Les journalistes de Népszava soulignent les zones d’ombres qui entourent la décision des autorités sanitaires magyares d’autoriser le vaccin russe en Hongrie. Profitant d’un décret qui lui permet d’outrepasser les protocoles sanitaires, le gouvernement a passé commandes de 5 millions de doses du vaccin chinois.
L’Institut national hongrois de pharmacie et de la nutrition (OGYÉI) a pris la décision d’homologuer le vaccin russe, Sputnik-5. Pourtant, le journal Népszava rapporte que des scientifiques travaillant à OGYÉI ont exprimé de sérieux doutes quant à la fiabilité du vaccin et des informations disponibles à son sujet. Ils ont notamment pointé du doigt le fait que le vaccin qui sera mis en circulation n’est pas exactement le même que celui testé en laboratoire. Qui plus est, ils dénoncent des incohérences dans la documentation fournie par les Russes qui, de leur avis, devraient suffire à elles seules à ne pas homologuer le vaccin.
Népszava a tenté d’approcher les scientifiques du OGYÉI, mais aucun n’a accepté de répondre à leurs questions. L’organe de contrôle s’est contenté de publier un communiqué officiel. Celui-ci ne nie pas l’existence d’avis divergents sur la question, mais affirme avoir reçu des informations « rassurantes » de la part des laboratoires russes, et qu’il existe par conséquent suffisamment d’éléments pour considérer le vaccin comme fiable. Cela étant, le communiqué ne précise pas les raisons qui ont poussé les autorités à ne pas prendre en compte les avis contradictoires de ses propres scientifiques.
Le gouvernement fait pression sur les autorités sanitaires
Pour Ferenc Falus, ancien directeur du Centre national de santé publique (NNK), la situation est très claire : « il est évident que l’OGYÉI a cédé face à la pression politique, la preuve en est que ses propres experts n’ont pas le droit d’exprimer publiquement leur avis sur la question ». Il poursuit en rappelant que les centres de vaccination devraient attendre l’avis des autorités sanitaires européennes quant à l’utilisation du vaccin russe. Rappelons que l’autorisation émise par l’OGYÉI n’est pas l’étape finale : le Centre national de santé publique (NNK) doit encore procéder à ses propres tests et émettre l’avis final.
L’OGYÉI vient également d’autoriser l’utilisation du vaccin chinois développé par les laboratoires Sinopharm. Toutefois, cette autorisation n’était même plus nécessaire. En effet, la semaine dernière le gouvernement hongrois avait déjà émis un décret permettant d’autoriser l’importation et l’utilisation d’un vaccin qui aurait été inoculé à plus d’un million d’individus à l’étranger, sachant que plus de 20 millions de personnes ont déjà reçu le vaccin chinois de Sinopharm. L’autre condition imposée par le décret est que le vaccin en question doit être distribué dans au moins trois pays différents, dont l’un devant être un État membre de l’UE, ou à défaut, un État officiellement candidat. Par le plus grand des hasards, il s’avère que la Serbie, candidat officiel, est déjà en train d’utiliser ledit vaccin, lui permettant ainsi de remplir toutes les conditions de ce décret taillé sur mesure pour contourner les règles sanitaires.
« Personnellement, j’attendrai le vaccin chinois ; c’est celui en lequel j’ai le plus confiance. Ce sont les Chinois qui connaissent ce virus depuis le plus longtemps. » – Viktor Orbán.
Cinq millions de doses de vaccin Sinopharm, deux millions de Sputnik 5
A l’origine, ce décret visait à permettre au vaccin britannique, développé par AstraZeneca, de pouvoir être directement homologué par les autorités sanitaires hongroises, sans qu’elles procèdent à leur contrôle habituel. Cela étant, le gouvernement hongrois semble maintenant favoriser la piste chinoise. Le ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó, a ainsi indiqué ce vendredi que la Hongrie a acheté cinq millions de doses du vaccin chinois, permettant ainsi de vacciner 2,5 millions de personnes. Les livraisons vont s’étaler sur quatre mois. La Hongrie attend également deux millions de doses du vaccin russe.
Le Premier ministre Viktor Orbán a publiquement exprimé sa préférence pour le vaccin chinois : « Personnellement, j’attendrai le vaccin chinois ; c’est celui en lequel j’ai le plus confiance. Ce sont les Chinois qui connaissent ce virus depuis le plus longtemps. » En Hongrie, les membres du gouvernement ne sont pas prioritaires dans l’accès au vaccin. Celui-ci est distribué par tranche d’âge, suivant un ordre évidemment décroissant.
Selon un sondage, la majorité des Hongrois refuseraient de recevoir le vaccin russe ou chinois
Selon un sondage commandé par Népszava, seulement 35% de la population accepteraient de se faire vacciner avec le vaccin russe. Pour le vaccin chinois, c’est encore pire, puisque seulement 27% de la population serait d’accord. Mais comme le souligne Népszava, la question de l’origine des vaccins est devenue extrêmement politisée. En affinant les questions, il ressort que parmi ceux qui se déclarent sympathisants du Fidesz, près de la moitié disent être prêt à recevoir le vaccin russe ou chinois (respectivement 55% et 50%). Parmi les sympathisants de MSZP ou de Momentum, respectivement 4 et 10% ont déclaré accepter l’idée de recevoir le vaccin russe, des chiffres qui tombent à zéro lorsqu’il est question du vaccin chinois. Il semble bien que cette dimension géopolitique a pris le pas sur le débat traditionnel entre pro- et anti-vaccins.

En turquoise : oui, certainement ; en vert : probablement oui ; en orange : probablement pas ; en rouge : certainement pas ; en gris : ne sait pas, ne se prononce pas.
Sondage réalisé par l’institut Publicus pour le compte journal Népszava. Source: Népszava