Le « Système de Coopération Nationale » décrété par la droite hongroise en 2010 n’a pas fait que des gagnants. Le média de gauche Mérce fait le bilan d’une décennie durant laquelle les femmes, les Roms, les travailleurs, et d’autres groupes encore, ont été rudement malmenés par les nationaux-conservateurs de Viktor Orbán.
Article de Nóra Diószegi-Horváth publié sur Mérce le 28 avril 2020. Traduction réalisée par Paul Maddens.

Il y a dix ans, le Fidesz revenu au pouvoir décrétait un nouveau contrat social intitulé « Système de coopération nationale » (abrégé en NER, pour Nemzeti együttműködés rendszere). Selon le média de gauche Mérce, partenaire du Courrier d’Europe centrale, le NER a fait plus de perdants que de gagnants. Il dresse ci-dessous une liste qu’il précise être non-exhaustive.
Les travailleurs (-euses) « d’intérêt général »
Avant les élections de 2010 le Fidesz promettait la création d’1 million de nouveaux emplois (c’était l’époque où il prenait encore la peine de convaincre les électeurs avec quelque chose qui ressemble à un programme). Personne ne pensait que, dans ce but, ils allaient impulser un programme qui dirige des centaines de milliers d’individus dans un travail sans perspective et pour des salaires ne permettant pas de subsister. Le premier janvier 2011, l’emploi public est modifié et c’est le dénommé « système d’emploi public unifié » qui voit le jour avec la promesse que le « travail d’intérêt général » ouvre la voie au vrai marché du travail. Dès 2013, 130 000 personnes avaient été orientées dans cette direction, ce qui est beaucoup à l’échelle internationale (et par rapport aux chiffres du programme précédent « Route vers le travail »). Pour finir elles se sont trouvées prises au piège avec une paye loin du salaire minimum pour un travail dénué de sens.
A la fin du deuxième cycle du NER, il était déjà évident que le système des travaux d’intérêt général était bon tout au plus à embellir les statistiques, mais en aucune façon il ne sert les intérêts de ceux qui ont été dirigés sans ménagement dans cette impasse. Le temps passant, le gouvernement a compris la faillite de cet outil d’emploi public et a commencé à le démanteler. Reste à savoir quelle importance aura la renaissance de ce programme dans le traitement du chômage de masse faisant suite à la crise du coronavirus ?
Les travailleurs (-euses)
De façon générale, les choses ne se sont pas bien passées pour l’ensemble des travailleurs et pas seulement pour ceux du secteur des travaux d’intérêt général, car le seul objectif du gouvernement est la « compétitivité » des salaires. La défense des intérêts rendue impossible, l’affaiblissement global des droits du travail, concrètement la réécriture en 2011 de la loi sur le droit de grève ont conduit les syndicats dans une voie dont ils peinent à se sortir.
Il est devenu extrêmement difficile de protester en faveur des droits des travailleurs ou concrètement de faire la grève. Encore plus problématique : la stratégie gouvernementale de création d’emplois s’est épuisée dans le programme des travaux d’intérêt général et dans la séduction des multinationales étrangères. Ceci est visiblement une impasse car toutes les prévisions vont dans le même sens : ces entreprises resteront chez nous tant qu’elles peuvent exploiter les travailleurs avec de bas salaires et qu’elles ne trouvent pas ailleurs des conditions plus « idéales ». La situation n’est pas meilleure dans la sphère publique : infirmiers (-ères), professeurs, travailleurs de la culture, serviteurs du bien public, etc.., sont tous confrontés à des conditions toujours plus mauvaises et à la perte de valeur de leur salaire pendant que de plus en plus de collègues abandonnent leur carrière, quand ce n’est pas le pays.
