C’est ici que, il y a deux ans, Viktor Orbán a lancé les bases de sa «démocratie illibérale». Invité samedi dernier à venir parler d’Europe, le premier ministre hongrois a profité de la 27e édition de l’Université d’été de Băile Tușnad pour se poser en chef de l’opposition à la Commission européenne. À rebours de Bruxelles sur l’immigration, le terrorisme et le rôle des États, il a décidé de pousser la rupture en apportant son soutien à Donald Trump.
Viktor Orbán n’en raterait une édition pour rien au monde. L’Université d’été Tusványos, organisée tous les ans par la minorité hongroise de Transylvanie à Băile Tușnad en Roumanie, est devenu au fil des années un rendez-vous médiatique incontournable, au cours duquel le Premier ministre de Hongrie en exercice est invité à s’exprimer sur le grand thème du moment. Organisée cette année autour du mot d’ordre «Nous étions, nous sommes et serons toujours chez nous en Europe», la cuvée 2016 a permis au chef de gouvernement conservateur de développer sa vision de la construction européenne, dans un contexte marqué par le Brexit, les attentats en France et en Allemagne, ainsi que la crise des réfugiés.
« N’ayez pas peur, combattez ! »
Viktor Orbán sait choisir ses références. Reprenant la phrase prononcée juste avant lui par le très conservateur pasteur László Tőkés – « N’ayez pas peur, combattez ! » -, le premier ministre hongrois a mis ses pas dans ceux de Néhémie, personnage de la Bible hébraïque considéré comme le principal maître d’œuvre de la reconstruction des murailles de Jérusalem, le responsable de l’exclusion de ses étrangers et l’un des grands contempteurs de la décadence du royaume de Sion. Faisant l’analogie avec la Commission de Bruxelles, il a estimé que «la tâche la plus importante qui attend l’Europe dans l’année qui vient, c’est de de définir ensemble, au niveau européen, ce contre quoi nous devons lutter».
Le premier ministre hongrois a naturellement développé sa propre vision du danger à venir. «Ce qui vient en premier lieu à la surface, c’est le phénomène migratoire, le terrorisme, l’incertitude», accentués selon lui par le recul des économies européennes au bénéfice des géants d’Asie, autant que par l’ampleur des effets de la crise économique sur les perspectives d’avenir des générations futures. Selon le dirigeant de droite, la crise économique est devenue une «crise de la démocratie», définie par le même comme le fossé entre les élites traditionnelles et «ce que veulent les masses». N’hésitant pas à faire l’amalgame entre immigration et attentats terroristes, Viktor Orbán a estimé l’angoisse générale légitime, dans la mesure où «ce qui se passe à Nice ou à Munich peut se passer n’importe quand dans n’importe quel pays d’Europe».
«Toute initiative visant à retirer des compétences aux Etats-nations doit être stoppée»
Pour Viktor Orbán, si l’ennemi ce sont les flux migratoires, le moyen de «lutter contre», c’est de laisser faire les États. «Le rétrécissement de la souveraineté nationale au profit des compétences européennes est pour moi un des plus grands dangers qui menacent l’Europe. Il y a des situations contre lesquelles Bruxelles est incapable de se défendre, mais nous autres, les Etats-nations, oui. C’est pourquoi toute orientation, toute action politique et toute initiative visant à retirer, expressément ou furtivement, des compétences aux Etats-nations doit être stoppée», a-t-il notamment déclaré. Déplorant le rôle politique joué par la Commission européenne «en dépit des traités», il s’est déclaré favorable à un retour en force du Conseil européen et a plaidé pour la réapparition du principe d’unanimité en ce qui concerne la définition des règles communautaires.
