Les éditorialistes des principaux médias centre-européens ont vertement critiqué l’attitude des dirigeants régionaux au moment de la répartition des postes-clés de l’Union européenne. « Le groupe de Visegrád a été marginalisé », a notamment regretté la journaliste tchèque Kateřina Šafaříková. Revue de presse.
« Ils sont venus, ils ont bloqué et ils sont partis les mains vides ». Le quotidien slovaque SME a très fraîchement accueilli la contre-performance des dirigeants centre-européens durant les récentes négociations sur la répartition des postes-clés à la tête de l’Union européenne. Le quotidien économique tchèque Hospodářské Noviny a renchéri de son côté sur « la défaite de l’Europe centrale », tandis que l’hebdomadaire conservateur hongrois Magyar Hang a longuement ironisé sur les curieuses « victoires de Viktor Orbán ».
Comme le souligne la rédactrice en chef de SME Beata Balogová, quiconque jugerait la performance du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie) sur la base des déclarations de ses dirigeants « aurait l’impression que le groupe vient de connaître un succès historique ». Si le « V4 » a effectivement obtenu la tête du Néerlandais Frans Timmermans, soutenu par les capitales occidentales pour prendre la tête de la commission européenne, tous les postes-clés de l’UE ont échappé aux Centre-Européens.
« Ces dirigeants ont agi comme des enfants qui, n’arrivant pas à construire ensemble un château de sable, décident de piétiner celui des autres », a vertement critiqué Mme Balogová. « L’absence de représentation de la région est le résultat d’une politique non constructive » a également commenté un politologue interrogé par l’Agence de presse tchèque. « Le succès [revendiqué par le premier ministre Andrej Babiš] a été obtenu au prix d’une énorme perte d’influence », a estimé un autre expert.
Sur le portail d’information indépendant polonais OKO.press, la journaliste Maria Pankowska a titré son analyse : « Le parti Droit et justice fait bonne mine au jeu de Merkel », remarquant que, contrairement aux déclarations du pouvoir au sujet du blocage de Frans Timmermans, « [les dirigeants du V4] n’ont rien bloqué », dans la mesure où le Néerlandais devrait conserver son poste de vice-président de la commission. Dans Gazeta Wyborcza, Monika Olejnik a reconnu au groupe de Visegrád le droit de s’opposer à la nomination de M. Timmermans, mais a jugé « dommage que le groupe ne propose pas son propre candidat ». « Le premier ministre [Mateusz] Morawiecki a bandé les muscles et nous regarde maintenant avec un air de vainqueur », s’est-elle moquée.
Effet collatéral du tir de barrage des Centre-Européens contre le fameux « plan Osaka » voulu par Paris et Berlin, l’éviction du Bavarois Manfred Weber a été rendue possible grâce à une alliance opportune de Viktor Orbán avec Emmanuel Macron, a rappelé de son côté le quotidien hongrois de gauche Népszava. Dans le même ordre d’idée, l’hebdomadaire libéral tchèque Respekt a noté que le blocage de Frans Timmermans n’aurait pu se faire sans l’appui des autres chefs d’État conservateurs.
L’épouvantail Timmermans qui cache la forêt
Si Frans Timmermans s’est attiré l’hostilité du V4 en raison de ses positions offensives sur le respect de l’État de droit, la journaliste tchèque Kateřina Šafaříková rappelle qu’Ursula von der Leyen partage l’essentiel de ses positions concernant les dérives de la Hongrie et de la Pologne et s’est également prononcée en faveur d’une politique migratoire européenne solidaire. Cette proche d’Angela Merkel soutient également la fédéralisation de l’UE – combattue de toutes leurs forces par les gouvernements d’Europe centrale – et se montre très progressiste sur les questions de société, comme le mariage homosexuel.
Pour Mme Šafaříková, les nominations du libéral Charles Michel à la tête du Conseil européen et de Josep Borrell comme chef de la diplomatie européenne ne peuvent pas non plus être vues comme des victoires du V4, le premier ayant déjà soutenu l’exclusion de la zone Schengen et la fin des fonds européens pour les pays refusant les quotas de réfugiés. « Le V4 a été marginalisé », a-t-elle estimé.
La propagande officielle tournée en dérision
Dans une chronique bien sentie, l’éditorialiste hongrois István Dévényi s’est délecté dans Magyar Hang du « triomphe en fanfare » mis en scène par les médias proches du pouvoir, rapportant avec ironie « l’incroyable défaite d’Angela Merkel, contrainte de nommer une de ses personnes de confiance à la position la plus importante ». « Viktor Orbán et le groupe de Visegrád ont tellement tenu la dragée haute à Emmanuel Macron que [le président français] a dû se contenter du contrôle de la deuxième institution la plus puissante de l’UE », a également grincé István Dévényi, imitant le style des principaux sites d’information pro-gouvernementaux.
Du côté du quotidien polonais Gazeta Wyborcza, Monika Olejnik s’est amusée des « cabrioles » de la presse pro-gouvernementale polonaise, fêtant la « victoire » de son premier ministre Mateusz Morawiecki. Rappelant l’hostilité traditionnelle du parti au pouvoir Droit et justice (PiS) à l’encontre de l’Allemagne, la journaliste s’est ouvertement questionnée : « est-ce que maintenant, après la « victoire » de Morawiecki, le PiS devra aimer les Allemands ? »
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