« Il est possible de ramener Orbán dans le droit chemin », croit-on encore au PPE

Entre aveuglement et cynisme, le Parti populaire européen continue de soutenir le leader hongrois Viktor Orbán. Une assistante parlementaire française du PPE – qui n’a accepté de témoigner de l’ambiance et des discussions au sein du groupe que sous anonymat – a répondu en coulisse aux questions du Courrier d’Europe centrale.

Propos recueillis par Patrice Senécal pour Le Courrier d’Europe centrale. Précisons que ces propos ont été recueillis à la mi-novembre, donc avant l’annonce du départ de Budapest de l’Université d’Europe centrale, ligne rouge tracée par le chef du PPE, Manfred Weber. Mais il est peu probable que la position du parti ait évolué depuis, au vu de la réaction de ce dernier à l’annonce de la CEU, qui s’était simplement dit « déçu« .
Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale
Le premier ministre hongrois est de plus en plus critiqué pour sa politique portant atteinte à l’État de droit. Récemment, on a appris que l’Université d’Europe centrale (CEU) serait sur le point de quitter le sol hongrois pour s’établir à Vienne. Quelle approche le PPE peut-il tenir quant à la présence des troupes de Viktor Orbán ?

On a eu un gros désaccord au sein du PPE sur la ligne à adopter et on n’a pas du tout été unis sur ce dossier-là. Même parmi les députés français, on n’était pas tous sur la même ligne. Ça reste un sujet très sensible et assez personnel à chaque député. Certains disent qu’il faut le garder [Viktor Orbán] à l’intérieur de la famille pour éviter qu’il se radicalise davantage. D’autres disent qu’il a vraiment dépassé les bornes et qu’il ne peut plus faire partie d’une droite chrétienne-démocrate comme celle que l’on porte. Il y a un débat qui est latent. Je dois dire que pendant le Congrès [du parti des 7 et 8 novembre derniers], les choses ont été assez « softs« , on s’attendait à ce qu’il [Viktor Orbán] fasse encore des sorties pas possibles et virulentes. Les quelques mois passés à discuter avec lui ont portés leurs fruits [sic!].

Peut-on parler de crise au sein du PPE ?

Je ne pense pas que le PPE soit en crise. Je sens plutôt au contraire qu’il y a une volonté de rassemblement très forte, d’être unis derrière notre candidat de têtes de liste [Manfred Weber] pour les européennes. On sait déjà que la guerre va être sanglante entre les partis politiques au niveau européen dans les prochaines élections européennes. Le mot d’ordre [qui a été lancé lors du précédent Congrès du parti], c’est de faire fi des divisions internes et de marcher unis en vue des élections, parce que ça ne sera pas facile. Les leaders étaient plutôt dans un message de rassemblement. Il fort à craindre que les dissensions au sein du PPE ressortent après [les élections].

Orbán pourrait donc se faire montrer la sortie après les élections ?

C’est tout à fait possible, oui. En tout cas, c’est sûr que ça ne pourra pas se faire avant parce qu’on est conscient qu’un parti politique est d’autant plus fort qu’il est nombreux. Pour l’instant, le PPE a plus envie de rester uni parce que ça nous permet de rester plus forts [en vue des élections]. Mais on peut envisager que les choses pourraient être différentes après.

Le fait d’abriter Orbán ne mine-t-il pas l’image du PPE, un parti censé défendre les valeurs et principes européens ?

C’est pour cela qu’on essaie vraiment d’avoir des discussions avec lui. Et on a eu beaucoup de débats en interne qui ont pas mal chauffés. Il tient des propos qui ne sont pas ceux que l’on défend au PPE. Notre stratégie pour l’instant, c’est de dire qu’il faut essayer de le ramener dans le droit chemin, plutôt que de l’évincer et le marginaliser. Certains disent au sein du PPE aussi qu’Orbán est la meilleure barrière contre l’extrême-droite dans son pays, qu’il faut travailler à faire en sorte de garder un dialogue avec lui et de le garder dans une famille politique pro-européenne pour éviter la radicalisation en Hongrie, quoi. C’est sûrement un des pays où l’extrême-droite a le moins évolué.

Selon vous, il serait donc encore possible de le « ramener dans le droit chemin » ?

On le croit vraiment, de ce que je vois et ce que disent les hommes politiques au sein de notre groupe. Eux pensent vraiment qu’il est possible de le ramener dans le droit chemin. Et c’est pour ça qu’il [Orbán] est encore là.

