Un ministre hongrois mis en cause dans une affaire de (très) gros sous

« L’affaire de Csenger » ou « l’affaire des 1 300 milliards », comme on l’appelle déjà, déchaîne l’opposition à quelques jours des législatives. Lajos Kósa, ministre du gouvernement de Viktor Orbán, est en effet soupçonné d’être impliqué dans une affaire aux retombées politiques potentiellement dévastatrices pour le pouvoir.

La scène est cocasse et fait d’ailleurs rire bon nombre d’internautes hongrois. En déplacement à Pécs mardi dernier, la voiture du ministre sans portefeuille Lajos Kósa s’est retrouvé bloquée par un fourgon mal stationné alors qu’il tentait d’échapper aux journalistes. Dans une manœuvre délicate de son chauffeur, le membre du gouvernement est finalement parvenu à s’exfiltrer sans trop d’égratignures (contrairement à sa portière arrière gauche) et ainsi à ne pas affronter la presse.

Il faut dire que depuis deux semaines, Lajos Kósa se trouve mis en cause dans une drôle d’affaire. Le quotidien conservateur Magyar Nemzet, propriété de l’oligarque Lajos Simicska, a publié un document le 13 mars dernier, dans lequel on apprend que le ministre de Viktor Orbán et maire de Debrecen avait conclu le 2 février 2015 un accord avec une riche héritière – Mme Gábor Szabó – pour co-gérer des actifs à hauteur de 4,3 milliards d’euros (1300 milliards de forints), déposés sur un compte de la banque hongroise de développement (FHB) et destinés à être investis dans des bons d’obligation du Trésor hongrois.

Quelques heures après cette révélation, Lajos Kósa a répondu aux questions de journalistes de l’hebdomadaire HVG et de la chaîne ATV en expliquant que cette dame, habitante du petit village de Csenger, l’avait sollicité pour qu’il la conseille dans la gestion d’un héritage faramineux qu’elle aurait reçu d’Allemagne. « Après renseignement, je suis arrivé à la conclusion que cette dame m’a trompé et que toute cette histoire est une grosse bêtise », s’est défendu le ministre, répétant « ne jamais avoir touché un seul centime ». Une version des faits qu’il a jugé bon de marteler dans une vidéo mise en ligne le même jour sur sa page Facebook, tout en reconnaissant – après l’avoir nié – l’authenticité des documents publiés par le Magyar Nemzet.

Le lendemain, le Magyar Nemzet a révélé dans un deuxième article que le ministre avait effectué un virement de 2,6 millions d’euros à sa mère, en guise de « cadeau », et qu’il détiendrait des actions dans une compagnie d’aviation suisse – une information démentie depuis. Dans un post Facebook, Ákos Hadházy, le député LMP spécialiste des questions de corruption a emboîté le pas du quotidien conservateur sur les révélations de la veille, en montrant sur un schéma les liens commerciaux entre la riche héritière qui l’aurait escroqué et István Fiák, l’heureux propriétaire de l’ancienne ferme du ministre. Selon le parlementaire d’opposition, « la fille d’István Fiák est copropriétaire d’une autre société avec Mme Gábor Szabó (la ménagère milliardaire) et János Czakó, qui, selon le Magyar Nemzet, aurait pu avoir des relations d’affaires avec Kósa. » Pour lui, de nombreux autres éléments renforcent « la suspicion selon laquelle il existe un vaste réseau de blanchiment d’argent autour de Kósa ». 

Embourbé dans une défense chaotique et erratique, Lajos Kósa a été prié en début de semaine par son parti – le Fidesz – de ne plus participer à des manifestations publiques pendant la durée de la campagne législative en cours et de mettre un frein définitif à ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire de Csenger » ou « l’affaire des 1 300 milliards ». Le ministre s’est finalement rendu hier sur le plateau de la chaîne TV2 pour tenter de politiser l’affaire et couper l’herbe sous le pied des partis d’opposition, qui en ont fait un argument électoral coup-de-poing à quelques jours du scrutin législatif du 8 avril prochain.

L’Office nationale d’investigation (NNI) s’est en tout cas emparée du dossier et a déclaré souhaiter entendre le témoignage de Mme Gábor Szabó, laquelle a quitté le pays la semaine dernière. Selon son avocat László Helmeczy, son départ pour l’étranger s’expliquerait uniquement « pour des raisons de santé ».

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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