Un 23 octobre sans Viktor Orbán

Ce dimanche, la Hongrie célèbrera sa troisième fête nationale de l’année (après le 15 mars et le 20 août). Le parti au pouvoir, la Fidesz, a annoncé il y a quelques jours que son traditionnel meeting du 23 octobre, au carrefour Astoria à Budapest, n’aurait pas lieu. C’est l’absence de son « héros national », le premier ministre Viktor Orbán, contraint de se rendre au Conseil européen, qui a motivé cette décision. N’en déplaise à la droite, le quartier sera libre pour la grande manifestation anti-gouvernementale prévue dimanche dans la capitale hongroise, sur Szabadsag Sajto utca à partir de 15h.

« Quand le chat n’est pas là… »

Dans la conjoncture actuelle, le chef magyar qui se vante si souvent de ne pas recevoir d’ordres de l’Union européenne aurait sûrement préféré galvaniser une foule acquise à sa cause plutôt que d’aller se faire tout petit à Bruxelles.

Toutefois, si Orban manquera beaucoup à ses supporters, son absence sera sans doute une bonne nouvelle pour le collectif anti-gouvernemental et pro-liberté de la presse (Egymillióan a magyar sajtószabadságért), qui organise sa deuxième grande manifestation de l’année intitulée « Je n’aime pas ce régime » (Nem tetszik a rendszer). Le rassemblement se fera du côté Pest du pont Erzsébet, à quelques centaines de mètres d’Astoria.

A l’occasion de la fête nationale du 15 mars, le collectif pour la liberté de la presse créé sur Facebook avait réussi à rassembler entre 20 000 et 30 000 opposants au gouvernement Orbán  – selon les chiffres de la police – sur la bien nommée « Rue de la Presse libre » (Szabad Sajtó utca). En l’absence du meeting de la Fidesz, ils seront sûrement nombreux à revenir dimanche pour critiquer l’action gouvernementale. Les policiers seront sans nul doute eux aussi très nombreux au rendez-vous pour les avoir à l’oeil.

La Fidesz confuse

Si la Fidesz avait organisé un grand meeting comme elle le prévoyait encore la semaine dernière, la situation entre les deux groupes de manifestants aurait pu se révéler dangereuse sur Kossuth Lajos utca. La solution aurait été d’organiser les deux événements à des heures différentes, mais, avant de savoir qu’il allait être forcé de se rendre à Bruxelles, Viktor Orban était catégorique. Il était hors de question de changer l’heure de son meeting. Comme si le Premier ministre était inquiet que le rassemblement contre son gouvernement puisse prendre une trop grande ampleur.

En organisant son meeting à la même heure que le collectif pro-liberté de la presse, la Fidesz pouvait donc espérer décourager certains de ses détracteurs de se rendre au rassemblement voisin. D’une part, la plupart des manifestants contre le gouvernement venant de Pest auraient dû traverser le meeting Fidesz pour s’y rendre. D’autre part, dans le cas où des échauffourées éclateraient, ils n’auraient eu aucune issue. Ils n’auraient pu que traverser à nouveau la foule de supporters Fidesz (voir le plan ci-dessous).

Seulement voilà. Deux semaines après avoir annoncé son meeting, la Fidesz apprenait que le Conseil européen se tiendrait le même jour. C’est à ce moment-là que sa communication est devenu confuse, tergiversant sur l’organisation du dit meeting. Car sans Viktor Orban, les supporters Fidesz auraient été moins nombreux à se déplacer et les chances de voir les contre-manifestants en surnombre auraient été trop grandes.

Le 10 octobre lors d’une réunion des ministres des Affaires Etrangères européens, Janos Martonyi devait accepter la date du 23 octobre fixée pour le Conseil européen. Le porte-parole personnel du Premier ministre, Péter Szijjarto, a alors attendu une longue semaine avant d’annoncer, le 17 octobre, qu’il n’y aurait pas de meeting de la Fidesz ce dimanche. Il est évident que la date du Conseil européen, fixée tardivement, a beaucoup embarrassé Viktor Orban. D’abord parce qu’exploiter les fêtes nationales est son « grand truc ». Ensuite, parce que depuis son élection, il a souvent fait savoir aux Hongrois qu’il n’avait pas d’ordres à recevoir de Bruxelles. Son voyage forcé a d’ailleurs fait les choux gras de la communication du parti d’extrême droite Jobbik toute la semaine.

Souvenirs de 23 octobre

Faut-il le rappeler, le 23 octobre en Hongrie est l’occasion de commémorer l’insurrection de 1956 (55ème anniversaire cette année) durement réprimée quelques jours plus tard par les troupes soviétiques. On se souvient également des émeutes il y a cinq ans, et des débordements policiers sur la population (extrémiste et non extrémiste) qui ont tourné au drame. Ce 23 octobre 2006 peut d’ailleurs être considéré comme une date clé pour la Fidesz dans sa reconquête du pouvoir.

Ce jour-là, le meeting de la Fidesz (qui était alors opposée au gourvenement socialiste de Ferenc Gyurcsany) avait délibérément été tenu à Astoria, proche d’une manifestation de groupuscules antisémites d’extrême droite. Ces derniers manifestaient tous les jours depuis près d’un mois et leur action était régulièrement soutenue publiquement par certains grands orateurs de la Fidesz, dont Viktor Orban. Aujourd’hui encore, les détracteurs d’Orban sont convaincus qu’il avait orchestré ce qui allait se passer : à l’issue du meeting, les manifestants Fidesz se sont mélangés aux extrémistes et lorsque les émeutes ont commencé, la répression policière est devenue incontrôlable.

Le souvenir douloureux des victimes du 23 octobre 2006 est régulièrement ravivé par les conservateurs, qui entendent bien faire payer les « responsables ». Ainsi, l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány est en première ligne dans une enquête menée actuellement par le Parquet de Budapest, suspecté d' »actes de terrorisme » durant les événements d’octobre 2006. Plusieurs dirigeants de la police de l’époque sont également impliqués dans cette enquête.

Le peuple, la propriété de Viktor Orban ?

Meeting de la Fidesz à Astoria le 15 mars 2008

Le 18 octobre dernier, un jour après l’annonce de l’annulation du rassemblement Fidesz, le quotidien de droite Magyar Nemzet publiait un article d’opinion violent contre les organisateurs de la manifestation anti-gouvernementale Nem tetszik a rendszer. Dans l’article, l’auteur explique que les organisateurs de cette manifestation n’aiment pas, non pas le gouvernement, mais la démocratie elle-même. Il les accuse également de préférer l’ancien gouvernement, sous l’autorité duquel « des femmes sans défense ont été attaquées » par la police il y a cinq ans. Selon lui, les manifestants d’après demain approuveraient donc les dérapages policiers de 2006.

Sur son blog Hungarian Spectrum, Eva S. Balogh pose alors la question : « Pourquoi tant de véhémence envers un groupe de manifestants inoffensifs, rassemblés par un réseau social et dénués d’idéologie clairement définie ? Peut-être parce que Orban lui-même ne connaît que trop bien le pouvoir potentiel des foules et parce qu’il ne souhaite pas que l’opposition l’utilise à son tour contre lui ».

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