Le hongrois Viktor Orbán exporte son modèle dans les Balkans

Le Fidesz est en train de forger de solides alliances en Macédoine et en Slovénie. Des élections se dérouleront d’ailleurs chez les voisins slovènes ce dimanche 3 juin et le parti de droite, frère du Fidesz, fait figure de favori.

Mais que se passe-t-il dans ce pays de deux millions d’habitants situé sur le flanc sud-ouest de la Hongrie ? Des affiches montrent un flot de personnes que l’on devine être des migrants du Moyen-Orient, barré d’un gros panneau rouge « Stop ». Œuvre du parti de droite, le Parti démocrate slovène (SDS[1]Slovenska demokratska stranka, SDS.), elles proclament « Nous protégerons la Slovénie » et indiquent qu’il en coûte au pays « 1 963 euros par migrant ». Les affiches sont semblables en tous points à celles qui ont fleuries au début du printemps en Hongrie pour accompagner la campagne électorale victorieuse du parti nationaliste Fidesz.

Car le SDS espère ravir le pouvoir à une coalition de centre-gauche aux élections législatives qui se dérouleront le 3 juin. Et pour cela, il compte sur une méthode qui a fait ses preuves au mois d’avril chez le voisin hongrois du Nord : se poser en défenseur d’une nation menacée par le péril migratoire. La comparaison ne s’arrête pas là. Comme leurs voisins hongrois avant eux, les Slovènes seront encouragés à répondre à des questionnaires pour donner leur avis sur la thématique migratoire. Et sur le modèle du Fidesz encore, toute la rhétorique anti-migrante engagée est accompagnée d’un discours nataliste, opposant les migrants et les familles slovènes dont il faut encourager la natalité afin d’assurer la survie de la nation.

La tête de file du Slovenska demokratska stranka, Janez Janša, un politicien de 59 ans qui a déjà été premier ministre à deux reprises au milieu des années 2000 puis pendant un an en 2013-2014, ne cache pas son admiration pour le dirigeant hongrois au pouvoir sans interruption depuis huit ans, en qui il voit « la personnalité centrale » de la « bataille stratégique menée en Europe ». Pour la seconde fois en deux ans, Viktor Orbán était la vedette de la convention du SDS qui s’est déroulée vendredi 11 mai, durant laquelle son homologue slovène a lancé des considérations telles que « Il n’y a pas de Slovénie sans Slovènes » et attaquée « la gauche dégénérée ». Elle est coupable à ses yeux d’avoir laissé transiter par son pays des dizaines de milliers de migrants en route vers l’Allemagne à l’automne 2015. Comme en Hongrie, il ne s’agit pas tant de s’en prendre aux migrants eux-mêmes – qui ont catalysé des peurs et des frustrations bien ancrées dans la population – qu’à un centre dominant, l’Union européenne, et à ses prétendus suppôts de l’intérieur.

« Les gens voient Orbán à la télé qui n’hésite pas à s’opposer à Bruxelles, et ça, ça plaît à beaucoup, notamment aux anciens. »

Télé Orbán jusqu’en Slovénie

« Les gens voient Orbán à la télé qui n’hésite pas à s’opposer à Bruxelles, et ça, ça plaît à beaucoup, notamment aux anciens. Car ils en ont marre que leurs politiciens soient les bons élèves qui n’osent jamais dire non », témoigne Mateja, Budapestoise depuis huit ans, et qui ne peut que constater la popularité du Hongrois chaque fois qu’elle rentre dans le nord-est de sa Slovénie. « Sur le papier la Slovénie va bien, mais en réalité il y a beaucoup de gens qui sont en colère, à commencer par les agriculteurs, mais aussi à cause des bas salaires ». Les Slovènes ont en effet moults occasions d’entendre le souverainiste hongrois vitupérer contre l’Union européenne, depuis que des hommes de son parti ont pris le contrôle de la chaîne de télé privée Nova24TV, l’année dernière. Une chaîne d’info en continu que l’ONG Reporters sans frontières désigne comme « l’instrument de propagande » du SDS. Le Fidesz a également pris des parts dans le journal Demokracija et le tabloïd Škandal24.

Mais le SDS a beau être en tête dans les sondages, sa victoire le 3 juin n’est pas acquise pour autant. Katja, issue elle aussi du nord du pays et qui travaille comme journaliste à Athènes, tempère un peu le phénomène : « Les gens sont moins à droite en Slovénie qu’en Europe centrale, en Hongrie ou en Pologne par exemple. Il y a beaucoup de partis de gauche engagés dans l’élection. Et le fait que Janša soit en tête dans les sondages pourrait le desservir au final car ça va motiver ses opposants. Il n’est pas très aimé... » Quoi qu’il en soit, Janez Janša doit une fière chandelle à Viktor Orbán, car s’il tient aujourd’hui sa chance de revenir dans le jeu politique, il le doit indirectement à l’érection par Budapest d’une clôture à la frontière entre la Hongrie et la Serbie et de barbelés entre la Hongrie et la Croatie, qui avaient dévié le flux de migrants vers la Slovénie à l’automne 2015.

En deux UNES, l’hebdomadaire de gauche Mladina dénonce « l’Orbánisation » de Janša .
La même salade en Macédoine

Il n’y a pas qu’en Slovénie que le Fidesz investit. On retrouve des liens similaires entre les droites en Hongrie et en Macédoine, dont les capitales sont séparées par six cents kilomètres. Le consortium de journalistes européens OCCRP a mis au jour peu ou prou les mêmes schémas qu’en Slovénie, derrière lesquels on retrouve les mêmes acteurs et qui pointent vers le même personnage clé : Árpád Habony, un homme de l’ombre du système Orbán, pièce maîtresse dans la création d’un système médiatique à la solde du Fidesz. Lui-même est en affaires avec le célèbre spin doctor des droites états-unienne (depuis Ronald Reagan) et israélienne, Arthur Finkelstein, dit le « marchand de venin », décédé l’été dernier. Le Fidesz hongrois pourrait-il n’être que la courroie de transmission vers les Balkans d’un mécanisme plus complexe ? C’est une hypothèse encore non-vérifiée. Toujours est-il qu’en investissant dans la chaîne Alfa TV et des sites comme Kurir.mk et Republika.mk, l’objectif en Macédoine est identique : préparer le retour au pouvoir du parti nationaliste local, le VMRO dirigé par Hristijan Mickoski, délogé l’an dernier par le parti social-démocrate SDSM.

Quand le Premier ministre macédonien Nikola Gruevski est tombé en 2016 après près d’une décennie aux commandes, Orbán y a vu la patte de George Soros et considéré que cela devait lui servir d’avertissement en vue des législatives hongroises de 2018. Car c’est là l’un des points de convergence des deux hommes : la même hantise du milliardaire philanthrope américano-hongrois. Orbán le Hongrois, Janša le Slovène et Gruevski le Macédonien s’étaient par ailleurs rencontrés sur les bords du merveilleux lac d’Ohrid au mois de septembre 2017. Ces bonnes affaires du triumvirat national-populiste se passent sous les yeux du Parti Populaire européen, le plus grand parti du parlement de l’UE, auxquelles appartiennent les trois formations (le VMRO macédonien n’est que membre observateur, la Macédoine n’étant pas membre de l’UE). Le 11 mais, son chef Manfred Weber s’est rendu en Slovénie pour témoigner du soutien du PPE à Janez Janša. Il était accompagné d’un certain Viktor Orbán et de Hristijan Mickoski…

Notes

Notes
1 Slovenska demokratska stranka, SDS.
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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