Il ressort des statistiques que, jusqu’en 2018, le gouvernement n’a pas trouvé de réponse à la situation des personnes désavantagées dans l’accès au marché du travail : femmes ayant une grande famille et/ou des enfants en bas âge, roms, personnes peu diplômées. Puis, fin 2018, le gouvernement lança sa « loi de l’esclavage », signifiant que pour lui, il est encore et toujours plus important de graisser la patte des grandes entreprises que d’améliorer la situation des salariés. La situation créée par l’épidémie a de nouveau mis en lumière le fait que la protection des travailleurs n’est pas la priorité pour le gouvernement. Le « plan de protection de l’économie », qu’ils brandissent avec tant d’émotion, est minimaliste du point de vue des salariés, il ne concerne qu’un cercle étroit et ne leur offre pas une aide véritable. Viktor Orbán proclame que le but principal est la protection des emplois existants et la création de nouveaux emplois – mais si cela signifie diriger de nouvelles personnes dans le monde du travail d’intérêt général, cela ne mène à rien.
Les élèves
La NER a systématiquement mis en pièces le système d’enseignement, occasionnant par là des dommages incommensurables. Tout ceci a commencé avec la réécriture de la loi concernant l’enseignement public en 2011, et bien que le nom de Rózsa Hoffman soit depuis tombé dans l’oubli (Zoltán Balog, László Palkovics et Miklós Kásler n’y sont pas pour rien…), c’est vraiment à ce moment qu’il est apparu que la coalition Fidesz-KDNP entreprenait la destruction de l’enseignement public. Les mesures telles que l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à 16 ans montrent quelles sont les priorités du NER :
Ils ne regardent absolument pas les intérêts des élèves, qu’ils font sortir du système d’enseignement sans diplôme pour les rediriger vers le marché du travail. C’est ainsi que décrochent ceux qui ont le plus besoin d’aide. La centralisation a permis d’avoir la main sur la direction des établissements (causant tant de problèmes aux directeurs et professeurs), et en dépit de toutes les protestations, depuis des années le gouvernement ne prend pas en considération le degré de surmenage des élèves et à quel point les connaissances qu’ils peuvent acquérir dans l’enseignement public n’est pas « compétitif ». La loi Taigetosz[1]La loi dite Tageitosz (2017) a modifié un point de la loi sur l’enseignement public : certains enfants présentant des difficultés à apprendre bénéficiaient de dispenses concernant certains enseignements ; la loi Tageitosz a supprimé ces dispenses., l’affaiblissement de l’enseignement professionnel, les écoles alternatives malmenées, tout cela n’est que la cerise sur le gâteau avarié et le nouveau NAT (« programme national d’enseignement ») maintient l’enseignement sur la même voie. Celle-ci mène vers une très mauvaise situation : elle prive d’avenir des dizaines de milliers d’élèves chaque année.
Les femmes
L’épidémie a quelque peu fait oublier que 2020 est théoriquement l’année de l’aide aux victimes, si le gouvernement daignait s’occuper de la violence faite aux femmes et de la violence intra-familiale. C’est un gouvernement de « Komondors aveugles » dont les députés humilient sans aucun souci leurs collègues féminines. Depuis des années, il n’est pas disposé à ratifier la convention d’Istanbul, et sa lenteur et son étroitesse de vue le rendent incapable d’agir contre les violences faites aux femmes. Il ne fait rien non plus pour atténuer les inégalités entre les sexes et s’en prend aux théories du genre. Aujourd’hui, être femme en Hongrie n’est en rien mieux qu’il y a dix ans. Étant donné le cynisme du gouvernement dans ce domaine, cela risque de rester ainsi encore longtemps, puisqu’en dehors des aides apportées à la classe moyenne supérieure, nous ne voyons toujours pas comment ils diminueraient les charges des tâches domestiques, d’éducation et de soins aux proches ; D’ailleurs pour le Fidesz, la femme, jusqu’à aujourd’hui, n’est pas plus qu’un outil propre à embellir des indicateurs démographiques.
Les pauvres
Il serait peut-être suffisant de décrire comment vivent ceux qui sont dans la pauvreté aujourd’hui en Hongrie. Le conseiller principal de Viktor Orbán a déclaré un jour que le gouvernement d’Orbán avait éliminé la misère, la faim chez les enfants. […] Il n’emploie que des mots vides ou fait comme si le problème n’existait pas. Or les chiffres montrent qu’il existe bel et bien : Depuis l’accroissement préoccupant du nombre de travailleurs pauvres jusqu’au nombre d’expulsions, en passant par le nombre de ceux qui vivent sans électricité, de nombreuses données indiquent combien vivent dans une situation horriblement difficile dans notre pays.
