(2/4) – Ils sont étudiants, Varsoviens ou provinciaux, psychologues, ingénieurs… Ils sont des centaines, voire possiblement des milliers, à avoir fait le choix de l’apostasie ou être en voie de le faire, depuis le verdict d’octobre dernier durcissant le droit à l’avortement. Le Courrier d’Europe centrale a recueilli leur témoignage.
(Varsovie, correspondance) – En Pologne, une crise sans précédent traverse l’Église, jugée de mèche avec les conservateurs au pouvoir. Au cours des derniers mois, on a assisté à une forte recrudescence du nombre de démarches d’apostasies. Ils sont étudiants, Varsoviens ou provinciaux, psychologues, ingénieurs… Ils sont des centaines, voire possiblement des milliers, à rompre avec l’institution de l’Église et parfois même avec la foi catholique. Le Courrier d’Europe a recueilli leurs témoignages.
Katarzyna Pawłowska, 23 ans, étudiante à Lublin
Vers l’âge de 15 ou 16 ans, je me suis rendu compte de l’hypocrisie de nombreux prêtres en Pologne. C’est à cette époque que j’ai arrêté d’aller aux messes, même si je sentais que j’avais encore un peu la foi. Le temps a passé, et j’ai arrêté de croire aux « vérités fondamentales » de l’Église catholique, je suis devenue agnostique, puis athée. Je n’allais à l’église que pour les mariages, les funérailles ou les cérémonies de baptême. De temps à autre, l’idée de faire l’apostasie me traversait l’esprit, mais je finissais par me dire : « qu’est-ce que ça va réellement changer ? »
Puis, est survenu le jugement sur le droit à l’avortement à l’automne dernier. Ma décision était prise. Il m’a fallu néanmoins plus de deux mois pour me préparer mentalement à une bataille potentielle avec le système ecclésiastique. Même si l’apostasie constitue une pure formalité et de la paperasse à signer, je me suis sentie si libérée une fois tout cela achevé ! Mes motivations étaient claires : en quittant l’Église, personne ne pourra m’inciter à avoir un mariage chrétien, à baptiser mes futurs enfants…
Aujourd’hui, l’Église catholique est étroitement liée au parti au pouvoir (PiS), et cela m’inquiète. Ils ont mis encore plus de religion dans les écoles, non seulement dans les cours de catéchisme, mais aussi dans d’autres matières, comme les cours d’histoire, les cours de polonais et plus encore. Chaque événement majeur à l’école est ponctué d’une messe spéciale. Et tout cela est financé avec nos impôts, puisque les prêtres et les professeurs de religion sont tous payés au même titre que les autres enseignants !
Choisir l’apostasie était en quelque sorte, pour moi, un devoir moral : couper les liens avec l’Église catholique dans l’espoir de susciter un changement. Une seule apostasie ne veut rien dire, mais si des milliers y procèdent, peut-être l’institution commencera-t-elle à se poser des questions. Mon père sait que j’ai renoncé à ma foi. Mon cousin songe à le faire aussi. Je ne l’ai pas dit ma mère, je souhaite préserver notre relation.
Magdalena Miyomi Wilk, 24 ans, étudiante en histoire à Cracovie
J’ai commencé à réfléchir plus sérieusement à l’apostasie il y a trois ans environ, lorsque j’ai intégré la communauté LGBT +. Ces dernières années, j’ai pris conscience des façons dont l’Église encourage les actes de violence en partageant de la désinformation à l’encontre de certaines catégories de personnes, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité. Avec le recul, cela m’a affecté durant mon adolescence — j’ai déjà entendu des enseignants dire que l’homosexualité est une perversion, un péché.
L’année qui vient de s’écouler n’a fait que confirmer mon choix de quitter l’Église. La complicité entre le gouvernement du PiS et l’Église s’est à nouveau illustrée durant les élections présidentielles de juillet 2020. La rhétorique incendiaire contre les LGBT+ a été à la fois relayée par des évêques et notre président de la République actuel. De tels actes m’ont profondément blessée, et ce genre de discours haineux contre les minorités sexuelles reste toujours impuni par la loi.
