« Ils ont fracassé mon objectif devant moi ». L’étau n’en finit pas de se resserrer contre les journalistes au Bélarus

Le coup de force de Minsk avec l’arrestation de Roman Protassevitch remet la lumière sur la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les journalistes bélarusses, qui depuis des mois sont en première ligne face à la répression.

Le 18 mai, Tut.by, un des principaux médias indépendants au Bélarus, a fait l’objet d’un blocage complet, et les locaux de sa rédaction ont été perquisitionnés, ainsi que les logements de plusieurs journalistes et rédacteurs. La chose n’est pas inédite pour ce média qui a déjà fait l’objet de pressions et de blocages récurrents par les autorités depuis le mouvement de contestation de la réélection de M. Loukachenko le 9 août 2020. Tut.by a abondamment documenté la brutalité des autorités et la répression subie par les opposants. Toutefois, les nouvelles mesures ont ceci d’inédit qu’elles sont assorties cette fois de poursuites judiciaires à l’encontre de la directrice de Tut.by, poursuivie pour fraudes fiscales.

« Les policiers qui m’ont pris mon matériel m’ont dit ‘Tiens, on te laisse ça…’ et l’ont fracassé devant moi ». Evguenia.

Ces actions à l’encontre des journalistes au Bélarus, dont l’arrestation le 23 mai de Roman Protassevitch, sont l’aboutissement de plusieurs mois d’une répression implacable contre tout canal d’information alternatif aux médias tenus d’une main de fer par le pouvoir. Christophe Deloire, Secrétaire général de l’organisation Reporters sans frontières (RSF), a déclaré lors d’une récente visite en Lituanie que les journalistes bélarusses se trouvent actuellement dans une « situation désastreuse« . Plus tôt dans l’année, RSF déplorait plus près de 400 arrestations de journalistes depuis le début de la mobilisation l’été dernier.

Lorsqu’ils ne sont pas arrêtés, l’intimidation et les brutalités sont monnaies courantes. Evguenia (nous avons modifié son prénom), s’est vue confisquée tout son matériel. « Ils m’ont pris du matériel de travail que je mettrai des années avant de pouvoir racheter. Et comment le payer, puisque sans appareil photo et sans caméra je ne peux même plus travailler ? Et puis travailler pour qui ? », assène-t-elle, à bout de souffle. Contactée par Skype, elle nous montre un objectif brisé, et sa lentille éclatée : « Les policiers qui m’ont pris mon matériel m’ont dit ‘Tiens, on te laisse ça…’ et l’ont fracassé devant moi ».

Une nouvelle batterie de mesures liberticides

En plus d’une pression exercée de manière indiscriminée sur les derniers acteurs d’une information libre au Bélarus, de nouvelles lois sont entrées en vigueur cette semaine, restreignant encore plus les possibilité de rassemblement ou d’action collective. Plus aucune manifestation ne peut être organisée sans l’autorisation des autorités locales. Et toute information, publicité et même couverture journalistique d’un rassemblement non-autorisé est désormais considérée comme illégale. De même, il est à présent interdit de publier les résultats de sondages qui n’auraient pas été commandés ou vérifiés par les autorités. Ces restrictions concernent y compris les simples liens hypertextes vers des documents contenant des informations interdites.

Les nouvelles lois visent également les ressources matérielles des manifestants et opposants au régime. Depuis l’été 2020, les Bélarusses qui avaient perdu leur travail en raison de leur engagement contre le gouvernement, ou qui avaient subi des blessures, avaient pu bénéficier de la solidarité de leurs compatriotes ou d’aides en provenance de l’étranger, grâce à différentes cagnottes en ligne. Les récentes mesures prises par M. Loukachenko interdisent de collecter de l’argent pour rembourser des frais liés à une participation à la mobilisation. Par extension toute participation étrangère au financement d’une structure d’information au Bélarus est proscrite, dans le but affiché de « minimiser l’influence étrangère ».

Photo d’illustration : Vadim Zamirovsky.

Gwendal Piégais

Docteur en histoire

Université de Bretagne occidentale, spécialisé en histoire militaire, Première Guerre mondiale, Europe Centrale, Russie impériale et soviétique

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