« Kispál » à Sziget, bouquet final d’une histoire 100% magyare

Ce soir, au crépuscule du jour hongrois (J-1) de la 18ème édition du festival Sziget, l’atmosphère sera chargée d’émotion devant la Grande Scène. Ce sera l’ultime concert de Kispál és a Borz, un groupe qui a marqué toute une génération de Hongrois et qui sera, ce soir en tous cas, la formation de rock alternatif la plus populaire en Hongrie.

Après des milliers de concerts à travers le pays, des airs connus comme des hymnes nationaux, tels que Emese, ou Ha az életben, le groupe a décidé de se retirer définitivement de la scène musicale, selon la décision d’un de ses leaders, András Lovasi. Ce dernier, en panne d’inspiration avec Kispál és a Borz, se concentrera dorénavant sur Kiscillag, jeune groupe hongrois à la tête duquel il est depuis 2005, programmé en tête d’affiche de la scène MR2 vendredi soir à Sziget. Avec le retrait de son leader, ce qu’on appelle aujourd’hui simplement Kispál tire le rideau sur 23 ans de carrière, 14 albums plus originaux les uns que les autres, 2 albums « live », 1 best of et 2 DVD.

Les origines à Pécs

Tout a commencé en 1987, à Pécs dans le sud de la Hongrie, avec une bande de quatres potes qui se sont connus dans la cour d’école et qui ont par la suite travaillé dans la même usine à gaz. Kispál és a Borz a connu 9 musiciens en tout, mais seuls deux membres forment le noyau dur du groupe depuis ses débuts : le compositeur, chanteur et bassiste András Lovasi et le guitariste, co leader András Kispál, à qui l’on doit le nom du groupe. Au début la bande devait simplement s’appeler « Borz » (« blaireau » en français). Mais face au refus catégorique d’András Kispál d’utiliser le nom de l’animal peu ragoûtant, les autres membres, têtus, ont conservé leur idée originelle et ont ajouté, en guise de compromis, le nom du réfractaire guitariste. Le groupe, désireux de créer un rock hongrois nouveau, différent de la « wave » gentillette d’Europa Kiado en vogue durant cette période, commence sa carrière « live » dans quelques bars de Pécs. Grâce au bouche à oreille, Kispál a rapidement acquis une réputation confortable sur la scène underground magyare naissante et a commencé à se produire un peu partout en Hongrie. Son premier album Naphoz Holddal a vu le jour en 1991.

Des artistes vivants et indépendants

Du fait du caractère extrêmement frileux et conservateur des radios de l’époque en Hongrie, Kispál és a Borz n’a jamais utilisé les médias pour se faire connaître. C’est l’une des grandes fiertés de Lovasi : le groupe s’est bâti tout seul, sur scène, grâce au public happé par l’intensité et conquis par la fréquence de leurs prestations. Les gens ont immédiatement aimé Kispál és a Borz et le groupe le leur a bien rendu : de 1990 à 2004, date de leur dernier album, le groupe n’a jamais cessé d’être proche de ses fans en leur offrant un nombre incalculable de concerts de toutes natures. Après 2004, le manque d’inspiration n’a pas arrêté la communion avec le public. Le groupe a continué à tourner, en délivrant, au bas mot, une quarantaine de prestations par an.

Si les chaînes de télé et de radio n’ont en rien contribué à rendre Kispál és a Borz populaire, le contexte économique et politique flou du pays a toutefois permis au groupe d’exprimer pleinement toute sa force artistique et son énergie. Sans la pression des maisons de disques, ni celle des médias, inexistante à cette époque, András Lovasi (photo à droite) avait quartier libre pour laisser libre cours à son imagination. Ainsi,le productivisme actuel et l’importance sans cesse croissante du profit dans la musique dépareille avec le caractère profondément libre de Kispál.  S’exprimer, écrire sa musique, donner des concerts et du plaisir, ne surtout pas être affilié à un quelconque courant politique, n’être dépendant que de son art : telles sont les règles d’or qui ont su enchanter la jeunesse hongroise pendant plus de 20 ans.

En conservant cette philosophie de promiscuité avec le public et d’indépendance financière et politique, Kispál és a Borz a construit progressivement sa légende magyare, tout au long des années 90 et 2000. La force des sons et des mots pensés par Lovasi y est sans doute pour quelque chose, mais c’est surtout en s’imprégnant des Hongrois que ce groupe a tatoué la Hongrie, pays où la musique est parfois la seule à pouvoir occasioner l’harmonie et rassembler les gens.

Une musique et des textes uniques en leur genre

A la différence de Quimby, autre groupe pop hongrois du début des années 90, les mélodies de Kispál és a Borz sont davantage brutes et réalistes.  Rock, Pop ou Indie-Rock ? Les spécialistes étrangers de la musique peuvent s’éterniser à chercher où les ranger. La réponse est simplement détenue par les Magyars. Leur musique est toujours décrite comme « à part », « inclassable », ou « alternative ».

A la fois simples et complexes, philosophiques, lyriques et touchantes, unificatrices mais jamais réellement engagées au sens politique du terme, les paroles d’András Lovasi apparaissent inexplicablement belles, parlantes et réalistes aux oreilles des hongrois. Pour les étrangers, même pour ceux intéressés par la langue de Petőfi et par la musique de Lovasi, elles sembleraient au contraire nébuleuses, imperceptibles et sibyllines. C’est sans doute pour cette raison que l’influence de Kispál n’a jamais dépassé les frontières de la Hongrie. Du fait du génie poétique de Lovasi et de la quasi inaccessibilité de la langue hongroise au commun des mortels étrangers, les chansons du groupe demeurent exclusivement réservées à un public magyar. Si les Beatles avaient été hongrois, il ne fait aucun doute qu’ils n’auraient été reconnus que par leurs concitoyens.

Les adieux de tout un peuple

Une musique nouvelle dans un monde nouveau, un parolier hors du commun, de nombreux concerts flamboyants et une indépendance à toute épreuve, telle est sans doute la recette magique de la jeunesse éternelle de Kispál és a Borz. Lundi soir, sur l’île d’Obuda, ils seront des milliers, des plus jeunes et des plus vieux, des plus riches et des plus modestes, des plus « à gauche » et des plus « à droite », à débourser les 6000 forints requis pour voir une dernière fois en concert le groupe réuni. Comme lors de la mort de Tamas Cseh (il y a tout juste un an), chanteur hongrois à qui le Jour-0 rendra hommage, une belle page de l’histoire musicale de la Hongrie va alors se tourner.

Infos supplémentaires sur le site de Sziget

Articles liés :

Sziget fesztival en chiffres

Un concert d’adieu à Sziget

Sziget 2010 « peut mieux faire »

Sziget vaut encore le voyage

Sziget J-1: la peur du fiasco commercial

Sziget, on t’aime quand même

Du gratin sur le sapin de Tamas Cseh

Ozora, la Mecque des rendez-vous goa

L’irrésistible ascension de « Sound »

Depeche Mode et la Hongrie, c’est pour la vie

Nicolas Gidaszewski

Cofondateur de Hulala et ancien membre de la rédaction

No Comments Yet

Leave a Reply

Your email address will not be published.