Slovaquie : Matovič profite du 3e anniversaire de la mort de Ján Kuciak pour…critiquer les journalistes

Selon le premier ministre Igor Matovič, les journalistes de la trempe de Ján Kuciak « se comptent sur les doigts des deux mains ». Une salve de critiques peu opportunes le jour de la commémoration de l’assassinat du journaliste.

C’est une façon très peu opportune de commémorer le troisième anniversaire de l’assassinat du jeune journaliste d’investigation Ján Kuciak. Dimanche, jour de commémoration sur la place SNP de Bratislava, Igor Matovič, toujours très prolixe sur facebook, s’est laissé aller aux mêmes dérives que ses prédécesseurs : s’en prendre à la presse.  

« Ján était le prototype du journaliste d’investigation honnête », commence-t-il. « Trois ans après le meurtre, il est temps de regarder la vérité en face à propos du journalisme slovaque : les journalistes de qualité comme Ján Kuciak se comptent sur les doigts de deux mains. Le reste c’est… […] superficiel, souvent biaisé et condescendant ».

A son arrivée au pouvoir en mars 2020, Igor Matovič avait proposé la création d’un fond public doté de dix millions d’euros destiné à soutenir le journalisme d’enquête, la formation de jeunes journalistes et l’éducation aux médias. Cette proposition a été rejetée par les grands médias du pays qui n’y ont pas vu de gages suffisants d’indépendance vis-à-vis du gouvernement. « Depuis, un torrent de haine se déverse sur moi. […] Pourquoi font-ils ça ? Je ne sais pas », écrit Matovič.

Dans le reste de sa publication, le chef du gouvernement reproche à la presse, sur un ton alambiqué, de manipuler l’opinion publique, de « ne pas chercher la vérité mais de la créer », de colporter « des mensonges et des demi-vérités » et de servir leur patron ou leur propriétaire plutôt que la société.

Le même jour, dimanche, une cérémonie à la mémoire de Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová, tués le 21 février 2018, s’est déroulée sur la place du soulèvement SNP à Bratislava, en présence de la présidente de la République. Zuzana Čaputová a déclaré que « Cela fait trois ans que l’événement tragique est devenu un moment historique de notre histoire. […] Aujourd’hui, nous connaissons les visages des auteurs, mais il est d’une importance capitale pour la justice slovaque de sanctionner également ceux qui ont ordonné les meurtres ». Le principal accusé, Marian Kočner, a été acquitté lors de son procès en première instance en septembre 2020.

Ces déclarations ont de quoi surprendre car Igor Matovič avait récemment donné des gages de sa volonté de protéger la liberté de la presse à l’ONG Reporters sans frontières. Lors d’une visite à Paris au début du mois de février, le dirigeant slovaque s’était rendu au siège de RSF pour rencontrer son secrétaire général, Christophe Deloire.

« La Slovaquie a des responsabilités particulières, au regard de l’assassinat de Ján Kuciak. Faites de votre pays un modèle de liberté de la presse en Europe », avait demandé Christophe Deloire, lors de sa rencontre avec Igor Matovič. « Nous avons été consternés de voir que si deux auteurs et un intermédiaire de l’assassinat ont été condamnés, le ou les commanditaires ne l’ont pas été. Si on devait en rester là, cela resterait comme une tâche sur l’histoire contemporaine de la Slovaquie ».

Outre la résolution de l’affaire Kuciak, RSF a estimé que la Slovaquie pouvait devenir un modèle en Europe centrale, notamment pour la Pologne et la Hongrie voisines, en garantissant une meilleure protection des journalistes et en mettant fin aux attaques verbales des politiques contre les médias.

RSF, par la voix de Christophe Deloire, n’a pas manqué de réagir à la volte-face du premier ministre slovaque : « ce mois-ci, je l’ai mis en garde contre le risque d’affaiblir le journalisme par des attaques verbales. Les dirigeants ont une responsabilité particulière. Ils ne devraient jamais porter d’accusations sans fondement contre les journalistes ni diffuser des critiques abusives ».

Au début de l’année, Monika Tódová, une des journalistes d’investigation les plus en vue en Slovaquie, a fait l’objet d’une inquiétante surveillance, faisant remonter de bien mauvais souvenirs parmi les journalistes slovaques, dont certains ont aussi été suivis et surveillés par des sbires de Marian Kočner dans un passé récent.

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.