J’en suis venue à la conclusion que, même si je ne vais plus aux messes, faire partie des registres de l’Église me gêne. Je ne supporte plus le fait qu’ils puissent aussi parler en mon nom, simplement parce que mes parents m’ont baptisée lorsque j’étais enfant. L’apostasie a été ma résolution de l’année 2021. La démarche s’est accompagnée d’une dose de stress, certes, mais je suis en paix avec moi-même depuis.
Lire : « Avortement en Pologne : une double victoire pour le PiS«
Dans ma génération (18-30 ans), je suis à peu près sûre qu’un important changement s’opère. J’ai même rencontré des jeunes de 13 ans dans les manifestations pour le droit à l’IVG, ces derniers mois. Pour plusieurs, ç’a été une prise de conscience de ce qui n’allait pas avec l’Église dans notre pays, à la suite du jugement du Tribunal constitutionnel. Et puis, plusieurs refusent maintenant de suivre les cours de religion à l’école.

Kacper Wozniak, 41 ans, psychologue à Varsovie
Adolescent, j’ai vécu à Montréal pendant quatre ans. Avoir baigné dans la culture canadienne m’a poussé rapidement à évacuer la religion de ma vie. À mon retour en Pologne, à 19 ans, j’ai été estomaqué par ce contraste, de voir à quel point notre société est profondément enracinée dans la religion. Cette institution est tout simplement rétrograde. Je ferai le choix de l’apostasie prochainement, peu importe les difficultés que je risque de rencontrer face à l’Église. Et, à vrai dire, c’est ce que je cherche un peu : je trouverais un malin plaisir à entrer en confrontation avec eux. J’ai lu des livres. Eux, ils n’en ont lu qu’un seul.
Agnieszka Pleskacz-Rząsik, 35 ans, de Szczecin
Ne plus aller à l’église n’est pas forcément la même chose que l’apostasie, à mon sens. Ne plus aller aux messes, ce n’est pas suffisant. L’apostasie, c’est signifier concrètement son désaccord avec l’Église, alors qu’elle brandit chaque année le chiffre des prétendus 90 % de croyants en Pologne. J’ai décidé de le faire après le jugement du Tribunal, puisque c’est l’Église qui a impulsé en partie ce durcissement du droit à l’avortement. À cela s’ajoutent toutes ces terribles histoires de pédophilie qui entachent l’institution. Comment cela se fait-il qu’elle puisse avoir autant d’influence ? La réalité, c’est qu’une bande d’évêques blancs sexagénaires assoient leur pouvoir en pénalisant tout comportement non conforme à leur système de valeurs. S’il y avait quelque chose de plus à ma portée, comme annuler mon baptême, je n’hésiterais pas. Je ne veux rien avoir à voir avec la foi catholique. C’est à l’adolescence que j’ai commencé à douter de l’existence de Dieu. Je suis entrée ensuite à l’université, puis devenue agnostique. Plus j’y réfléchissais et plus je me disais : c’est impossible qu’une entité supérieure en la personne d’un vieux blanc avec un longue barbe soit à l’origine de tout cela.
S’il y avait quelque chose de plus à ma portée, comme annuler mon baptême, je n’hésiterais pas. Je ne veux rien avoir à voir avec la foi catholique.
Wojciech Grzywa, 18 ans, étudiant de Legnica
J’habite à Legnica, une petite ville de 100 000 habitants dans le sud de la Pologne. Ma situation est particulière, puisque je suis sur le chemin de l’apostasie alors même que mon oncle est prêtre. Je suis homosexuel, ce qui fait que l’Église me déteste et me qualifie « d’idéologie LGBT ». Cette rhétorique de haine des cinq dernières années n’a fait que confirmer mon désir de quitter l’Église. Sans compter les mauvais souvenirs du temps où, plus jeune, j’étais un enfant de cœur à la messe : j’ai été victime de violence physique et psychologique de la part d’un des garçons qui chantait à la chorale. Et puis, avec cette interdiction de l’avortement, c’est tout simplement terrible de forcer des femmes à mettre au monde un enfant pour être mort-né. Lors d’une manifestation pro-choix, à l’automne, j’ai tellement crié que j’en ai perdu la voix.
