Avec une économie au bord des gouffres, les dernières mesures censées protéger le pouvoir d’achat de la population commencent à sauter. Alors que la situation devient critique, le président de la banque centrale hongroise a vertement critiqué la politique économique de Viktor Orbán.

« À partir de 2010, sur un certain nombre d’aspects importants, nous n’avons pas pris les bonnes décisions. […] depuis 2021, le gouvernement a pris de mauvaises décisions ». La critique ne vient pas des rangs de l’opposition, mais du président historique de la banque centrale hongroise (MNB), György Matolcsy, et ancien ministre de l’Économie de Viktor Orbán (de 2010 à 2013).
Lundi matin, ce fidèle parmi les fidèles a pris tout le monde de court en critiquant publiquement la politique économique du gouvernement. Et l’économiste n’a pas mâché ses mots. « Il faut bien se rendre compte que la Hongrie est en situation de crise » et serait « le quatrième ou le cinquième pays le plus vulnérable financièrement dans le monde » ainsi que l’un des pays de l’UE « ayant les pires indicateurs macroéconomiques ».
« Si le gouvernement n’opère pas un virage à 180° dans sa politique économique, il perdra la décennie à venir, et c’est la stagnation, la stagflation qui suivront. À l’heure actuelle, c’est encore rattrapable, mais l’année prochaine, ce sera trop tard », avertit M. Matolcsy. Même si ce n’est pas la première fois qu’il critique publiquement la politique économique du gouvernement, il ne l’avait jamais fait dans de telles proportions.
Surtout, le président de la MNB n’a pas hésité à remettre en cause frontalement l’idée selon laquelle l’inflation ne serait due qu’aux sanctions prises contre la Russie. Une contre-vérité pour Matolcsy, pour qui l’inflation a commencé dès 2021 par l’augmentation soudaine des prix de l’énergie, responsable à elle seule de près de 80% de l’augmentation des prix actuelle. Le président de la MNB anticipe une année 2023 encore plus terrible pour la Hongrie, qui aura selon lui le taux d’inflation le plus élevé de toute l’UE, et presse le gouvernement de supprimer immédiatement tous les plafonnements instaurés sur certaines denrées alimentaires ainsi que sur les hydrocarbures.
En remettant en cause le récit officiel sur l’inflation, Matolcsy s’attaque au cœur de la communication gouvernementale. La vague de propagande actuelle, qui assomme continuellement n’importe quel citoyen-internaute vivant en Hongrie, consiste à présenter tous les maux actuels, et en particulier l’inflation, comme la conséquence de la « politique des sanctions » européennes contre la Russie. Cette politique serait menée par Bruxelles, de mèche avec l’opposition hongroise, actuellement désignée comme la « gauche dollar » pour avoir été prétendument « achetée » par la gauche américaine – elle-même sous la coupe de l’inévitable George Soros. Que l’une des autorités les plus influentes du pays remette en cause la version officielle n’est certainement pas pour plaire à Viktor Orbán.
La fin du plafonnement des prix à la pompe
D’autant que deux jours plus tard, par la force des choses, l’une des demandes de Matolcsy a bien fini par se réaliser. Lors d’une conférence de presse exceptionnelle tenue mardi soir à 22h30, le porte-parole du gouvernement, Gergely Gulyás, a officiellement annoncé la fin du plafonnement des prix des carburants. Deux minutes après son annonce, la mesure paraissait au journal officiel, pour une entrée en vigueur à 23h le jour même.
Des dizaines de villages hongrois privés de leur bureau de poste
« MOL tenait le coup jusque-là » a déclaré Zsolt Hernadi, le PDG de la plus grande entreprise pétrolière du pays – auquel l’État hongrois participe à hauteur de 25% -, mais a expliqué « qu’on allait droit dans le mur » et que le plafonnement des prix n’était plus tenable, alors que le pays est plongé dans une situation « jamais vue depuis les années 70 ou 80 ».
En trente minutes à peine, le gouvernement a donc rangé au placard l’une de ses mesures phares, avec laquelle il s’est targué pendant un an de faire le maximum pour amortir l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat. Pendant treize mois, les prix de l’essence et du diesel étaient plafonnés à 480 forints le litre (entre 1,20 et 1,30 euro). Mais ces dernières semaines, une grande confusion régnait alors que de nombreuses stations-service fermaient à travers tout le pays.
Lire : L’inflation continue d’accélérer en Hongrie : 22,5 % en novembre !
