L’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 a marqué un tournant dans la vie politique hongroise, avec l’introduction de thématiques identitaires tout à fait inédites dans le débat public du pays. La crise des réfugiés de l’été qui a suivi n’a fait que confirmer la nouvelle obsession du Fidesz pour les thèmes de l’immigration extra-européenne, l’Islam et le terrorisme. Viktor Orbán fait aujourd’hui campagne pour sa réélection en présentant ses adversaires comme les suppôts d’un complot visant à l’islamisation de la Hongrie et de l’Europe. Comment en est-on arrivés là ? Retour sur les moments clés d’un mandat façonné par la propagande xénophobe.
Consultation sur « l’immigration clandestine et le terrorisme »
Les traversées de la Méditerranée depuis la Libye secouent l’Europe. La Hongrie se trouve confrontée à un afflux sans précédent de migrants par sa frontière serbe. On ne parle encore ni de « crise migratoire » ni de « Route des Balkans ». La popularité du Fidesz, réélu moins d’un an plus tôt, est en berne et le parti d’extrême-droite Jobbik apparaît alors comme une menace très sérieuse pour le pouvoir. Au mois de janvier, les attentats à Paris contre Charlie Hebdo et l’HyperCasher invitent les thématiques identitaires dans le débat public européen. C’est la première fois qu’en Hongrie, l’immigration extra-européenne, l’Islam et le terrorisme focalisent autant l’attention.
Le gouvernement annonce une « consultation nationale » contre « l’immigration clandestine et le terrorisme » sur douze points, dont :
– La Hongrie pourrait-elle être la cible d’une attaque terroriste dans les années à venir ?
– Selon certains, l’immigration, qui est mal gérée par Bruxelles, et le développement du terrorisme ont un lien. Êtes-vous d’accord avec cela ?
– Soutiendriez-vous des mesures plus strictes du gouvernement hongrois contre la politique permissive de Bruxelles ?
Campagne d’affichage « Si tu viens en Hongrie »
« Si tu viens en Hongrie » … « tu ne peux pas prendre le travail des Hongrois« , « tu dois respecter nos lois« , « tu dois respecter notre culture« , etc. Ces affiches sont placardées dans tout le pays. Elles interpellent directement les réfugiés qui seront quelques 400 000 à traverser le pays du printemps à l’automne 2015. Mais écrites en hongrois, elles ont naturellement une visée de politique intérieure.
Le référendum contre les quotas de demandeurs d’asile
La Hongrie a enfoncé un coin dans la Route des Balkans en clôturant sa frontière avec la Serbie au mois de septembre 2015. Avec l’hiver et la multiplication des difficultés aux frontières, le flot des réfugiés se tarit. Le gouvernement hongrois se tourne vers un autre ennemi : l’Union européenne et son plan de répartition des demandeurs d’asile stationnés en Grèce et en Italie, selon des quotas imposés aux Etats membres. La Hongrie doit accueillir 1 294 demandeurs d’asile.
A la fin du mois de février 2016, Viktor Orbán annonce un référendum contre les quotas européens. Dès le mois de juin, six messages sont matraqués dans les espaces publics, les journaux, sur internet et dans des spots télévisés (toutes les dix minutes durant les compétitions sportives de l’Euro de football puis les Jeux Olympiques d’été) :
– « Le saviez-vous ? L’attentat de Paris a été commis par des immigrants. »
– « Depuis le début de la crise migratoire, le nombre de harcèlements contre les femmes en Europe a considérablement augmenté. »
– « Bruxelles veut installer en Hongrie l’équivalent d’une ville d’immigrants illégaux. »
Le référendum sera invalidé faute de participation suffisante, mais aura accaparé les discours et l’opinion publique et étouffé toute voix discordante toute au long de l’année. La sociologue Mária Vásárhelyi va jusqu’à écrire que « les commandos de propagande des dictatures totalitaires n’auraient pas été capables d’un lavage de cerveau plus intensif« .

