L’influence de la guerre russo-ukrainienne sur la campagne électorale, les chances de l’opposition de déloger Viktor Orbán… Le politologue Róbert László, spécialiste des élections auprès du think tank Political Capital, a répondu à nos questions, à une semaine des élections législatives en Hongrie.

Le Courrier d’Europe centrale : La guerre en Ukraine écrase la campagne électorale. Pouvez-vous expliquer comment le gouvernement et l’opposition en ont fait un outil électoral, avec plus ou moins de succès ?
Róbert László : La guerre semble tout écraser dans la campagne électorale, sans pour autant modifier l’équilibre des forces entre les concurrents. Pour l’instant, c’est le parti au pouvoir qui reste le plus susceptible de remporter les élections.
La machine de campagne gouvernementale a mis fin à la communication chaotique des premiers jours. Les politiciens affiliés au Fidesz ont repris leur ancienne rhétorique de « nous sommes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur » : à l’extérieur, le gouvernement approuve tout ce qui concerne l’UE et l’OTAN, mais à l’intérieur, ils continuent de critiquer les mêmes mesures qu’ils ont pourtant votées, dénonçant « la politique de sanctions de Bruxelles », comme si la Hongrie ne faisait pas partie du système d’alliance occidental. Le ministre des Finances Mihály Varga a lui aussi jugé que les « sanctions de Bruxelles » sont responsables de l’affaiblissement du forint.
La question « l’Est ou l’Ouest ? » qui s’est posée après la guerre a été transformée avec succès par le parti au pouvoir en un « la guerre ou la paix ». Le Fidesz dépeint l’opposition comme des va-t-en-guerre, comme quand ils les avaient étiquetés comme des « antivax » pendant la pandémie. Le parti au pouvoir répond ainsi au besoin fondamental de sécurité des électeurs. De son côté, l’opposition cherche à mettre le Premier ministre Orbán sur le même pied que Vladimir Poutine. Néanmoins, le choix entre « l’Est ou l’Ouest » dont elle veut faire le principal enjeu de l’élection est moins puissant dans l’opinion publique que celui du Fidesz, « la guerre ou la paix ».
« Le Fidesz, qui cible des électeurs ruraux, moins éduqués, réagit à des peurs existentielles, et dépeint l’opposition comme une menace. »
Les différences entre les messages mettent en lumière la variété de leurs groupes cibles. Pour l’opposition, qui s’adresse principalement aux électeurs urbains plus éduqués, il est évident que l’électorat comprend les menaces posées par les politiques pro-Poutine du gouvernement, tandis que le Fidesz – qui cible des électeurs ruraux, moins éduqués – réagit à des peurs existentielles, et dépeint l’opposition comme une menace.
Sans la bulle informationnelle dont bénéficie le Fidesz, ce ne serait pas si facile. La campagne du parti au pouvoir est plus efficace et mieux à même de gérer sa propre confusion, ainsi que de coller des étiquettes à ses adversaires, car il dispose d’une machine qui domine la sphère publique et de ressources inépuisables. Ainsi, le Fidesz est capable de maintenir ses propres électeurs dans une bulle d’opinion que ni les messages de l’opposition, ni les déclarations parfois confuses du gouvernement, ne peuvent percer.
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Quels seront, selon vous, les thèmes et les arguments sur lesquels se jouera l’élection ?
Le Fidesz a construit sa propre machine de mobilisation depuis des années. Le parti au pouvoir dispose de statistiques sur ses électeurs dans toutes les localités et circonscriptions. Les maires locaux affiliés au Fidesz, les représentants locaux et les militants ont des objectifs à atteindre dans leur propre commune. C’est la méthode que le parti au pouvoir s’abstient de mentionner publiquement mais qu’il utilise dans tout le pays, et son importance est bien plus grande que n’importe quelle message de campagne officiel.
En 2018, le Fidesz a obtenu moins de voix que tous les autres partis réunis. Pouvez-vous y revenir, et expliquer pourquoi il a tout de même obtenu une majorité des deux tiers ?
Le système électoral hongrois est théoriquement un système mixte, mais en fait, il s’agit plutôt d’un système majoritaire. Comme l’opposition était fragmentée en 2018, dans de nombreuses circonscriptions, les candidats du Fidesz ont pu l’emporter, malgré le fait que les candidats de l’opposition aient obtenu plus de voix. Sur les 106 circonscriptions, seuls 15 sont allées à un candidat de l’opposition, alors que près de quarante circonscriptions auraient pu être gagnées par les partis opposés au Fidesz, s’ils avaient présenté un candidat commun. À noter tout de même que cinquante circonscriptions n’auraient pu être remportées par l’opposition, même si elle avait été unie.
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En même temps que les élections législatives, il y aura un référendum sur la question de la « propagande LGBT ». Le Fidesz espère-t-il que ce référendum, qui a été rendu totalement invisible par la situation en Ukraine, mobilisera son électorat le jour J ?
En lançant ce référendum l’été dernier, le Fidesz pensait que leur campagne anti-LGBT durerait plus longtemps, mais les primaires de septembre-octobre et les énormes dépenses de campagne de janvier-février auront eu raison de ce projet. Sans même parler de l’invasion russe qui a évacué du débat les questions LGBTQ. Pour autant, on trouve dans les campagnes une quantité énorme de panneaux d’affichage sur le référendum, donc Fidesz espère très certainement que cela peut être un facteur de mobilisation supplémentaire.
Le Fidesz bénéficie d’un véritable empire médiatique. Comment le bloc d’opposition fait-il campagne et dans quelle mesure parvient-il à surmonter cet obstacle ?
Cet obstacle est impossible à surmonter, mais l’opposition essaie malgré tout. Ils viennent d’annoncer leurs trois principaux messages pour les deux semaines restantes de la campagne, à savoir : 1/ ils sont les seuls à être du côté de l’Occident, alors que le Premier ministre Viktor Orbán est l’homme de Poutine ; 2/ eux seuls peuvent résoudre la crise qu’Orbán a provoquée ; 3/ ils sont les seuls à pouvoir ramener chez eux des subventions européennes d’une valeur de 1,5 million de HUF (4098 euros) par personne.
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L’opposition appelle également tous ses électeurs à convaincre trois personnes de leur entourage d’aller voter contre le gouvernement actuel. En outre, à l’instar du Fidesz, elle rappelle à ses propres partisans, par téléphone, par SMS et par courrier, d’aller voter. Le résultat des élections sera largement influencé par la question de savoir si l’opposition – en s’appuyant notamment sur l’expérience des primaires – peut rivaliser avec le parti au pouvoir en termes de mobilisation dans les derniers jours de la campagne.
L’opposition place une grande partie de ses espoirs dans l’activisme de ses candidats. Dans la majorité des 106 circonscriptions, les candidats de l’opposition ont déjà fait campagne pour les primaires depuis l’automne dernier, cela veut dire qu’ils ne se sont pas seulement présentés auprès de leurs électeurs quelques semaines avant l’élection, et c’est là une différence essentielle par rapport à 2014 et 2018.