« J’ai confiance en la Hongrie »

Dans cette tribune, l’éditorialiste de gauche András Jámbor tire les leçons des dernières élections intermédiaires en Hongrie, en appelant ses lecteurs à voter avec le cœur et la raison pour déloger le Fidesz du pouvoir. Quitte à porter, dans certains cas, son suffrage pour un candidat du parti d’extrême-droite Jobbik.

Tribune publiée le 4 mars 2018 dans Mérce sous le titre « Hiszek Magyarországban! ». Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

Je suis assis dans un château assiégé. Je passe toutes mes journées comme si l’on mettait le siège à cette confiance que je place au fond de moi dans la Hongrie. Les assiégeants, ce sont l’abattement, l’horizon bouché, le cynisme, cette force qui nous manque pour pouvoir rêver. Et bien sûr avec eux le monde de la post-vérité.

Mais je ne suis pas prêt à abandonner ma confiance en une Hongrie meilleure.

Je ne suis pas du genre à penser que l’opposition gagne ou que le Fidesz perde. Ou bien que tous les problèmes seront réglés demain. La seule chose en laquelle j’ai confiance, c’est en la Hongrie.

Mais cette Hongrie n’existe pas encore, parce que nous sommes trop peu nombreux – dix mille, cent mille, pourquoi pas un million – à croire en elle. Cette Hongrie n’est pas la Hongrie d’aujourd’hui, pas même celle d’il y a ans. Cette Hongrie n’a jamais existé. Cette Hongrie est à inventer.

Cette autre Hongrie appartient au peuple. Dans ce pays imaginaire, le garçon de café de Hódmezővásárhely n’est pas cantonné au salaire minimum après une moitié de vie de travail, celui qui naît dans une rue tsigane du Borsod n’est pas condamné à vivre des travaux d’intérêt général, celui qui vient d’une famille de la classe moyenne n’est pas obligé de partir s’employer à l’étranger pour pouvoir mener une vie digne de ce nom.

Moi je crois dans cette autre Hongrie, où la solidarité ce n’est pas les fonds de poche que l’on donne aux clochards, mais la possibilité accordée aux pauvres, aux travailleurs et à tout le monde d’accéder à l’éducation, à l’emploi, à la culture, à la santé et – au-delà des salaires – de bénéficier d’une vie viable.

Je crois dans cette Hongrie nouvelle, où la démocratie ne signifie pas le gouvernement des oligarques, mais le droit du peuple à décider de sa propre vie. Où l’Etat et ses biens, la cour de justice et la justice, l’Etat de droit et la liberté ne sont pas réservés à quelques-uns, mais sont l’affaire de tous.

« Ma confiance restera inébranlable même s’il faut pour ça déplacer des montagnes. »

Ma confiance est inébranlable. Sinon je ne ferais pas ce que je suis en train de faire. Elle restera inébranlable même s’il faut pour ça déplacer des montagnes.

Y compris même si je vois, j’entends, je sens autour de moi combien l’impuissance, la résignation, le cynisme, l’ignorance, l’amour de l’argent ou du pouvoir peuvent asservir les gens. Si cette confiance est inébranlable, c’est que je sais que, si ces gens commencent à envisager cette autre Hongrie, alors ils pourront s’élever et rêver eux aussi à ce pays qui n’a jamais vraiment existé.

En réalité, si nous croyons tous en ce rêve, si nous souhaitons tous qu’il se réalise – et que nous y parvenons ! -, alors il faudra se relever les manches pour construire ce pays.

Avant cela il faut l’imaginer, et il est impossible de le concevoir si l’on n’y croit pas. C’est pourquoi ceux qui y croient doivent diffuser le plus largement possible ce sentiment. Et c’est à nous qu’il incombe, à ceux qui y croient, d’élaborer une stratégie. La première étape, c’est précisément de transmettre aux autres la possibilité de cet imaginaire politique, et avec lui cette croyance. La seconde étape, c’est de trouver le moment à partir duquel nous pourrons engager le combat pour faire advenir ce nouveau pays.

Nous pouvons nous battre dans la rue, nous pouvons nous battre dans les médias publics, nous pouvons nous battre en discutant, lors des repas de famille, sur nos lieux de travail, et nous devons nous battre le 8 avril lorsque nous serons dans l’isoloir.

Je ne crois pas que l’opposition actuelle pourrait gagner et transformer cette nouvelle Hongrie en réalité, mais je sais que si nous ne condamnons pas l’avidité, l’oppression, le climat de peur, le déni de la volonté populaire, le cynisme, le mépris, l’accaparement, alors nous resterons éloignés de ce rêve. A quel point le serons-nous ? Chacun peut l’imaginer.

Même si nous n’atteindrons pas la terre promise dans les soixante prochains jours, c’est maintenant qu’il faut se mobiliser pour cette autre Hongrie. Au nom de l’État, au nom de notre avenir.

« Il faut porter le fer avec le cœur et la raison. »

Il faut porter le fer avec le cœur et la raison, et je le dis, il faut que nous nous alliions avec ceux qui en 2010 se tenaient encore plus loin de ce pays de nos rêves (sous-entendu le Jobbik, ndlr), justement parce qu’aujourd’hui il faut battre ceux (le Fidesz, ndlr) qui utilisent cet argument pour nous tenir à distance.

Il faut se battre avec le cœur et la raison et ce ne sont pas là des mots vains. Lors des élections je pourrai voter avec deux bulletins. Nous aurons chacun deux voix (en Hongrie, le scrutin législatif est mixte, ndt) : une pour voter sur une liste, l’autre pour désigner le député de notre circonscription. Un vote avec le cœur, un vote avec la raison. Il faut se battre avec le cœur et voter conséquemment sur la liste qui va nous amener au plus près de cette Hongrie à laquelle on aspire ; il faut voter avec la raison sur le candidat qui, en circonscription, nous tiendra le moins éloigné de cet objectif.

Les dernières semaines ont montré que nous pouvons remporter ce combat, surtout si beaucoup croient cela possible. Fermez vos yeux, imaginez cette Hongrie dans laquelle vous voulez vivre et battez-vous pour elle !

András Jámbor

Journaliste

Fondateur et rédacteur-en-chef de Mérce, site d'information indépendant, engagé à gauche et dans le mouvement social en Hongrie.

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