Affiche gouvernementale « Le saviez-vous ? L’attentat de Paris a été commis par des immigrants. »

Les campagnes gouvernementales saturent très rapidement le paysage, en ville comme à la campagne.

Depuis le début de cette politique d’affichages massifs, le célèbre parti satyrique du chien à deux queues (MKKP) est en première ligne, avec une stratégie de guérilla marketing. Sur cette affiche, qui détourne les codes de la campagne gouvernementale : « Depuis le début de la crise migratoire en Hongrie, il y a plus d’affiches bleues que d’immigrants ».
2017, proclamée année de lutte contre George Soros
Le milliardaire et philanthrope américano-hongrois George Soros est le nouvel ennemi brandi par le gouvernement qui lui a déclaré la guerre à la fin décembre 2016, proclamant l’année 2017 l’année de la « lutte contre Soros ». Un ennemi « parapluie » qui permet au Fidesz d’incarner les menaces qui pèsent sur le pays – le libéralisme et l’immigration – et de pointer les ennemis de la Hongrie : les partis de gauche hongrois, Bruxelles, la Commission européenne, Jean-Claude Juncker… Alors que l’Université d’Europe centrale (CEU) est dans le collimateur du pouvoir et que les ONG sont traitées « d’agents de l’étranger« , Fidelitas, la section des jeunes militants du Fidesz lance une campagne d’affichage qui griment les opposants en marionnette de George Soros.
Au printemps, consultation nationale « Stoppons Bruxelles ! »
Dans un questionnaire de six questions (Állítsuk meg brüsszelt!), accompagné d’une campagne de publicité, le gouvernement enjoint les Hongrois à se retourner contre Bruxelles, accusée de vouloir annuler des réductions des prix de l’énergie et de vouloir inonder le pays de migrants.
« Malgré les attaques terroristes qui se sont succédé en Europe, Bruxelles veut forcer la Hongrie à autoriser l’entrée d’immigrants clandestins dans le pays. Que pensez-vous que la Hongrie devrait faire ? – (A) Dans l’intérêt de la sécurité des Hongrois, ces personnes devraient être placées sous surveillance, le temps que les autorités décident de leur sort. – (B) Permettre aux immigrants illégaux de se déplacer librement en Hongrie. »

Affiche gouvernementale « Stoppons Bruxelles ».

Série de détournements réalisés par le célèbre Parti du chien à deux queues (MKKP). Dans l’ordre : 1) Affiche dégradée ; 2) « Merci pour les données » avec la tête de Vladimir Poutine ; 3) La même, en russe ; 4) Soros, Soros, Soros… ; 5) « Stoppons Bruxelles, Ils nous envoient trop d’argent ! » ; 6) « Stoppons Vienne ! »
A l’automne, consultation nationale contre le « plan Soros »
Au mois de juillet 2017, les désormais fameuses affiches bleues refont leur apparition dans tout le pays, montrant Georges Soros arborer une expression rieuse et mesquine. Elles proclament « Ne laissons pas Soros rire le dernier » et préparent le terrain à la consultation contre le « plan Soros » qui, selon le gouvernement hongrois, vise à encourager l’immigration de masse en Europe. « George Soros cherche à convaincre Bruxelles d’installer chaque année au moins un million de migrants d’Afrique et du Proche-Orient sur le territoire de l’Union, y compris en Hongrie », affirme l’une de ses sept questions.
Tous des suppôts de George Soros !
Deux mois en amont des élections législatives pour lesquelles le Fidesz est archi-favori, aucun débat électoral n’est prévu, le candidat sortant Viktor Orbán balayant d’un revers de main les demandes répétées de ses adversaires politiques cantonnées à la marginalité ou diffamés dans l’espace public. S’ils étaient élus, « Ils détruiraient la clôture » selon la volonté de George Soros, assurent les affiches…et ce dernier « implanterait des millions de personnes en Hongrie d’Afrique et du Proche-Orient » s’il lui était donné l’occasion.