Le média rebelle « Telex » fait un petit chez les magyarophones de Roumanie

La rédaction de Transindex évoque des pressions politiques insoutenables et annonce vouloir lancer son propre média indépendant sous le nom de « Transtelex ». Ils bénéficient pour cela du soutien de leur alter ego budapestois Telex, à qui une mésaventure similaire était arrivée deux ans plus tôt.

Page facebook de Transtelex / https://www.facebook.com/transtelex.ro/

Mardi 15 février à midi, le média hungarophone de Roumanie, Transindex.ro, s’est sabordé. « Ce matin, après 23 ans de fonctionnement, toute l’équipe éditoriale de Transindex a démissionné », annonce leur communiqué officiel, qui dénonce l’aggravation du « contexte politique » actuel en Transylvanie. Il s’agissait de l’un des principaux médias indépendants de langue hongroise opérant en Roumanie, où vit une importante minorité hongroise de près d’un million et demi d’habitants.

Dans ce qui sera la dernière publication de leur site internet, la rédaction déclare : « nous estimons que notre travail au sein de cette institution a été rendu totalement impossible. […] Nous ne sommes pas prêts à mener notre travail journalistique selon les exigences d’un quelconque pouvoir politique. » Un communiqué commun qui demeure flou quant à l’origine et aux contours exacts des pressions subies. « L’espace public et la liberté d’expression des Hongrois de Transylvanie sont devenus de plus en plus restreints ces derniers temps. Depuis près de deux ans, nous luttons pour survivre dans un environnement politiquement déterminé » peut-on lire seulement dans leur communiqué.

Le journal indépendant Mérce s’est également montré intrigué, tout en rappelant que ces pressions maintes fois évoquées par les journalistes transylvains « sont liées à cette dynamique d’achat de la presse étrangère par le Fidesz ». En effet, la mise au pas des médias orchestrée par le Fidesz depuis son retour au pouvoir en 2010 ne se limite pas aux médias de Hongrie. La presse hungarophone du bassin des Carpates est également concernée, et tout particulièrement la presse de Transylvanie, où vit la minorité hongroise la plus importante.

Les anciens journalistes d’Index au soutien de Transindex

Cette nouvelle laisse une forte impression de déjà-vu: en 2020, c’était la rédaction d’Index.hu, le principal média indépendant et le site d’actualités le plus lu de Hongrie, qui démissionnait à la suite du rachat et d’une restructuration du média par un proche du gouvernement. Les membres de la rédaction avaient alors répliqué en fondant Telex, qui a très vite repris le flambeau en s’imposant comme le principal média indépendant du pays.

A la suite de l’annonce de Transindex.ro, le média budapestois a annoncé vouloir aider à la création d’un nouveau média transylvain : nommé Transtelex, il sera l’alter ego de Telex en Roumanie. « Cette situation est tristement familière pour les travailleurs de chez Telex : sous la menace de pressions extérieures grandissantes, ces journalistes n’ont eu d’autres choix que de défendre leurs principes » écrit Szabolcs Dull, le rédacteur-en-chef de Telex.

Une levée de fonds chapeauté par Telex a été lancée pour aider au lancement du nouveau média. En revanche, Átlátszó Erdély et Mérce pointent certaines zones d’ombre qui entourent la décision de la rédaction de démissionner à la mi-février, le manque de transparence quant à l’origine de financements reçus ces dernières années par Transindex, ainsi que l’état actuel de leurs liens avec les partis politiques hongrois de Roumanie. Mérce souligne ainsi qu’en « Transylvanie, les lecteurs ont accueilli avec beaucoup de méfiance l’annonce de la création de Transtelex […, la rédaction va avoir fort à faire pour surmonter ces soupçons, et cela n’est qu’un des dangers qui menace ce nouveau projet ».

L’enjeu politique de la minorité hongroise de Transylvanie

Au-delà de la symbolique, la volonté de Telex de soutenir le paysage magyarophone de Transylvanie n’est pas innocente : les quelques 1,5 million de Magyars de Roumanie sont pour la plupart détenteurs d’un passeport hongrois et sont donc en mesure de voter aux élections législatives hongroises. C’est le gouvernement de Viktor Orbán qui a permis, puis largement facilité et encouragé le vote des minorités hongroises des Carpates, devenues entre-temps l’un des électorats les plus fidèles du pouvoir hongrois.

Lancé en partenariat avec Telex, le nouveau média Transtelex reprend non seulement son identité visuel, mais s’engage aussi à « suivre les valeurs » de Telex. Source : https://tamogatas.transtelex.ro/

Alors que les centaines de milliers de Hongrois émigrés à Londres ou en Allemagne ne bénéficient pas des mêmes facilités de vote, l’opposition dénonce régulièrement un système clientéliste, qui pourrait bien assurer au Fidesz l’obtention d’un voire deux sièges au parlement hongrois – un chiffre loin d’être anecdotique sachant que la majorité des deux tiers dont jouit le Fidesz depuis 2010 se joue à quelques sièges près.

Il n’est donc pas étonnant qu’un média d’opposition comme Telex cherche à encourager la diversité médiatique auprès de ces Hongrois, qui vivent pour beaucoup en pays sicule, une véritable enclave magyare au cœur du massif des Carpates. Depuis leurs bureaux basés à Cluj-Napoca (Kolozsvár en hongrois), une ville très largement roumanophone, la rédaction de Transtelex tentera de se faire entendre jusque dans les montagnes – reste à savoir si les Sicules seront réceptifs.

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