Les actes du gouvernement sont plus parlants que les chiffres : les mesures qui favorisent la classe moyenne supérieure et l’élite au lieu d’essayer de tenter d’améliorer la situation de ceux qui vivent dans la pauvreté (citons l’impôt à taux unique sur le revenu), la loi sur la Sécurité Sociale qui met en danger la vie de ceux qui, par ailleurs, sont plus en difficulté du fait de leur pauvreté. Le NER a fait disparaître la classe moyenne, d’année en année le nombre de déclassés sans espoir d’ascension sociale augmente. Pourtant le gouvernement combat la pauvreté tout au moins au niveau des chiffres : si les statistiques dépeignent un tableau trop morose, alors ils les embellissent un peu ou suppriment carrément l’indicateur peu reluisant.
Les handicapés
Il a été révélé en mai 2017 que les résidents d’un foyer de Göd étaient traités de façon inhumaine ; il s’agissait de 220 personnes handicapées jeunes et adultes : leur sécurité, leur alimentation, leurs soins, leur enseignement n’étaient pas assurés de façon satisfaisante. Ce cas a également attiré l’attention sur le fait que, dans les institutions où résident des personnes handicapées, le manque de personnel soignant compétent constitue un problème de plus en plus lourd (entre autres à cause des salaires). En 2011, le gouvernement a annoncé un processus de fractionnement des établissements ; celui-ci est lent et ne garantit pas une prise en charge convenable. Par ailleurs, au lieu de solutions centrées sur la personne, il créerait des établissements types qui ne prennent pas en compte le droit des handicapés à décider par eux-mêmes où et avec qui ils vivent. Une autre source d’inquiétude est que l’État traite encore le handicap comme un problème avant tout médical, bien que les services sociaux de base ne sont accessibles qu’à une infime partie des handicapés, pendant que les inégalités territoriales dans l’accès aux soins sont énormes. Le système juridique de la tutelle fait obstacle à l’exercice responsable de la prise de décision pour près de 60 000 personnes, les privant ainsi de leur capacité civile. Le NER ne considère visiblement pas le traitement de ces problèmes comme une priorité.
Les Tsiganes
Avant que le coronavirus ne balaie tous les thèmes à l’ordre du jour, le gouvernement hongrois recommençait à faire des Tsiganes un bouc émissaire. L’affaire de Gyöngyöspata est tombée à pic pour lui, faisant ressurgir des choses qui n’avaient pas été entendus depuis longtemps et cette fois pas de de la bouche de l’extrême droite officielle, mais de celle du premier ministre et de ses ministres. Ce n’était pas la première fois qu’Orbán dégaine la carte tsigane. En 2013, Zoltán Balog, alors qu’il était encore ministre, a déclaré qu’il croit en un enseignement de rattrapage plein de compassion mais ségrégué. Cela montre de quelle façon le gouvernement réfléchit à la situation des Tsiganes (Balog est devenu par la suite commissaire attaché au premier ministre, responsable des programmes de rattrapage des Roms). En 2015 déjà, les Roms et migrants ont été amalgamés, d’abord par László Trocsányi, le ministre de la Justice, selon qui la Hongrie ne peut accueillir d’immigrés car elle a déjà assez des Roms. Un parallèle repris la même année par Viktor Orbán : « C’est une donnée historique de la Hongrie, que le pays vit avec quelques centaines de milliers de roms. Cela a été décidé à une certaine époque par quelques-uns quelque part et nous en avons hérité ».
Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi Flórián Farkas et sa bande [ancien député du Fidesz, puis responsable d’une grande association pro-Fidesz représentant les Roms de Hongrie, accusé de corruption – Ndlr.]. Le programme à 1,6 milliards de forint « Híd a munka világába » (Un pont vers le monde du travail) est mémorable non pas parce qu’il n’y a eu le moindre pont, mais parce qu’il a été un cas d’école de vol à grande échelle. Malgré tout, c’est seulement après les élections législatives de 2018 qu’Orbán a relevé Farkas de son rôle de commissaire responsable des affaires des Roms auprès du premier ministre. N’oublions pas que l’UE a initié une procédure contre la Hongrie à cause de la ségrégation scolaire des enfants tsiganes. La situation des tsiganes dans les dix années passées ne s’est en rien améliorée et le gouvernement le sait pertinemment.
