisme politique, on constate des positions irréconciliables au sujet de la « grande Hongrie » et du traité de Trianon, principale raison d’être de l’extrême-droite dans le pays.

Reste à savoir jusqu’où va dériver ce « Jobbik occidental », véritable avatar hongrois de cette extrême-droite en voie de « dédiabolisation » partout en Europe. Si Gábor Vona mise sur le retour des thèmes sociaux dans la campagne de 2018, le Jobbik n’a pas totalement intérêt à abandonner son marquage droitier au Fidesz.

L’archipellisation de « l’autre gauche »

La gauche centre-européenne reste encore marquée par l’héritage de la dissidence des intellectuels progressistes au parti unique. Au début des années 1990, cet héritage est essentiellement capté par la feue Alliance des démocrates libres (SzDSz), discréditée au début des années 2000 par de nombreuses affaires de corruption, mais aussi la défense d’un néolibéralisme économique qui a produit d’importants dégâts sociaux dans le pays. Cette ligne idéologique est désormais défendue par le tout petit Parti libéral hongrois (MLP) de Gábor Fodor, traditionnellement allié de la gauche mais électoralement anecdotique. Mais aussi dans une certaine mesure par le Mouvement pour une Hongrie moderne (MoMa), digne successeur de l’ancien grand parti de centre-droit Forum démocratique hongrois (MDF).

Le « fantôme du SzDSz » vient encore régulièrement hanter les archipels de « l’autre gauche » hongroise, notamment autour de l’épineuse question de l’alliance avec les « ex-communistes » du MSzP.  Le principal parti de cet intelligentsia progressiste est la formation Párbeszéd (« Dialogue »), laquelle cherche à réinventer une gauche sociale et écologiste au diapason des reconfigurations politiques observables ailleurs en Europe. Essentiellement implanté à Budapest, il souffre d’une image de parti urbain, composé de diplômés et déconnecté des réalités du pays. Issu d’une scission avec le LMP (« La politique peut être différente »), il lui dispute le champ de l’écologie politique en Hongrie.

L’archipel de la gauche alternative, encore plus morcelé, est constitué de tout petit îlots. L’on retrouve dans ces eaux difficiles d’accès des anciennes personnalités du SzDSz, à l’instar de G.M. Tamás, soucieux de refonder une critique marxiste non autoritaire ; des dissidents du MSzP, tel le Balpárt (Parti de gauche), créé sur le modèle du Linkspartei allemand et de Syriza, lequel reste encore très marginal dans le paysage politique hongrois ; mais aussi une extrême-gauche hongroise en gestation, incarnée par l’EB (Gauche européenne), anciennement dénommé Munkáspárt 2006, lequel reproche au Munkáspárt historique de Gyula Thürmer une dérive populiste et nationaliste.

Dernière émanation politique de l’intelligentsia hongroise, le Parti hongrois du chien à deux queues (MKKP), mouvement satirique au ton libertaire, lequel a prévu de se présenter en 2018 comme parti politique à part entière, et dont la popularité pourrait lui permettre d’entrer à l’Assemblée de Hongrie (le seuil est à 5%).

Les avatars de la « Troisième voie » à la hongroise

Créé en 2009, le parti « La politique peut être différente » (LMP) s’est scindé en deux en 2014, en raison de désaccords stratégiques quant à l’ancrage à gauche de l’écologie politique en Hongrie. Si les dissidents de Párbeszéd se sont maintenus dans un système d’alliance avec le MSzP, DK, le MLP et Együtt, le LMP-canal historique a quant à lui jeté les bases d’une « Troisième voie » à la hongroise, mêlant une critique radicale de la mondialisation capitaliste à un discours conservateur sur les questions de société, explicitement orienté vers un électorat provincial. De ce point de vue, le LMP tend sur son flanc droit à se rapprocher de thématiques autrefois marqueurs idéologiques du courant agrarien (la défense de la paysannerie en particulier).

Enfin, le jeune mouvement Momentum (MoMo), apparu début 2017 dans la foulée de la campagne « Nolimpia », connait un positionnement proche du « ni droite ni gauche » du LMP, mais semble porter en lui les germes d’un renouvellement générationnel de la droite libérale et du centre-droit. S’il revendique de « tourner la page » des clivages qui structurent la vie politique hongroise depuis la fin du communisme, Momentum défend un programme libéral assez classique, très européiste et pro-mondialisation, plus conservateur sur les questions sociétales, un peu finalement à l’instar du positionnement du Fidesz au début des années 1990.

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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