« On veut continuer à discuter, c’est la stratégie pour éviter de le braquer »

En juin dernier, lors d’un discours en hommage à Helmut Kohl, Viktor Orbán avait menacé de créer son parti paneuropéen, affirmant qu’il « serait facile, par exemple d’établir une formation […] anti-immigration paneuropéenne. » Quel accueil ces propos ont-ils reçus ?

On ne voit pas cela d’un bon œil. On veut continuer à discuter, c’est la stratégie pour éviter de le braquer, mais voilà pour l’instant la ligne pro-européenne et démocrate du parti n’a pas changé. Pour l’instant, Orbán n’a pas suffisamment d’alliés au sein du PPE pour réussir à faire bouger les choses, il est assez isolé. Et certains ne sont pas tellement à l’aise avec sa présence au sein du parti. Les gens ne lui disent pas : « bravo, merci de vouloir révolutionner la façon dont fonctionne le PPE« . Les gens restent plutôt méfiants vis-à-vis des propositions qu’il fait.

A-t-on établi un ultimatum au PPE pour une éventuelle exclusion du parti d’Orbán ?

Non, pas du tout. On n’est pas dans cette dynamique-là. On est vraiment dans la dynamique de faire en sorte de le ramener dans le droit chemin. Par contre, en revanche, ce qui a été rappelé alors à plusieurs cette semaine, c’est de respecter les valeurs du PPE, l’État de droit. C’était une façon très claire de mettre de la pression sur ceux qui tendraient à ne plus respecter ça.

Le PPE pourrait perdre de nombreux sièges lors des prochaines élections européennes. En Allemagne, le parti conservateur d’Angela Merkel (CDU, membre du PPE) a dégringolé lors de récents scrutins, laissant présager une désaffection pour les partis traditionnels.  Comment appréhende-t-on le possible recul électoral dont le PPE pourrait être victime d’ici quelques mois ?

Évidemment, c’est une inquiétude. Perdre des voix signifie perdre de l’influence. Aujourd’hui nous sommes le plus grand groupe au Parlement européen, donc c’est nous qui pouvons construire ou déconstruire des majorités très facilement. Clairement, perdre des voix ce sera un problème parce que ce sera perdre de l’influence sur les dossiers. Ce sera un grand questionnement pour nous car la perte de voix va être accompagnée par un changement sûrement très profond des équilibres politiques au niveau européen. C’est assez difficile pour l’Allemagne et cela a un impact assez important sur le PPE. Angela Merkel est très influente au sein du PPE. […] On a dit au sein du PPE qu’on avait encore beaucoup besoin d’elle pour reconstruire le parti, donc je crois que Merkel va continuer d’avoir un rôle assez important dans ce qui va se passer dans les années à avenir.

« Pour l’instant les dissensions vont être un peu mises au placard en attendant les échéances électorales. »

Le PPE serait-il prêt à faire alliance avec des groupes populistes pour former une majorité au Parlement ?

Aujourd’hui, c’est un sujet un peu conflictuel au sein de notre groupe. Certains seraient plus enclins à le faire que d’autres. Pour nous, Français au sein du PPE, on reste ceux qui nous battons absolument pour qu’aucune alliance politique ne soit rendue possible avec l’extrême-droite. On est d’ailleurs ceux qui aujourd’hui dans la législation actuelle ont mis en place une règle qui veut que, quel que soit l’objet de l’amendement dont il est question, s’ils viennent de l’extrême-droite, on vote contre. Pour l’instant, on a maintenu une sorte de cordon sanitaire avec elle, qui est vraiment le cheval de bataille de la France au sein du PPE. Pour nous Français, c’est hors de question de faire des alliances avec l’extrême-droite.

Les prochaines élections marqueront-elles un point tournant pour l’histoire du PPE avec Orbán ?

Je pense que ça marquera un point important. On s’est aussi séparé d’un certain nombre de députés britanniques à une certaine époque, et ça avait marqué un tournant. Je pense que la question d’Orbán le sera certainement aussi. Mais je persiste à dire que cette question-là se traitera après les européennes. Parce que là on est déjà mal en point, ce n’est pas facile pour les groupes traditionnels comme les nôtres. Pour l’instant les dissensions vont être un peu mises au placard en attendant les échéances électorales. Et puis ensuite on verra ce que l’on fera en interne.

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Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.

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