Alors que les différents partis d’opposition ne parviennent pas à trouver un accord autour de candidatures communes face au Fidesz de Viktor Orbán, de nombreuses initiatives fleurissent sur Internet pour mobiliser les citoyens en faveur d’un « vote tactique » contre la droite le 8 avril prochain.
Mercredi dernier, Péter Márki-Zay, le « mouvement Pays en commun » et plusieurs petites organisations ont tenu une conférence de presse à Budapest, afin d’acter l’échec des pourparlers entre les différents partis d’opposition pour présenter des candidatures communes face au Fidesz dans les 106 circonscriptions que compte la Hongrie. Leur objectif : lister pour chaque cas de figure le candidat le mieux placé pour gagner face au parti gouvernemental, dans le but de mobiliser les électeurs en faveur du meilleur « vote tactique ».
Cela fait des mois que le « vote tactique » suscite des initiatives sur le web hongrois, particulièrement sur Facebook. « Je me suis rendu compte début 2017 qu’il y avait une chance de battre le Fidesz en en rassemblant les opposants », nous explique Ádám Sanyó, développeur informatique et étudiant à l’Université d’Europe centrale à Budapest. Il a créé en septembre dernier « Taktikai Szavazás » (« vote tactique »), une plateforme web au design volontairement sobre, dont l’objet est de calculer les chances des différents partis d’opposition à l’échelle de chaque circonscription.
Sa méthode : s’appuyer sur les résultats des élections législatives de 2014 et de les corriger en fonction des intentions de vote sur la liste nationale. « Dans 80 à 85% des circonscriptions, nous serons en mesure d’annoncer quel sera l’adversaire le plus redoutable contre le Fidesz. Le site fera des recommandations aux électeurs pour lui apporter leur soutien » détaille Ádám Sanyó. Il tire son expérience militante de son séjour de quelques années au Royaume-Uni, où il avait participé à une campagne locale du Parti libéral-démocrate et surtout au mouvement « Remain » lors du référendum sur le Brexit.
« Le 8 avril, jour du vote tactique »
Sur Facebook, la page « Viszlát Kétharmad Mozgalom » (« Mouvement pour dire Adieu aux deux-tiers ») reste sans doute l’une des plus likées, avec plus de 20 000 fans. Ses visuels soignés et ses slogans travaillés (« Déplaçons-nous le 8 avril pour les faire partir – Si nous restons à la maison, ils resteront au pouvoir »), cherchent à faire mouche pour mobiliser les abstentionnistes et celles et ceux qui croient une nouvelle victoire du Fidesz inévitable.
« Viszlát Kétharmad Mozgalom » a ainsi fait du 8 avril prochain le « jour du vote tactique », martelant le principe suivant : « Sur la liste nationale, je vote pour mon parti préféré ; dans ma circonscription, je vote pour le candidat qui a le plus de chance de l’emporter (sous-entendu : face au Fidesz, ndlr)« . Derrière cette campagne, l’éditorialiste György Pápay, responsable « Idées » pour le quotidien conservateur Magyar Nemzet ainsi que l’ONG « C’est toi qui décide ! ».
Dans le rôle de monsieur loyal, Márton Gulyás ; dans celui de la rock-star, Péter Márki-Zay
Au-delà des réseaux sociaux, le vaisseau amiral des initiatives en faveur d’un « vote tactique » est sans conteste le « mouvement Pays en commun » (Közös Ország Mozgalom) du militant d’éducation populaire Márton Gulyás. L’organisation bat la campagne depuis des mois pour tenter de rassembler les différents partis d’opposition autour de candidatures communes. Il organise depuis janvier des débats publics dans tout le pays pour départager les différents candidats anti-Fidesz, avec l’appui d’enquêtes d’opinion réalisées localement.
L’initiative de Márton Gulyás ne semblait pas vraiment enthousiasmer les foules jusqu’au milieu de cet hiver. L’élection surprise à Hódmezővásárhely d’un maire indépendant soutenu par l’ensemble des partis d’opposition (extrême-droite comprise) a très largement changé la donne, car elle a montré que le Fidesz pouvait être battu jusque dans ses bastions. Le nouvel édile de cette ville du sud de la Hongrie, Péter Márki-Zay, mouille désormais sa chemise dans la campagne des législatives et a annoncé cette semaine le lancement d’une plateforme fédérant toutes ces initiatives autour du vote tactique : Rendszerváltás2018.hu (« changement de régime 2018 »).
Le Fidesz, un colosse aux pieds d’argile
Il est vrai que malgré sa puissance de feu incontestable, le Fidesz de Viktor Orbán n’en reste pas mois un colosse aux pieds d’argile. La réforme électorale introduite en janvier 2012, qui lui permet de bénéficier mécaniquement d’une longueur d’avance face à une opposition morcelée, pourrait effectivement jouer en sa défaveur en cas d’union des partis de gauche, centristes, voire d’extrême-droite. Selon un décompte que nous avions effectué en janvier dernier, la concurrence entre les écologistes du LMP et la liste unie de la gauche avait par exemple fait perdre une dizaine de circonscriptions aux partis progressistes lors des précédents législatives de 2014. Chiffre plus inquiétant encore pour le camp gouvernemental : en 2014, les candidats Fidesz n’avaient dépassé 50% des suffrages que dans 21 circonscriptions sur 106.
Comme le souligne le site d’information 24.hu, l’exercice de prospection électorale reste cependant limité, car l’addition des scores des candidats d’opposition ne vaut pas intention de vote pour un éventuel candidat unique. Tout comme est problématique le principe d’un report automatique des voix du Jobbik vers la gauche – et inversement. Par ailleurs, le niveau de détestation des différents partis d’opposition entre eux se ressent aussi entre leurs électorats respectifs.
Les circonscriptions qui pourraient échapper au Fidesz en 2018