Mais où sont donc passées les milices ?

L’extrême-droite hongroise est en plein doutes. Sous les coups de boutoirs du Fidesz, le Jobbik se fissure, peu à peu… Les populistes pourraient bien mettre les extrémistes hors-jeu, durablement.

Uniformes noirs, vestes bombers, rangers – Les organisateurs annonçaient deux cent cinquante miliciens. Ce samedi 28 février, ils sont en réalité une trentaine tout au plus, transis de froid dans leurs uniformes noirs, vestes bombers, rangers et casquettes. Ils ont donné rendez-vous à la presse au début des collines encore enneigées du sud de Buda, dans l’indifférence générale d’un quartier résidentiel cossu. « Ils font quoi ces gens là-bas ? », interroge une femme d’une soixantaine d’années en marge du rassemblement : « C’est la Magyar Gárda (la Garde hongroise) qui tente un baroud d’honneur. « Aïe aïe aïe, non mais c’est pas possible… », soupire-t-elle en secouant la tête, surprise et dégoutée. Ces Gárdisták, ou plutôt ce qu’il en reste, sont là pour réclamer la tête de Gábor Vona, le président du parti d’extrême-droite Jobbik qui tient meeting le même jour. Coupable de se « gauchiser », il est devenu pour eux « indigne de porter la veste de la Gárda », explique Norbert Silip, l’un de leurs leaders, à des journalistes narquois.




Mais où sont donc passées les milices qui étaient apparues l’année 2007 pour « protéger spirituellement la nation », intimider les Roms dans les villages et parader lors des grandes occasions jusqu’au cœur de Budapest ? Le Premier ministre Viktor Orbán les avait jeté dans l’illégalité à son arrivée au pouvoir, mais elles parvenaient à ressurgir, de façon très sporadique. C’est habillé aux couleurs de la « Gárda » que le leader du jeune parti, Gábor Vona, avait fait son entrée au parlement, au printemps 2010, en jurant de ne jamais trahir la cause. Pourtant, ses hommes ne le reconnaissent plus aujourd’hui. Qu’il déclare s’opposer à toute discrimination sur la base de l’ethnie ou de l’orientation sexuelle avait commencé à susciter le trouble. Qu’il souhaite une heureuse Hanouka aux Juifs de Hongrie et reconnaisse son droit à Israël d’exister leur avait été insupportable. Et le voilà qui affirme maintenant qu’une fois au pouvoir il ne s’opposerait pas à la construction de mosquées en Hongrie ! Depuis que quatre cents mille migrants ont traversé le pays en 2015, sa sympathie et son admiration personnelle pour l’Islam ne passent plus auprès de ses troupes clairsemées.

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Norbert Silip au micro d’Echo TV ( crédit : Hu-lala.org)

2018 dans le viseur

Face au Fidesz qui s’en prend sans relâche à l’Union européenne, au « globalisme » et aux migrants, qui applaudit Donald Trump et soutient Vladimir Poutine, l’extrême-droite traditionnelle est battue sur son terrain. Le Jobbik cherche donc sa place et s’engouffre dans les failles de la gouvernance du Fidesz : corruption, santé et éducation notamment. Gábor Vona veut pouvoir se présenter aux élections législatives en 2018 comme le seul recours à Viktor Orbán, qu’il accuse – lui aussi – de dérive autocrate. Certains des cadres les plus virulents (mais pas tous !) ont été mis à pied par la direction qui cherche maintenant à se rapprocher d’intellectuels de gauche pour parler éducation, culture et intégration des Roms. Mais cette stratégie de normalisation ne s’avère pas payante, en tout cas à ce jour. La popularité du Jobbik stagne, elle crée de fortes tensions en interne, jusqu’à risquer une scission du parti et les partis nationalistes en Europe refusent toujours de lever le cordon sanitaire.

Dans le bus au retour, un groupe d’étudiants étrangers se demandent qui est cet homme qui vient de monter, dans l’accoutrement à la fois inquiétant et loufoque de la Gárda. Ils reviennent du Szoborpark, où l’on a parqué les statues communistes déboulonnées dans les années 90. Le long de la route, des grands panneaux assènent les nouveaux messages du gouvernement : « L’économie est en croissance ! », « Les salaires augmentent ! ». Elles côtoient d’autres affiches grotesques montrant Gábor Vona aux côtés de l’ancien Premier ministre socialiste et d’un clown. Elles sont l’œuvre du Forum de l’Unité civile, une ONG pro-gouvernementale spécialisée dans le dénigrement des adversaires du Fidesz. Les extrémistes du Jobbik semblent donc avoir été durablement marginalisés par les populistes du Fidesz qui ratissent du centre jusqu’à l’extrême-droite.

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« Ils se sont bien trouvés ! » (crédit : Hu-lala.org)
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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