Récit d’une journée au Parlement européen qui pourrait rebattre les cartes en vue des élections européennes du printemps 2019.
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |

Strasbourg, envoyé spécial –A la veille d’un vote très attendu mercredi qui pourrait déclencher une procédure de sanctions à l’encontre de la Hongrie, mais surtout rebattre les cartes des forces politiques européennes huit mois avant les élections, la venue de Viktor Orbán a donné lieu à de vives échanges, aujourd’hui au Parlement européen à Strasbourg. La gauche et les libéraux dénoncent de multiples violations de l’état de droit, Orbán et ses proches se défendent et parlent d’un procès « à charge ». Une partie importante du PPE pourrait finalement lâcher le patron du Fidesz demain.
« Je souhaitais lui serrer la main, mais il est arrivé en retard… » La petite phrase, bien placée, de la rapporteure verte Judith Sargentini a eu le mérite de donner le ton, cet après-midi au Parlement européen de Strasbourg. L’eurodéputée néerlandaise avait la lourde tâche de présenter son rapport sur l’état de droit en Hongrie devant les eurodéputés, mais aussi devant Viktor Orbán. Le Premier ministre hongrois est en effet venu en personne défendre « sa patrie et l’honneur des Hongrois« .
Une entrée triomphale
Visiblement agacée par l’arrivée sous les hourras de l’extrême-droite du chef d’État magyar, Judith Sargentini débute sa présentation et tout de suite, les premiers coups pleuvent : « Le gouvernement [hongrois] a mis sous silence les médias, les juges indépendants ont été remplacés par des proches du pouvoir. Et cet été, l’une des dernières chaines indépendantes a changé de propriétaire, elle est devenue le porte-voix du gouvernement. » Pour la députée verte, il est maintenant l’heure « d’agir« , « afin que le traité ne soit pas une simple feuille de papier. »
En déclenchant l’article 7 du traité sur l’Union européenne, la Hongrie serait alors dans une situation sans précédent, puisqu’elle pourrait se voir retirer son droit de vote au Conseil de l’Union. Le libéral Guy Verhofstadt enchaîne et rappelle que la Hongrie « ne remplirait plus aujourd’hui les conditions d’adhésion à l’UE. » L’air sérieux, Orbán se sait menacé et joue la carte de la victime. « Je sais que vous vous êtes déjà fait une opinion, lâche-t-il à l’assemblée. Mais vous n’allez pas condamner un gouvernement, mais un pays. »
Au cours des six minutes qui lui sont allouées, le chef d’État rappelle que la Hongrie s’est soulevée contre l’armée soviétique et qu’elle s’est toujours battue pour la liberté et la démocratie. Pour lui, le PPE (parti populaire européen, chrétiens-démocrates) est « une grande famille qui a et qui aura encore des débats et des disputes« . Il dénonce un « chantage » qui « priverait les Hongrois de défendre leurs droits dans l’Union européenne« .
Un manque de légitimité
Si la position des groupes parlementaires de gauche et des libéraux (en faveur du rapport Sargentini), ainsi que celle des conservateurs et de l’extrême-droite (contre) ne fait aucun doute, le résultat des votes est maintenant dans les mains du Parti populaire. Car pour enclencher la procédure, le Parlement doit voter le texte à la majorité absolue et aux deux-tiers des suffrages exprimés.
Les eurodéputés PPE de pays comme la Tchéquie ou l’Italie affichent clairement leur soutien au dirigeant hongrois. « L’Union européenne n’est pas légitime pour juger la conception de la famille ou la relation à l’avortement en Hongrie, explique Tomáš Zdechovský. Ce n’est pas une histoire d’être pour ou contre Orbán, mais pour moi, ce rapport n’a pas été établi sur des bases objectives. Par exemple, où sont les représentants de l’Eglise ? J’aurais souhaité avoir leur avis sur la question. » Quant aux parlementaires polonais, ce sont les élus du parti Droit et justice (PiS), non membres du PPE qui volent au secours de l’homme fort de Budapest. A l’instar de Ryszard Legutko, qui estime que « les arguments de la majorité sont ignorés » et que le texte se base « exclusivement sur des groupes anti-Fidesz« .
D’autres délégations, comme Les Républicains, sont plus divisés sur la question. « Qui sommes-nous pour juger la légitimité d’Orbán, réélu avec plus de 49 % des voix« , s’interroge Franck Proust, chef de file des députés français de droite. Pour son collègue Jérôme Lavrilleux, il n’y a aucun doute à avoir : « Je voterai pour cette résolution, ‘enough is enough’« , c’en est trop pour l’eurodéputé. « Les Hongrois sont libres de choisir qui ils veulent à la tête de leur pays, mais Orbán ne peut pas faire ce qu’il veut. »
En réunion de groupe, ce mardi soir, son président, Manfred Weber, n’a donné aucune consigne, pour ce vote qui pourrait se jouer dans un mouchoir de poche.
Erratum 12/09/2018 – 12h00 : suite au signalement d’un de nos lecteurs, nous avons corrigé une erreur concernant les eurodéputés PPE de Pologne qui, selon la formulation, soutiendraient M. Orbán. Il n’en est rien : ce sont les parlementaires du PiS, non membre du PPE qui ont pris fait et cause pour le Fidesz.