Gergely Kovács : « Viktor Orbán réfléchira désormais à deux fois avant de modifier une loi »

Fini de rire pour le satirique Parti du Chien à deux queues ? Le célèbre MKKP, connu dans toute la Hongrie pour tourner en dérision depuis 2010 le Fidesz et son dirigeant Viktor Orbán, semble en tout cas changer progressivement de registre. Son fondateur Gergely Kovács fait le point sur l’année écoulée et les manifestations de décembre contre la « loi esclavagiste ». Entretien réalisé par l’hebdomadaire Magyar Hang.

Article publié le 4 janvier 2019 dans Magyar Hang sous le titre « Ma egy ellenzéki pártnak Magyarországon csak azok az eszközei, amiket az elmúlt hetekben láttunk ». Traduit du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.
Gergely Kovács – Photographie : Norbert Farkas (Magyar Hang)
On a pu lire sous de nombreux posts de votre page Facebook consacrés aux manifestations des commentaires disant « ça n’est plus drôle ». Cela signifie-t-il qu’il y a des sujets dont on ne peut plus rire ?

Nous essayons toujours de traiter les choses avec humour, mais il y a des choses comme la loi sur les sans-abris sur lesquelles nous manquons d’inspiration pour dire quelque chose d’utile. L’humour nous permet surtout de ne pas tomber dans la haine. La vie politique est désormais réduite en Hongrie à s’invectiver les uns les autres, ce qui a le don d’enrager les gens et d’accroître leur colère. La plupart des dirigeants politiques ne fait pas autre chose que de garantir chaque jour à ses électeurs la dose de colère obligatoire.

Nous essayons de rester en dehors de tout ça. Jargouiner au sujet des dernières déclarations de Lajos Kósa ou des derniers faits et gestes de László Kövér, je ne crois pas que ça fait avancer le pays même si il y a des gens à qui ça parle sûrement. Tout comme il y en a qui préfèrent en leur for intérieur tourner en dérision le gouvernement plutôt que le haïr. Ces besoins cohabitent en permanence, ça ne sert à rien de les opposer. C’est très bien si ça reste comme ça.

En Transdanubie, le chien à deux queues joue au chat et à la souris

Votre parti a été à l’initiative de nombreuses actions caritatives ces derniers temps. Est-ce un signe que l’humour laisse place peu à peu à des tâches plus sérieuses ?

C’est vrai que nous avons un peu évolué l’année écoulée. Auparavant nous avons surtout fait des blagues, alors que désormais nous faisons beaucoup de choses concrètes. Lorsqu’un parti reçoit de l’aide public, les électeurs demandent des comptes si on tourne tout en dérision, et ça nous ne pouvons plus nous le permettre. Mais le fait de faire des choses sérieuses ne signifie pas que nous nous prenons au sérieux. Il est bien plus important d’agir que de parler. Lorsque nous avons lancé notre parti, l’enjeu était de donner corps à la critique de la politique traditionnelle. Les forces politiques ont l’habitude de s’échanger des grands mots qui ne débouchent sur rien.

Nous avons largement voulu éviter de tomber là-dedans. C’est pour ça que nous avons décidé que le Parti du chien aiderait quiconque aimerait faire œuvre utile. L’argent que nous avons reçu suite aux élections de 2018 a été utilisé à ces fins. Nous soutenons ainsi plus de cent projets dans le cadre du « Fonds Sándor Rózsa servant à dilapider l’argent de la première campagne populaire » – la Rosanakatèque (Rósánékatéka). Si on trouve une idée bonne et qu’elle tape dans l’œil d’un « passiviste » (terme qui sert à désigner ironiquement les « activistes » du MKKP, ndlr), alors nous la soutenons. Quant à savoir parmi elles lesquelles sont des blagues et lesquelles sont sérieuses, cela ne dépend pas de nous. J’admets préférer les actions drôles, mais beaucoup de nos passivistes trouvent davantage leur place dans des choses plus sérieuses et utiles.

Vous dites que les mots sont rarement suivis des faits, pourtant dans le cadre des manifestations contre la « loi esclavagiste », les responsables d’opposition ne font pas que parler…

Oui c’est génial qu’ils se rendent compte après huit ans qu’ils existent. Dans la Hongrie d’aujourd’hui, les seules armes qu’il reste à l’opposition c’est ce que nous avons vu ces dernières semaines. Ils ont fait ce qu’il fallait faire vu la situation, et la population a bien réagi à leur sujet. Beaucoup sont descendus dans la rue et les dirigeants d’opposition ont pu constater que c’était la voie à suivre. L’idée que je me fais des partis politiques n’a pas pour autant évolué.

« Je me souviens très précisément comment le Jobbik communiquait quand il avait encore le droit d’insulter les Roms »

Je n’ai pas l’habitude d’effacer ma mémoire tous les deux ans et je me souviens très précisément comment le Jobbik communiquait quand il avait encore le droit d’insulter les Roms, tout comme je me souviens de la façon dont les socialistes (MSzP) ont dirigé le pays. Je n’aimerais pas les aider à accéder au pouvoir. Je pense que l’on pourra battre le Fidesz lorsque ces partis n’existeront plus. Mais l’on n’est pas obligé d’être d’accord avec moi. Si certains pensent que Ferenc Gyurcsány est la véritable alternative, alors soit, nous verrons bien ce qu’il en adviendra.

Pensez-vous que la série de manifestations représente un tournant ?

Tant que le gouvernement sera aussi populaire, il ne faudra pas attendre de miracle. Bien sûr les manifestations entament la popularité du Fidesz, mais pour l’instant sans grand danger pour lui. Je pense qu’il y aura encore quelques milliers de mobilisations, puis ça se calmera. L’intensification des manifestations ne vient que lorsque le gouvernement réagit avec violence. C’est ce qu’il s’est passé en Occident, dans le monde arabe, et aussi chez nous en 2006. Le gouvernement fait tout pour qu’il n’y ait pas de violence, d’autant que ce qui leur donne leur légitimité c’est entre autres Ferenc Gyurcsány, « celui qui vous ment en vous fixant droit dans les yeux ». Le fait de recourir au bout de huit ans à du poivre de Cayenne, ça signifie que la police agit très professionnellement. Bien sûr la foule dont nous parlons n’est pas agressive, et même s’il y a un noyau dur d’une centaine de personnes, la majorité s’exprime pacifiquement. Il y a quelques mois, quelqu’un est venu avec un œuf frais lors d’une manifestation sur la place Kossuth et il y a eu un long débat entre nous pour savoir s’il fallait leur jeter dessus. Maintenant les gens sont passés à l’acte.

Si, comme vous le dites, les choses se calment, cela signifie que la mobilisation ne débouchera sur rien ?

Au sujet de l’objet des manifestations, il est clair que non, car le Fidesz ne peut jamais se tromper et il avance tête baissée, mais à l’avenir il est possible qu’ils réfléchiront à deux fois avant de modifier une loi. Car on se rend compte désormais que tout ne peut pas être fait sans conséquence.

Le chien à deux queues et les pirates

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