Joanna Kałuża, 33 ans, traductrice à Łódź
Je suis apostasiée depuis décembre. Cette volonté d’abandonner la religion, je l’avais depuis bien longtemps. Je ne suis jamais sentie très proche de l’église, même si j’ai été élevée dans une famille catholique, avec mes grands-parents qui m’emmenaient régulièrement à l’église. Le climat politique des cinq dernières années est devenu tel que c’était la chose à faire. Il y avait une accumulation qui s’est soldée par le verdict du pseudo-tribunal, ç’a été la goutte de trop.
C’est un soulagement. Et de voir toutes ces personnes comme moi qui franchissent le pas et décident de faire de même, c’est tout simplement réjouissant.
Lire : « Les Polonaises contre la rétro-utopie macabre du PiS«
L’Église a joué un grand rôle dans le renversement du communisme dans les années 1990, c’est pourquoi elle a été si respectée pendant des années. Le pape Jean-Paul II est considéré par plusieurs comme un demi-dieu. Mais trente ans plus tard, on voit que tout cela n’était que de la tromperie. Ils influencent la vie politique et ne songent qu’à l’argent. L’Église polonaise a corrompu la foi.
Zuza Szczypek, 22 ans, étudiante de Varsovie
Pendant un cours de religion à l’école secondaire, notre professeure nous a fait visionner une vidéo diabolisant l’euthanasie et l’avortement. C’en était trop, ce fut mon dernier cours. J’ai demandé à mes parents de m’inscrire aux cours d’éthique à la place. Mon père aussi réfléchit comme moi, à l’apostasie. Je suis très contente qu’il se joigne à moi.
Je dirais qu’en Pologne, on essaie d’effrayer les gens à propos de Dieu : « il » verrait et écouterait toutes les conversations, on devrait prier et aller à l’Église toutes les semaines pour aller au paradis… C’est un peu comme croire sous la contrainte.
Natalia Pilewska, 28 ans, ingénieure logicielle.
Ma décision concernant l’apostasie s’est prise dans la foulée de la contestation ayant suivi le jugement du Tribunal constitutionnel. Je me souviens que lors d’une manifestation, une jeune fille tenait une banderole promouvant l’apostasie. J’ai alors compris que même si je n’allais plus à la messe, renoncer à la foi concrétiserait véritablement mon départ de l’Église. Je ne peux plus accepter que des crimes de pédophilie soient couverts par l’Église catholique, qui se contente de transférer des pédophiles dans d’autres paroisses… Je m’oppose à cette proximité entre politique et religion, à l’arnaque de Radio Maryja [la radio du père « Rydzyk », très écouté du pouvoir politique, NDLR], à toute cette haine déversée à l’encontre de la communauté LGBT.
La dame a répliqué que le PiS n’est pas un parti politique ordinaire, mais qu’il a été envoyé par Dieu.
La réaction de ma famille à mon apostasie a été très positive. Quand ma mère est revenue à la maison avec la copie de mon certificat de baptême [nécessaire pour officialiser son apostasie], elle était blême. Elle m’a dit que tout s’était bien déroulé jusqu’à ce que la dame du bureau de la paroisse se rende compte que j’avais besoin de la copie de certificat pour procéder à l’apostasie. Cette dame a dit à ma mère que j’étais possédée par le diable et que les parents sont responsables du manque de moralité de nombreux jeunes. Ma mère s’est sentie offensée, elle lui a rétorqué que si l’apostasie est populaire, c’est le fait d’une grande proximité entre politique et Église. La dame a répliqué que le PiS n’est pas un parti politique ordinaire, mais qu’il a été envoyé par Dieu.
Je crois vraiment que ce n’est que le début des changements dans l’Église catholique polonaise. J’espère que d’ici quelques années, en assistant à une messe, l’on pourra entendre un sermon sur la bonté, la miséricorde sur l’enseignement de Jésus, et non sur combien d’argent il convient de donner à l’église ou pour quel parti politique voter.
Kamil Misiura, 22 ans, étudie en philologie anglaise, vit à Świdnica
Presque tous les dimanches matin de mon enfance, il y avait des querelles entre mes parents et moi. C’était toujours la même scène : cris, insultes, gifles (chez moi, la « fessée » ordinaire n’était pas pratiquée). En pleurs, on m’emmenait ensuite à la messe. Mes parents ont toujours prétendu être une famille croyante et aimante — comme de nombreux catholiques polonais.
