Sur la place du Parlement, le pouvoir hongrois efface la mémoire de l’insurrection de 1956

L’iconique statue d’Imre Nagy, exécuté par le pouvoir communiste en 1958 et martyr de l’insurrection de Budapest, va être transférée des abords du Parlement sur Jászai Mari tér. La place Kossuth retrouvera ainsi son aspect de l’entre-deux-guerres.

Il s’agit d’une des statues les plus photographiées de Budapest. Installée depuis 1996 sur un pont en bronze au sud-est de la place Kossuth, la ronde-bosse de l’ancien chef de gouvernement hongrois Imre Nagy, martyr de l’insurrection de 1956 exécuté par le pouvoir communiste en 1958, devrait bientôt perdre sa vue sur le Parlement hongrois. Le conseil des lieux de mémoire nationaux d’exception (KNEB) a donné son feu vert vendredi pour son déménagement sur Jászai Mari tér, le jardin public situé aux abords du pont Marguerite.

Crédit : Népszabadság

Ce déménagement lourd de symbole constitue le dernier acte de la réhabilitation de la place Kossuth, entamée par le gouvernement de Viktor Orbán en 2012 avec le démantèlement de la statue du « comte rouge » Mihály Károlyi et la disparition de l’ensemble des réaménagements effectués pendant la période communiste. Le groupe de statues installées en 1952 représentant Lajos Kossuth en chef révolutionnaire a cédé la place en 2014 à la sculpture d’origine, mettant en scène la mort du héros de 1848, le moulage de Mihály Károlyi a été remplacé par un mémorial dédié à son ennemi politique István Tisza, tandis que la statue équestre de Gyula Andrássy a retrouvé sa place au sud de l’esplanade, dominant le Danube.

Le monument aux martyrs nationaux devrait retrouver sa place. Fonds Fortepan.

Dans les faits, le pouvoir hongrois a principalement redonné à la place du Parlement son aspect de l’entre-deux-guerres, alors que le pays était sous la coupe de l’amiral Miklós Horthy, une figure autoritaire, encore controversée de l’histoire contemporaine de la Hongrie, en raison de son rôle trouble durant la Seconde guerre mondiale et de sa politique d’alliance avec l’Allemagne nazie. Le monument qui devrait remplacer la statue d’Imre Nagy est d’ailleurs la copie de la composition statuaire d’origine, dédiée à la mémoire des « martyrs nationaux », morts durant la « terreur rouge » de la République des conseils, court régime d’inspiration soviétique dirigé par Béla Kun entre mars et août 1919.

Le parti gouvernemental Fidesz entretient une relation ambiguë à l’égard d’Imre Nagy, qui compte plutôt comme une figure tutélaire de la gauche anti-totalitaire hongroise. Lors d’un débat parlementaire avec le parti d’extrême-droite Jobbik le 25 juin dernier, le Viktor Orbán avait pris la défense de son lointain prédécesseur, rejetant les accusations de « moscovite » proférée par le député István Szávay, qui voulait débaptiser les quelques rues et places portant encore son nom. « Imre Nagy a choisi la mort pour rester fidèle à sa patrie », lui avait rétorqué le premier ministre, ajoutant que « c’est ce qui lui a permis d’avoir son billet d’entrée pour figurer parmi les dirigeants hongrois respectés ». Enfin, c’est sur la place des Héros, le 16 juin 1989, lors du « deuxième enterrement » d’Imre Nagy que Viktor Orbán avait prononcé un discours d’hommage qui l’a fait entrer avec superbe dans sa carrière politique.

Les rumeurs du déplacement de la statue sur Jászai Mari tér courent en réalité depuis juillet dernier. La société Imre Nagy, dépositaire de la mémoire de l’ancien dirigeant hongrois avait longtemps espéré que « le sujet ne soit plus à l’ordre du jour ». Dans un communiqué de presse, elle avait alors attiré l’attention sur le caractère consensuel du monument : « Son emplacement et son environnement ont été décidés par un haut conseil. Tout transfert lui ferait perdre tout son intérêt, tant du point de vue de la conception originelle de l’artiste, que de son insertion dans le paysage urbain et de sa symbolique historique ».

Hongrie 1956 : une révolution socialiste

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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