« Ville la plus agréable au monde » : l’héritage d’un siècle de social-démocratie à Vienne

Ces dernières années, Vienne arrive régulièrement en tête des classements internationaux sur la qualité de vie. Le plus récent, publié le mercredi 4 septembre par l’hebdomadaire anglais The Economist, vante les infrastructures, la qualité de l’air, ainsi que l’offre culturelle, éducative et médicale de la capitale autrichienne. Une réussite qui s’explique en partie par la politique sociale initiée par « Vienne la Rouge » il y a un siècle.

Vienne, correspondance – Les années passent mais les classements se ressemblent. A la première place du classement du cabinet Mercer depuis dix ans pour sa qualité de vie, Vienne vient pour la deuxième année consécutive d’être élue ville la plus agréable du monde par « Economist Intelligence Unit », une cellule affiliée à l’hebdomadaire anglais The Economist. Ce classement de 140 villes lui a consacré 99,1 points sur 100, une note quasi parfaite ! Pour l’expliquer, il faut passer au crible différents domaines.

Infrastructures performantes et nombreux espaces verts

Le plus évident est l’efficacité des infrastructures. Les Viennois ne passent pas des heures dans les transports en commun, comme cela peut être le cas dans d’autres capitales européennes. Car le réseau est bien pensé : 5 lignes de métro, 28 lignes de tram (le réseau de tramway de Vienne, qui totalise 220 km, est le sixième plus grand réseau au monde) et 129 lignes de bus permettent de se déplacer facilement. Et à moindre coût : un euro par jour si vous avez un abonnement à l’année ! Résultat : le nombre de cartes annuelles de transport dépasse celui des voitures dans la capitale autrichienne. Vienne est également une ville où l’on respire ! Près de la moitié de la capitale est en effet recouverte d’espaces verts : il y a les vignobles, où l’on peut déguster les vins de la région dans les célèbres Heuriger, le Danube, où l’on peut se baigner et les immenses bois de Vienne, le Wienerwald, où de nombreux habitants aiment se promener.

Une politique sociale

Les Viennois sont très fiers de leur ville : 96% d’entre eux se disent satisfaits de la capitale autrichienne, selon un sondage réalisé par Eurostat. Beaucoup expliquent que Vienne est une ville à « taille humaine » – elle compte 1,9 million d’habitants mais est, par exemple, cinq fois moins dense que Paris. Humaine aussi car Vienne a mis en place une véritable politique sociale. Pour ne prendre qu’un exemple : la culture. Évidemment, Vienne est mondialement connue pour ses monuments, ses musées, ses cafés, ses théâtres et opéras. Que vous soyez fan de Sissi ou de la Sécession viennoise, nul doute que vous y trouverez votre compte. Mais l’offre culturelle n’est pas seulement abondante, elle est également accessible. Un « Kulturpass » permet par exemple aux personnes les plus précaires d’avoir accès à de nombreuses institutions culturelles gratuitement.

« Vienne la Rouge »

Cette politique sociale a été initiée il y a un siècle par les sociaux-démocrates, qui dirigent Vienne depuis 1919 quasiment sans interruption, à l’exception de la période austrofasciste et nazie entre 1934 et 1945. On fête en effet cette année le centième anniversaire de « Vienne la Rouge », surnom de la ville entre 1919 et 1934, une période marquée par de profondes réformes politiques. Les plus importantes, sans doute, concernent le logement.

En 1919, lorsque les sociaux-démocrates arrivent au pouvoir à Vienne, il y a une pénurie de logements, les plus pauvres n’ont pas d’habitation décente. Qu’à cela ne tienne : la mairie fait construire plus de 60 000 logements sociaux jusqu’en 1934. Pour financer ses mesures, le parti social-démocrate a un programme simple : il impose les riches et taxe les produits de luxe, comme le champagne ou certains plaisirs comme les courses hippiques. La politique de construction de Vienne la Rouge perdurera après la Seconde Guerre mondiale : de 1947 jusqu’au début des années 1960, le nombre de logements sociaux est doublé.

Un héritage qui perdure

La situation du logement à Vienne aujourd’hui, citée en exemple dans toute l’Europe, est héritée de cela : Wiener Wohnen, le bailleur social de la capitale autrichienne, est le plus important d’Europe, la ville possède en effet 220 000 logements sociaux – soit 1 logement sur 4 ! Or, ces logements ne sont pas situés en banlieue mais dans la ville pour la plupart, à des endroits divers, y compris dans le très chic premier arrondissement.

Mieux, dans ces logements sociaux, il y a une réelle mixité sociale. 500 000 viennois, soit plus d’un quart des habitants, vivent dans l’un de ces logements et ce ne sont pas uniquement les plus pauvres : les conditions d’entrée dans un logement social fixent un maximum de revenu à plus de 3000 euros pour une personne seule ! Les prix des loyers, de 300 à 750 euros – du studio au quatre pièces – sont très faibles comparés aux autres capitales européennes. Outre cela, la ville verse également des subventions à des promoteurs qui construisent des logements à buts non lucratifs avec des loyers modérés.

Résultat : plus de 60% des Viennois vivent aujourd’hui dans une habitation à loyer plafonné. Cette politique tire les prix de l’ensemble du marché locatif vers le bas, expliquent les spécialistes. Un modèle que beaucoup de Viennois veulent voir préservé au XXIe siècle, des associations restent donc vigilantes pour que le logement reste accessible à tous, alors même que dans le privé les loyers ont tendance à augmenter ces dernières années.

Un bastion rouge qui se fissure

Bastion rouge, ville multiculturelle – un habitant sur deux est né ou a un parent né à l’étranger – Vienne est un cas à part dans une Autriche plutôt conservatrice. D’ailleurs la capitale est souvent montrée du doigt par la droite. L’ex-chancelier conservateur Sebastian Kurz – candidat à sa propre succession lors des élections législatives anticipées le 29 septembre prochain – et le FPÖ, le parti d’extrême droite, sont régulièrement accusés de « Vienne bashing » car ils critiquent le modèle viennois, arguant, par exemple, qu’il y a trop de dépenses sociales. Il faut dire que ce bastion rouge se fissure depuis plusieurs années. Si la gauche a remporté les élections municipales de 2015, le FPÖ y a réalisé son meilleur score dans la ville, 30%, et ambitionne de faire davantage lors des municipales dans la capitale l’an prochain.

Vianey Lorin

Journaliste

Correspondant à Vienne pour France 24, AFP TV et Mediapart.

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