Il nous effrayait également à l’idée que si nous n’allions pas à l’église, nous serions kidnappés par des satanistes.
Ce cauchemar a finalement pris fin au cours de ma deuxième année de lycée. J’ai alors demandé à un enseignant en sciences sociales si un tel comportement de la part des parents était acceptable, elle a répondu que non et qu’il était même puni par la loi. Alors, j’ai menacé mon père — parce qu’il était principalement en tort — que s’il ne me laissait pas tranquille, je signalerai l’affaire à la police. Tout s’est calmé depuis. Actuellement, à l’aune de ces événements, les relations entre moi et ma famille ont été gelées. Je suis devenue une personne anticléricale et je projette aussi très sérieusement l’apostasie dans un proche avenir.
J’ai commencé à remarquer le manque de sérieux des prêtres catholiques lors des cours de religion donnés par le curé de la paroisse. Il nous racontait des contes de fées sur la façon dont Dieu lui aurait parlé par l’entremise de ses collègues du séminaire. Il nous effrayait également à l’idée que si nous n’allions pas à l’église, nous serions kidnappés par des satanistes. Il a décrit assez en détail ces « rituels sataniques », au cours desquels des femmes sont d’abord supposément fécondées, puis l’accouchement est forcé pour tuer le bébé en guide de sacrifice à Satan (nous avions alors 14 ou 15 ans à ce moment-là).
Il y a aussi toute la dimension politique qui est répréhensible. Malheureusement, en Pologne, l’Église coopère avec le parti au pouvoir, en suivant ses ordres pour son propre bénéfice. Cela comprend le fait de qualifier les homosexuels de « peste arc-en-ciel ». L’Église s’est également rangée du côté des prétendus « protecteurs de la vie », opposée à l’éducation sexuelle… Tout cela signifie que l’Église maintient la Pologne et les Polonais dans le Moyen Âge.
Marcin (prénom modifié), 30 ans, de Cracovie
L’histoire autour de ma déclaration d’apostasie auprès de ma paroisse est plutôt simple, mais c’est le résultat de plusieurs raisons qui découlent des activités de l’Église catholique en Pologne.
Je suis né dans un petit village de 5 000 personnes. La vie tournait toujours autour de l’église. Ma famille était très croyante : le dimanche, on allait toujours à l’église, comme lors de toutes les autres fêtes religieuses. À l’âge de 15 ans, je me suis décidé à partir dans un camp d’été pour chercher ma vocation (j’étais à ce moment-là prêt à devenir prêtre).
Ce camp était organisé par l’ordre de Saint Bernard à Lezajsk. Il n’y avait que de jeunes hommes de mon âge. Pendant sept jours, on vivait presque comme des moines en participant à la vie des religieux. Il y avait des moments où je ne me sentais mal à l’aise avec ces personnes : avec du recul, je dirais qu’ils étaient un peu fous. De plus, pendant la nuit, lorsque je voulais aller aux toilettes, j’ai entendu plusieurs (plus que 2) hommes gémissant derrière les portes des toilettes — c’était la première fois que j’étais confronté à des actes homosexuels. C’était un peu choquant à ce moment-là vu que la sexualité dans les banlieues et dans les petits villages est taboue. En fait, il ne m’est pas facile d’identifier le moment où j’ai commencé à m’éloigner de Dieu. Mais mon déménagement à Cracovie a certainement été un tournant, car j’ai alors rencontré beaucoup de gens de différents milieux sociaux, et je me suis aperçu qu’ils ne sont pas aussi différents, et pas plus mauvais.
En fait, je ne suis jamais retourné à l’église depuis mon départ à Cracovie. En analysant la situation sous le PiS et son foutu gouvernement, après avoir vu plusieurs reportages, lu des articles, entendu des histoires de mes amis qui avaient eu affaire à des prêtres les traitant de moins que rien… Je ne veux plus avoir affaire avec cette bande d’imbéciles. Pardon pour mes mots, mais c’est exactement ce que je pense d’eux.
Photo d’illustration : Walkaway by Chriscom (Source : Creative Commons)