Sur le site 24.hu, l’analyste politique hongrois Zsolt Kerner revient sur des mois de controverse entre le Fidesz et le Parti Populaire européen. La fin de plus en plus probable de ce mauvais feuilleton : le départ du Fidesz vers l’extrême-droite, et peut-être dès avant les élections européennes !
Article publié le 13 mai 2019 dans A2larm sous le titre « Téma evropských voleb nejsou imigranti ani čokoládová poleva ». Traduit et adapté du tchèque par André Kapsas. |
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
Il y a quelques semaines, au grand raout de l’extrême droite européenne organisé par Matteo Salvini à Milan, on disait encore de Viktor Orbán qu’il était « comme cette jolie fille du lycée qu’on essayait de séduire, mais en vain ». Tout le monde pensait que le conflit entre le Fidesz et le Parti populaire européen déboucherait sur un statu quo après les élections européennes, et que Viktor Orbán conserverait sa place dans la grande famille chrétienne-démocrate, bien campé sur son flanc droit.
Pourtant au sein du Fidesz, tout semble indiquer que la décision de quitter le PPE a été entérinée. Si Viktor Orbán avait déclaré « qu’aucune décision ne serait prise avant le scrutin européen », la nasse dans laquelle s’est empêtré le premier ministre hongrois après son « auto-suspension » en mars dernier ainsi que les mauvais sondages du PPE ont sans doute décidé les Hongrois à vouloir prendre les devants. Les événements de ces derniers jours plaident en tout cas très clairement en faveur de cette hypothèse.
Lundi dernier, Viktor Orbán a ainsi mis de côté ses habituelles précautions oratoires à l’endroit de Manfred Weber, le Bavarois désigné candidat par le PPE pour succéder à Jean-Claude Juncker à l’automne prochain. Aux côtés du vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, le premier ministre hongrois s’est subitement remémoré les déclarations hostiles de celui qui veut prendre la tête de la commission européenne avait eu en mars dernier et selon lesquelles « il n’accepterait pas la confiance du parlement [européen] s’il doit compter sur les voix du Fidesz ». Évoquant une « insulte envers les Hongrois », Viktor Orbán a considéré son ancien allié, membre de la CSU, « inapte à diriger » l’administration bruxelloise et acté que son projet d’alliance entre le PPE et l’extrême-droite est définitivement minoritaire.
Si le PPE a préféré relativiser la sortie du dirigeant hongrois, en évoquant la défection du Fidesz lors de l’élection de Jean-Claude Juncker il y a cinq ans, la crise qui fracture la droite européenne pourrait avoir cette fois des conséquences plus lourdes.
Des mois de turbulence entre le Fidesz et le PPE
Les relations entre le Fidesz et le PPE se sont définitivement détériorées en février dernier, au moment où gouvernement hongrois a lancé une « campagne d’information » mettant en scène Jean-Claude Juncker en homme de main de George Soros. Des affiches montrant le visage des deux hommes avaient alors fleuri dans tout le pays et popularisé la rhétorique électorale du Fidesz aux frais de tous les contribuables hongrois.
Mais le fait que Viktor Orbán soit capable d’agresser un membre de sa propre famille politique pour satisfaire des calculs électoraux de court terme n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu de relations déjà exécrables. Le courant le plus hostile au Fidesz, constitué des partis les plus libéraux principalement originaires d’Europe du nord, avait déjà voté en septembre en faveur du rapport Sargentini qui dénonçait les risques systémiques sur l’État de droit en Hongrie. L’affaire de l’affiche Juncker-Soros les a encouragés à monter au créneau et réclamer une nouvelle fois auprès de la direction du PPE l’exclusion du Fidesz.
Pour sauver la face et préserver ses amitiés danubiennes, Manfred Weber avait adressé un ultimatum en trois points à Viktor Orbán, portant sur le maintien à Budapest de l’Université d’Europe centrale (CEU), la fin des campagnes d’affichage hostiles à M. Juncker et à l’Union européenne, et enfin la présentation d’excuses auprès de ceux du Parti populaire européen que le premier ministre hongrois avait traité « d’idiots utiles » de la gauche libérale. Les petites concessions octroyées par Viktor Orbán avaient alors permis au Fidesz d’éviter l’humiliation d’une exclusion et de présenter les sanctions prises à son encontre comme une « autosuspension » décidée d’un commun accord.