Les réfugiés
En 2015, le gouvernement hongrois a déclaré la guerre contre les réfugiés, d’abord en parole (en construisant sa stratégie de communication sur de nombreux mensonges), puis dans les actes. Ils ont construit un mur sur la frontière, symbole d’inhumanité, ils ont guerroyé contre l’introduction du système des quotas, et imposé des conditions effrayantes dans les « zones de transit ». Ajoutons que la propagande haineuse du gouvernement a semé dans la société les germes de la peur (pensons simplement à l’affaire d’Öcsény, où des habitants ont crevé les pneus de la voiture d’un propriétaire d’une pension quand ils ont appris que des réfugiés allaient y être hébergés quelques jours). Le gouvernement a passé pratiquement un mandat entier à exciter les gens contre les réfugiés, et ils sont capables de ressortir cette carte dès qu’ils le jugent nécessaire. Au début de l’épidémie, ils ont fait porter le chapeau à des étudiants iraniens, la presse de propagande a claironné qu’ils avaient vandalisé dans les hôpitaux, qu’ils avaient mis en danger les soignants et qu’ils ne respectaient pas les règles sanitaires liées à l’épidémie – puis par une procédure totalement irrégulière ils les ont chassés du pays.
Les groupes LGBT
Le 8 avril 2010, lors de l’évènement de clôture de la campagne électorale du Fidesz, Ildikó Pelczné Gáll déclare qu’à son avis les couples de même sexe et leurs enfants ne forment pas une famille. Pas mal pour un début, non ? Le NER ne recule pas devant l’homophobie (dans les milieux gouvernementaux certains se sont permis de telles déclarations et Viktor Orbán ne s’épargne pas une moquerie sur les homosexuels si l’occasion se présente) et n’oublions pas que jusqu’à l’an dernier le maire de Budapest condamnait la Gay Pride. Dans les dix dernières années, le gouvernement a créé des lois excluantes au regard des communautés LGBT (les gays ne peuvent se marier, ne peuvent adopter, la loi interdisant la reconnaissance juridique des personnes transgenres). L’année dernière, lors du mois de la Pride, des membres du mouvement « Notre Patrie » et l’équipe de György Budaházy ont perturbé plusieurs manifestations, souvent de façon violente, et pas une seule fois le gouvernement n’a condamné ces actes. Pourquoi l’auraient-ils fait ?
Les familles
2020 est l’année de l’aide aux victimes, 2018 était celle des familles. Mais qu’est-ce que la famille ? Au sens de ce qui est fixé dans la constitution, il y a famille dès qu’il y a mariage, autrement dit le gouvernement a exclu du concept de famille les familles monoparentales, les parents de même sexe, les familles recomposées, les concubins, autrement dit tous ceux qui n’entrent pas dans le cadre de son idéologie nationale-chrétienne.
Le gouvernement Fidesz-KDNP est-il vraiment l’« ami des familles » ? Pas si l’on pense au fait que ceux qui vivent dans la pauvreté sont exclus d’une bonne partie des aides (par exemple du CSOK, pour l’achat d’un logement). Il vaut aussi la peine d’évoquer le fait que durant l’année des familles, 3 000 expulsions ont eu lieu et qu’entre 2016 et 2018 environ 10 000 familles ont été contraintes de quitter leur logement dans le cadre de procédures de saisie. Ne parlons pas non plus du fait que, en dépit de nombreuses manifestations, le gouvernement rejette en permanence la proposition d’inscrire dans la loi l’interdiction d’expulser sans solution de relogement les familles avec enfants. Le NER continue de considérer la femme comme une machine à accoucher dont la tâche principale est de mettre au monde le plus d’enfants possible […].
Notes
↑1 | La loi dite Tageitosz (2017) a modifié un point de la loi sur l’enseignement public : certains enfants présentant des difficultés à apprendre bénéficiaient de dispenses concernant certains enseignements ; la loi Tageitosz a supprimé ces dispenses. |
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