Dans ce cadre, le chef du gouvernement hongrois a déclaré vouloir convaincre ses homologues européens du caractère «néfaste» de l’immigration. Assumant le clivage entre les pays fondateurs et le groupe de Visegrád (dont la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie font aussi partie), il a cherché à politiser les différences de vue entre États membre à la manière d’un chef de l’opposition à la tête de son groupe parlementaire : «la « vieille Europe », ce sont les Etats fondateurs de l’Union européenne, ce sont ceux qui ont créé la zone euro, et qui sont aujourd’hui de manière bien visible en stagnation. Et puis il y a une autre Europe, celle qui a accédé plus tard à l’Union européenne (…) et qui est en revanche pleine de vie et d’énergie, ouverte au changement, à la recherche des réponses aux nouveaux défis et dotée d’une perspective pour notre partie du globe». Minoritaire à l’heure actuel, Viktor Orbán estime que viendra le moment où «le mouton noir deviendra troupeau».
Un programme aligné sur celui de Donald Trump
Déroulant la profession de foi de cette coalition centre-européenne, il a fait sienne la doctrine isolationniste des Républicains américains, axée sur la recherche de stabilité politique, même si celle-ci va parfois à l’encontre des Droits de l’homme. «Il est donc avéré que si au lieu de la stabilité nous continuons à privilégier l’édification de la démocratie dans des régions où ses probabilités de succès sont excessivement discutables, ce n’est pas la démocratie que nous y édifierons, mais l’instabilité» a-t-il notamment déclaré.
Adversaire déclaré de Hillary Clinton, Viktor Orbán a apporté le premier soutien d’un chef de gouvernement à la candidature de Donald Trump à la prochaine présidentielle américaine : «Je ne suis pas chargé de la campagne de Donald Trump, et je n’aurais jamais cru que j’aurais un jour à considérer que sur les possibilités de choix qui sont apparues c’est lui qui serait le meilleur du point de vue de la Hongrie».
La gauche hongroise déplore un énième contre-feu et appelle à la responsabilité
Le Parti socialiste hongrois (MSzP) a réagi au discours en soulignant que le Viktor Orbán d’il y a vingt-cinq ans «aurait eu du mal à écouter ce que dit le Viktor Orbán d’aujourd’hui». Le vice-président du parti, István Ujhelyi a critiqué en conférence de presse samedi un premier ministre hongrois «de plus en plus dangereux pour toute l’Europe», rappelant que c’est lui et non l’immigration clandestine qui est à l’origine de la crise institutionnelle que travers l’Europe actuellement. En substance, István Ujhelyi a déploré la stratégie du statu-quo du dirigeant conservateur, cherchant – sous couvert de volontarisme – à bloquer l’Europe afin de préserver le système Fidesz à la tête de l’État hongrois.
Pour le porte parole de la Coalition démocratie (DK) Zsolt Gréczy, le discours de Viktor Orbán montre que ce dernier, obsédé par la question des migrations, est devenu «aveugle et sourd aux problèmes réels de la Hongrie». Déplorant un énième contre-feu, le responsable de gauche a estimé que «si le premier ministre était vraiment intéressé par la Hongrie et pas par comment lui-même et ses amis peuvent s’enrichir aux frais des contribuables, alors il aurait parlé de la façon d’empêcher plusieurs centaines de milliers de jeunes hongrois à quitter le pays». En 2015 et à l’échelle de la seule Union européenne, on estime à plus de 400 000 Hongrois vivant à l’extérieur de la Hongrie.
Du côté d’Együtt, l’on estime que Viktor Orbán ne représente pas les valeurs européennes et se comporte comme un dirigeant de l’Est. Pour András Schiffer, co-président du petit parti écologiste La politique peut être différente (LMP), le premier ministre hongrois «serait mieux inspiré d’être courageux à Bruxelles, Berlin et Washington plutôt qu’à Băile Tușnad». Celui-ci a critiqué la vision de repli du chef de gouvernement hongrois, loin d’être à la hauteur des défis mondiaux contemporains. Pointant un double discours de la part du dirigeant conservateur, il a rappelé que malgré les incartades de Viktor Orbán contre le libéralisme, le premier ministre hongrois n’en était pas moins pour la poursuite des négociations de libre-échange avec les États-Unis.
Retrouvez ci-dessous le discours complet de Viktor Orbán (sous-titres anglais) :