Orbán en tribun nationaliste au Parlement européen

Les débats à Strasbourg mardi auront un fort avant-goût de la campagne pour les élections européennes du printemps 2019. Et comme souvent, c’est Viktor Orbán qui, affrontant les eurodéputés, servira de révélateur des lignes de fractures de l’Union européenne. Une partie du PPE va-t-elle voter en faveur de sanctions contre la Hongrie, ouvrant la voie à une très hypothétique expulsion du Fidesz du PPE ?

Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale

Mardi après-midi à Strasbourg, le Parlement européen va débattre de l’état de la démocratie en Hongrie, sur la base du rapport dit « Sargentini », commandé par la commission des libertés civiles du parlement européen (LIBE) au mois de mai 2017, et rapporté par l’eurodéputée verte hollandaise Judith Sargentini. Cette dernière préconise le déclenchement de l’article 7, le dispositif le plus coercitif dont est doté l’Union, pouvant conduire à geler partiellement et temporairement les pouvoirs d’un Etat au sein de l’Union, et son accès aux financements européens, mais après un processus fastidieux et incertain.

Selon ce rapport, les droits fondamentaux des citoyens ne sont plus garantis en Hongrie. Il stipule que « En Europe, nous nous engageons pour les valeurs partagées de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’État de droit et de droits de l’homme. Malheureusement, les Hongrois ne peuvent plus être assurés de recevoir un traitement honnête et équitable de la part de leur gouvernement. […] Nous devons défendre le peuple hongrois dont les droits ont été affaiblis ».

  • Consulter ici le rapport présenté le 4 juillet 2018.

Ce lundi, ses conclusions ont été balayées une fois de plus du revers de la main par le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, qui y a vu une « collection de mensonges qualifiés » destinés à faire payer la Hongrie pour sa lutte contre l’immigration illégale. Quant à son Premier ministre, il s’est demandé tout haut comment l’eurodéputé hollandaise avait pu établir son rapport sans connaître un mot de hongrois.

Pour que le rapport soit adopté par le Parlement, il doit recueillir l’approbation des deux tiers des votes exprimés et de plus de la moitié des 750 députés, soit au moins 376 voix. Si la seconde condition sera vraisemblablement remplie, il semble très peu probable, en revanche, que les deux-tiers de l’assemblée soutienne le texte.

Orbán fera le déplacement à Strasbourg

Le Premier ministre hongrois ne se défilera pas et a annoncé sa venue à Strasbourg pour répondre aux critiques des eurodéputés. Nul doute qu’il espère faire de cette séance une tribune pour renforcer son aura et son leadership sur les différents mouvements eurosceptiques, par-delà les divisons partisanes.

Il pourra compter sur un soutien sans faille de l’aile droitière du Parlement. A savoir le groupe des Conservateurs et réformistes européens (71 sièges) où siègent par exemple les Polonais du  Droit et Justice (PiS), dont le dirigeant Jarosław Kaczyński prône une « révolution culturelle » conservatrice à l’instar du dirigeant hongrois. Idem pour ce qui est du groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (43 sièges) auquel appartiennent par exemple le britannique de UKIP Nigel Farrage ou encore le Parti national slovaque (SNS). Sans même parler du soutien enthousiaste que devraient lui apporter demain les 35 députés du groupe Europe des nations et des libertés, lequel compte dans ses rangs le Rassemblement national de Marine Le Pen ou encore la Lega italienne de Matteo Salvini.

Le PPE peut-il se fracturer ?

C’est le groupe du Parti populaire européen, le PPE – la principale formation politique à l’échelon européen avec 219 députés – qui fera la décision. L’on sait que la présence du parti de Viktor Orbán en son sein irrite et même exaspère un nombre conséquent de ses membres, issus des pays du Bénélux et de l’Europe du nord notamment. A l’instar de l’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel, que le Courrier d’Europe centrale avait interviewé par le passé et qui considère que le Fidesz doit être expulsé sans ménagement.

Le parti est d’autant plus tiraillé actuellement entre sa ligne nationaliste et souverainiste d’un côté, et libérale et pro-européenne de l’autre, que le président français Emmanuel Macron représente actuellement un pôle d’attraction au centre. Il se dit que le président français voudrait provoquer sa scission pour faire main-basse sur une partie de ses eurodéputés et créer son propre mouvement. Jouant de ce nouveau rapport de forces, il ne s’est pas privé pour mettre le doigt dans la plaie ouverte, appelant jeudi dernier le PPE à « clarifier ses positions », ajoutant que « on ne peut pas tout à la fois être du côté sur beaucoup de sujets de la chancelière Merkel et du Premier ministre Orbán ».

Ce n’est qu’au prix d’un double discours permanent que son chef, l’Allemand Manfred Weber, lui-même candidat à la présidence de la Commission européenne, parvient à maintenir un semblant d’unité dans la formation. « Tout dépendra des Allemands. C’est Merkel qui décidera dans un futur proche ce qu’elle veut faire du PPE », aurait lâché Viktor Orbán, ce week-end lors du pique-nique annuel de son parti à Kötcse. Celui-ci a déjà menacé au printemps à demi-mots : si le PPE décide de le mettre à la porte, il trouvera en sa personne un adversaire aux élections européennes. Des élections dont l’ombre planera décidément sur les débats de mardi et sur le vote de mercredi à Strasbourg.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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