Malgré l’épidémie, les saisonniers roumains sont acheminés vers les pays riches pour les récoltes

À l’heure où l’Europe est confinée pour se protéger de la pandémie due au coronavirus, l’Allemagne et l’Autriche affrètent des vols spéciaux pour importer la main-d’œuvre corvéable d’Europe de l’Est dont leurs agriculteurs ne savent se passer.

La pandémie causée par le coronavirus est – selon la formule désormais consacrée – un « révélateur des failles de notre modèle de développement économique ». Des images récentes de l’aéroport de Cluj en Roumanie l’ont mis en lumière : nos modèles agricoles reposent pour partie sur la main-d’œuvre corvéable originaire des pays de l’Europe orientale pour les récoltes que les machines ne peuvent pas faire.

Des images diffusées jeudi par les médias roumains montrent entre 1 500 et 2 000 travailleurs roumains massés devant le terminal de l’aéroport international de Cluj-Napoca, dans le nord-ouest du pays, prêts à s’envoler pour l’Allemagne ou encore l’Autriche, où des exploitants agricoles les attendent de pied ferme pour récolter fraises et asperges. Les site Romania Insider précise que trois avions ont transporté au total 530 travailleurs vers Berlin, Düsseldorf et Hambourg et qu’un quatrième devait rallier plus tard Karlsruhe cette semaine.

Ces images de personnes entassées avec des moyens de protection dérisoires contre le SARS-CoV-2, ont particulièrement choqué en Roumanie, à l’heure où plus de la moitié de l’humanité et la totalité de l’Europe se trouvent soumis à des restrictions de déplacements drastiques et confinées plus ou moins totalement. Nos collègues du Courrier des Balkans rapportent qu’elles ont déclenché un petit scandale politique ; les autorités aéroportuaires, régionales et les agences de recrutement se rejetant la responsabilité de la cohue.

Des ponts aériens pour acheminer les saisonniers

Romania Insider ajoute que la Roumanie a suspendu toutes les liaisons internationales avec des pays fortement touchés par le COVID-19, comme c’est le cas de l’Allemagne et de l’Autriche. Mais, selon ce média, le gouvernement allemand est parvenu à un accord la semaine dernière pour acheminer, malgré les restrictions sanitaires, plus de 80 000 travailleurs saisonniers étrangers, Roumains pour une bonne part.

La situation est d’autant plus ubuesque pour cette main-d’œuvre vulnérable que les frontières des pays d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie – sont fermées. Leur bouclage à la mi-mars avait provoqué d’énormes bouchons, aux frontières de la Hongrie et de la Pologne, de travailleurs roumains, bulgares et turcs, refluant dans leur pays après la mise à l’arrêt de pans entiers de l’économie en Europe de l’Ouest. Le Monde rapporte que l’Autriche, où va débuter la saison des asperges, a mis en place un véritable « pont aérien » pour enjamber la Hongrie. Les charters acheminant des bras pour l’agriculture et des mains pour les soins à la personne atterrissent dans l’aéroport quasi désert de Vienne, témoigne Le Monde.

Après trois mois de labeur, sept jours par semaine, dix heures par jour, Ioan est rentré chez lui avec 1 800 euros en poche.

Une main-d’œuvre corvéable dont l’Allemagne ne sait se passer

Le 4 avril, le ministre roumain de l’Intérieur, Ion Marcel Vela, a annoncé que les travailleurs saisonniers seraient autorisés à quitter le pays pour travailler à l’étranger et que son gouvernement avait décidé d’autoriser les travailleurs à se rendre directement en Allemagne, malgré les inquiétudes concernant la pandémie de coronavirus.

La diplomatie allemande a travaillé pour cela. Les agriculteurs allemands, qui affirment avoir besoin de 300 000 travailleurs saisonniers pour la récolte 2020, ont obtenu du gouvernement fédéral qu’il autorise 80 000 saisonniers étrangers à entrer dans le pays malgré la fermeture de ses frontières : 40 000 en avril et autant en mai. C’est la filiale de Lufthansa, Eurowings, qui assurera le transport de la Roumanie vers l’Allemagne. À leur arrivée en Allemagne, les saisonniers seront hébergés et travailleront séparément des saisonniers locaux pendant une durée de 14 jours, et aucun n’est autorisé à quitter l’exploitation à laquelle il est affecté, selon les informations de la Deutsche Welle.

Le journal allemand a recueilli le témoignage de Ioan, un saisonnier roumain qui avait récolté les asperges en Allemagne l’année dernière. Après trois mois de labeur, sept jours par semaine, dix heures par jour, il est rentré chez lui avec 1 800 euros en poche, plus de 1 000 euros de son salaire ayant été retenu pour les frais de nourriture et d’hébergement. Cette année, un meilleur traitement a été promis aux saisonniers d’Europe de l’Est, par des employeurs désespérés au point de leur payer le billet d’avion.

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