Pour le gouvernement, l’excuse est toute trouvée : « le résultat de la politique des sanctions de Bruxelles est que nous ne pouvons plus garantir un prix à la pompe de 480 forints pour les familles hongroises, » déclarait Gergely Gulyás en conférence de presse. Un « mensonge » pur et simple, juge le site d’analyse économique G7, pour qui le plafonnement des prix n’était plus tenable depuis plusieurs semaines déjà, de sorte que le gouvernement n’attendait que l’annonce de nouvelles sanctions pour se dédouaner aux dépens de Bruxelles.
Le lendemain, le gouvernement a tenté de sauver la face en annonçant une taxe sur les fameux « superprofits ». Le pétrolier hongrois MOL, qui importe toujours du brut russe bon marché via l’oléoduc Droujba, est effectivement un grand gagnant de l’augmentation des prix de l’énergie. En laissant les prix à la pompe augmenter, et en imposant une taxe exceptionnelle, le gouvernement espère engranger « des centaines de milliards de forints » pour le budget de l’année prochaine.
La fronde des enseignants se poursuit
L’augmentation des prix à la pompe – qui sont déjà remontés à environ 650 forints – va très durement impacter une grande partie de la population, qui souffre déjà du taux d’inflation le plus élevé d’Europe. Au mois de novembre 2022, les prix à la consommation étaient en moyenne 22,5 % plus élevés qu’un an plus tôt. Les prix des denrées alimentaires augmentent particulièrement vite.
Hongrie : Le ministère de l’Intérieur licencie des enseignants, la protestation s’intensifie
Au premier rang des revendications salariales se trouvent toujours les enseignants. Après plusieurs semaines, ils poursuivent tant bien que mal leurs protestations, malgré la fin de non-recevoir du gouvernement. Le corps enseignant, qui n’a aucun ministère dédié et dépend directement du ministère de l’Intérieur, prend de gros risques en faisant grève ou en manifestant leur mécontentement.
Face au mécontentement, Gergely Gulyás a au mieux répondu par un quasi-chantage : le corps enseignant verra son salaire augmenter à partir du moment où Bruxelles acceptera de débloquer les fonds européens.
Le bras de fer s’intensifie avec Bruxelles
Mais l’obtention des fonds européens est loin d’être garantie. À Bruxelles, après plusieurs semaines d’optimisme et un sentiment de « marché conclu » quant à la levée du mécanisme « état de droit » à l’encontre de Budapest – qui prive la Hongrie des fonds européens tant que des réformes ne sont pas instaurées contre la corruption – la Commission a soudainement fait machine arrière, et réclame plus de garanties de la part de Budapest.
Après des mois de bras de fer, plutôt que la conciliation, Viktor Orbán a décidé d’opter pour une stratégie offensive qui lui sied davantage : quitte à faire chanter les enseignants, autant faire chanter Bruxelles aussi. La Hongrie refuse notamment toujours l’idée d’approuver un impôt minimum sur les sociétés, elle qui offre l’un des taux les plus bas d’Europe (9%).
Surtout, Budapest n’a pas hésité à opposer son veto à une mesure visant à emprunter en commun 18 milliards d’euros destinés à soutenir l’Ukraine dans son effort de guerre. Face à l’indignation, le Fidesz affirme que le problème n’est pas l’aide apportée à Kyiv – avec qui les relations sont pourtant exécrables –, mais la manière : Budapest refuse que l’Europe s’endette collectivement et affirme qu’elle versera elle-même une aide financière directement à Kyiv.
À Budapest, le FMI est toujours un « juron »
La marge de manœuvre de Viktor Orbán se réduit de jour en jour, tant sur la scène européenne où il s’isole toujours plus, que sur la scène domestique. Avant cette sortie du président de la banque centrale, le ministre de la Technologie et de l’Industrie László Palkovics, lui aussi un historique du Fidesz, quittait le gouvernement dans une certaine confusion au début du mois de novembre.
Surtout, les caisses de l’État se vident désespérément. Il y a plusieurs semaines, des bruits de couloirs rapportaient qu’Antal Rogán, le « ministre de la Propagande », conduisaient des enquêtes d’opinion pour anticiper les réactions de la population face à une faillite de l’État. Le spectre de la banqueroute plane bel et bien au-dessus des décideurs hongrois. Au point d’en appeler à l’aide du Fonds Monétaire International (FMI) mis à la porte du pays par le Fidesz peu après sa prise de pouvoir en 2010 ?