Mais les hostilités ont repris de plus belle dans le courant du mois d’avril alors que le PPE envisageait de plus en plus sérieusement un schéma de coalition avec les sociaux-démocrates et un troisième bloc centriste pour faire barrage à l’émergence vraisemblable d’un important bloc « populiste » et d’extrême droite dans le futur parlement européen. Se disant fin mars « content de pouvoir enfin faire campagne » et ne plus passer son temps à commenter les moindres faits et gestes de son encombrant allié hongrois, Manfred Weber a dû essuyer les feux nourris d’un Viktor Orbán mettant à profit son temps de parole pour forcer le PPE à reconsidérer ses alliances en faveur des partis « anti-immigration ».
Mis sous tension à sa droite par le Fidesz, le PPE pourrait également devoir gérer un éventuel départ de son aile la plus progressiste vers l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE), une formation centriste que le président français Emmanuel Macron aimerait bien voir se renforcer afin de lui assurer l’assise la plus large possible au sein des instances européennes.
S’il est acquis que les partis d’extrême droite ne parviendront pas à former une majorité à eux-seuls, ces derniers pourraient constituer une minorité de blocage, surtout si les Britanniques envoient de nombreux eurodéputés pro-Brexit dans la prochaine assemblée. Mais pour s’exprimer d’une seule voix, les différentes droites radicales devront avant tout surmonter les nombreuses divergences qui les ont empêchées jusqu’à ce jour de former un groupe unitaire au sein du parlement européen.
« S’il semble avoir temporairement perdu la main, le chef du Fidesz semble vouloir se laisser toutes sortes de portes de sortie si la situation politique européenne venait à évoluer brutalement. »
L’alliance entre le Fidesz et l’extrême droite : une équation à plusieurs inconnues
Viktor Orbán n’attend pas son départ du PPE pour déjà lier langue avec différentes formations d’extrême droite. S’il s’est volontiers affiché ces dernières semaines avec son « héros » italien Matteo Salvini et le voisin autrichien Heinz-Christian Stache, le premier ministre hongrois semble vouloir conserver à tout prix l’image de respectabilité que lui conférait jusqu’à présent sa carte de membre de la vénérable démocratie chrétienne européenne. De ce fait, Viktor Orbán choisit ses interlocuteurs parmi des partis qui sont déjà au pouvoir dans plusieurs pays européens, et qui démontreraient selon ses propres termes, qu’ils se tiennent éloignés de l’image « extrémiste » que certains aimeraient leur coller.
Pour le Fidesz, le rapprochement avec le Parti autrichien de la liberté (FPÖ) permet de mettre le PPE face à ses propres contradictions. Alors que le chancelier conservateur Sebastian Kurz (ÖVP) fait campagne en Europe pour porter Manfred Weber à la tête de la Commission européenne, il compte dans son gouvernement de nombreuses figures d’extrême droite qui s’allieront volontiers aux partis de Matteo Salvini et de Viktor Orbán au sein du futur parlement européen.
Mais les accords que Matteo Salvini a déjà noué avec le Rassemblement national français (RN), l’AfD allemande ou les amis de Geert Wilders aux Pays-Bas, restent des cailloux dans les souliers vernis du premiers ministre hongrois. Selon l’homme de médias français Bernard-Henri Lévy en visite il y a un mois à Budapest, Viktor Orbán lui aurait confié qu’il « ne fera alliance en aucun cas avec Marine Le Pen », se justifiant ainsi : « quand un responsable politique n’est pas au pouvoir, il peut dire et faire n’importe quoi. Il peut déraper. Et je ne veux pas être mêlé à ça. »
Le chef de gouvernement hongrois cherche par ailleurs à conserver les meilleures relations avec ceux qu’il estime encore ses alliés au sein du PPE. C’est particulièrement vrai avec Forza Italia de Silvio Berlusconi ou le parti français Les Républicains dirigé par Laurent Wauquiez, que Viktor Orbán considère comme des partenaires potentiels dans son projet de transformation de l’Union européenne. Même s’il semble avoir temporairement perdu la main, le chef du Fidesz semble vouloir se laisser toutes sortes de portes de sortie si la situation politique européenne venait à évoluer brutalement.