Slovaquie : ce que l’on sait de l’assassinat de Ján Kuciak

L’enquête sur l’assassinat du journaliste slovaque Ján Kuciak et de sa compagne s’est brusquement accélérée. La police a, selon toute vraisemblance, mis la main sur les hommes de main. Quant au commanditaire, un homme d’affaires slovaque à la réputation sulfureuse fait aujourd’hui figure de suspect numéro un.

On en sait aujourd’hui beaucoup plus sur les conditions du meurtre du journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnířová, abattus le 21 février dans leur maison à Veľká Mača, cinquante kilomètres à l’est de Bratislava. Trois hommes et une femme ont été arrêtés jeudi et vendredi 27-28 septembre lors de plusieurs descentes de police dans le sud du pays, dans les villes de Kolárovo et Komárno, frontalières avec la Hongrie. Les quatre accusés ont été placés en détention provisoire dimanche, sur décision du juge du tribunal de Banská Bystrica, au centre du pays.

Le tueur à gage identifié

Lundi, les responsables de l’enquête policière et de la procédure judiciaire ont tenu une conférence de presse lors de laquelle ils ont affirmé détenir des « preuves solides » contre les accusés. Selon leurs conclusions à ce stade de l’enquête, c’est un ancien policier du nom de Tomáš Szabó qui a abattu le jeune journaliste de 27 ans et sa compagne par balles. Son cousin Miroslav Marček, un vétéran de l’armée slovaque, lui avait servi de chauffeur. Le tueur à gage, qui avait subi un entraînement en Pologne dans une agence de sécurité privée, a été recruté par une femme de 44 ans du nom d’Alena Zsuzsová, laquelle était passée par un intermédiaire, Zoltán Andruskó.

La police a aussi été en mesure d’affirmer que le tueur à gage avait reçu la somme de 50 000 euros pour son crime, et l’intermédiaire 20 000 euros sous forme d’une annulation de dette. Elle aussi confirmé que Martina Kušnířová, la fiancée du journaliste, était une victime collatérale, s’étant trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

Quant au(x) commanditaire(s) ?

En revanche, pas un mot concernant le ou les commanditaires, alors que la police a eu la certitude depuis le départ que le crime est le travail d’un ou de tueur(s) à gage. Le procureur a refusé de commenter les spéculations portant sur le nom de Marian Kočner, un homme d’affaires connu de la justice. Car selon les médias slovaques, Alena Zsuzsová, celle qui a recruté le tueur, était proche de Kočner : elle lui aurait servi d’interprète et il serait le parrain de son enfant.

Coup de tonnerre mercredi tard dans la soirée, quand le journal Denník N a rapporté que Zoltán Andruskó, l’intermédiaire, dont la police avait précisé lundi qu’il se montrait coopératif, venait de désigner Marian Kočner comme le commanditaire de l’assassinat. Un peu plus tôt dans la journée, l’homme déjà écroué depuis le mois de juin en raison de son implication dans une affaire d’escroquerie, avait été transféré dans la célèbre prison de Leopoldov, sans explications toutefois de la part du Procureur spécial en charge de l’enquête.

Si elle n’est pas encore confirmée par le procureur spécial en charge de l’enquête, la piste est solide. La dernière enquête de Kuciak, publiée le 9 février, visait précisément Marian Kočner, un homme d’affaires aussi riche que sulfureux, soupçonné dans diverses affaires de fraudes et sous les verrous depuis le mois de juin pour une affaire d’escroquerie. Kočner avait aussi déjà par le passé menacé le journaliste.

L’on a aussi appris jeudi qu’un contrat portait sur la tête du procureur général adjoint de l’enquête. Sans infirmer cette information, la police a demandé aux médias de taire leurs informations sensibles, afin de ne pas entraver le travail des enquêteurs.

Il est toutefois trop tôt pour écarter la piste de la mafia italienne, la ‘Ndrangheta, et des familles Vadala sur lesquelles enquêtait Kuciak quand il a été tué. Ces avancées de l’enquête pourraient avoir de fortes conséquences politiques. En effet, déchu de son poste de premier ministre en raison de ses liens indirects avec les Vadala, Robert Fico pourrait être remis en selle. Le président du SMER au pouvoir promet déjà de se venger des « mensonges » dont il a été victime et prépare son retour.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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