Frank Engel : « Il faut dire à Viktor Orbán, fais tes bagages et va-t’en du PPE ! »

Frank Engel, eurodéputé luxembourgeois du Parti populaire européen depuis 2009 et vice-président du Groupe PPE, a des mots très durs à l’encontre du Fidesz. Le parti de Viktor Orbán devrait selon lui être exclu du PPE et la Hongrie de l’Union européenne. Relayées dans Politico, ces déclarations ont trouvé un certain écho dans la presse hongroise. Hulala l’a interrogé.

Maintenez-vous ces déclarations rapportées par Politico, selon lesquelles le Fidesz doit quitter le PPE et que la Hongrie doit quitter l’Union européenne ?

Ce n’étaient pas des « déclarations ». Les collègues hongrois du PPE ont envoyé un long mail à tout le monde au parlement qui résumait à dire dans la plus pure logique « trumpiste » : si vous croyez quoi que ce soit qui ne corresponde pas à notre position sur la nouvelle législation [la « lex CEU »] alors vous croyez des fake news et vous vivez dans un monde de fantaisie. C’était d’une bassesse et d’une crétinerie rarement vues. J’ai répondu par email, que nous savons ce que vous faites. Si on adopte une législation qui a pour seule cible effective une institution, laquelle est a fortiori la seule du genre dans le pays, alors il est clair qu’on cherche à s’en débarrasser. Pour la simple raison que M. Orbán et M. Soros ont des vues du monde diamétralement opposées : l’un est un libéral et libertaire et l’autre est un autocrate et un autoritaire borné, qui ne jure que par le sauvetage de l’Occident chrétien, et je ne sais quoi encore.

Depuis de longues années déjà, on assiste en Hongrie à une purge de tout ce qui ne correspond pas aux vues d’un petit cercle d’intimes ralliés autour du Premier ministre et qui affecte le sentiment général d’une bonne partie de la population hongroise, laquelle se croit – comme si souvent au cours de son histoire – assiégée, menacée et infiltrée. La CEU n’est que le dernier maillon de la chaîne. La nouvelle législation sur les ONG qui seront désormais labellisées espions, à l’instar de ce que l’on voit en Russie, est une autre indication que le régime se durcit encore, et que nous devons nous préparer à voir des choses que l’on croyait disparues de l’Europe depuis au moins la chute du mur de Berlin.

« Nous n’avons rien en commun, rien ! »

Quelle serait la voie de sortie, selon vous ? Un référendum en Hongrie sur le maintien ou la sortie de de l’Union européenne ?

Je m’en fous royalement. J’ai le problème suivant : il y a un type au pouvoir, dont le parti est attribué à la démocrate-chrétienne européenne. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi, moi je ne les aurais pas acceptés. Si on y adhère, on signe un projet européen et on adhère à un projet fédérateur qui est de respecter l’Etat de droit. Pour ce qui concerne le PPE, il serait logique que son parti le quitte pour la simple raison que nous n’avons rien en commun, rien ! D’ailleurs, cela ne vaut pas que pour le Fidesz, qui n’est pas le seul parmi nos 80 membres dont la sincérité des convictions européennes est plus que douteuse. Si on fait des consultations nationales pour « stopper Bruxelles » – d’ailleurs très similaire à la première consultation -, avec des questions d’une stupidité rarement vue avec des réponses modèles qui correspondent aux capacités intellectuelles d’un….

Le problème est que la Hongrie reçoit plus de 4 milliard d’euro net par an, et sans cela elle ne fonctionne plus ; Orbán le sait très bien. Il ne peut pas quitter l’UE car ces 4 milliards servent à entretenir son cercle intime et ses propres besoins, et sans quoi son édifice s’écroule. Ma conviction est que, si on le met au pied du mur et qu’on lui dit : « Viktor ça ne va plus. Déjà au PPE, fais tes bagages et va-t’en ! Et pour l’UE, soit tu adoptes une attitude normale – donc notamment le respect du principe constitutionnel ancré dans les traités de la coopération loyale -, ou alors on va au minimum te couper les vivres », le cirque s’arrête. Soit il accepte et son édifice s’écroule, soit il fait volte-face, dit à son peuple que tout ça n’est pas si grave, que l’on peut devenir de bons Européens maintenant, mais il perdra raisonnablement les prochaines élections… Le type, son parti et le comportement de son gouvernement et des autorités politiques en Hongrie sont devenus absolument intolérables.

Pour rejoindre l’Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN) ou les Conservateurs et réformistes européens (CRE) ?

Quiconque le veuille le prenne ! Il serait en très bonne compagnie avec ses copains du PiS. Il faut se souvenir que tout au début, le Fidesz faisait partie de l’internationale libérale. Quelle trajectoire !

« Mais il y a encore ceux qui croient que si on le garde dans le club, Orbán ne déconnera pas totalement. »

Au sein du Parti populaire européen, qui soutient encore le Fidesz ?

En règle générale, mis à part quelques Européens du centre, il n’y a plus grand monde qui le soutien vraiment. Dans les Balkans occidentaux, en Serbie, on le soutiendrait probablement beaucoup plus, mais ils ne sont pas au Parlement européen. Il y a un ras-le-bol total de tous les raisonnables, qui se disent « merde, pas encore !« . Et ils commencent à sentir une pression de leurs électorats nationaux respectifs qui leur demandent pourquoi ils continuent à siéger avec eux au Parlement européen. Il y a une conviction majoritaire que le Fidesz n’a plus rien à voir avec le PPE, si toutefois il l’a déjà eu. Mais il y a encore ceux qui croient que si on le garde dans le club, il ne déconnera pas totalement. Moi je n’en ai cure qu’il déconne ou pas, il déconne déjà assez ! Si j’ai à choisir entre la corruption lente mais certaine de tout un parti européen par la non action vis-à-vis d’un élément foncièrement contraire à tout ce que nous devrions croire, et de l’autre côté l’hypothétique modération d’un parti problématique, je choisis l’option A.

Vous évoquez la « corruption lente ». Cela signifie que les idées d’Orbán se diffusent dans le parti ?

Non, mais ça a une influence sur les positionnements généraux que le PPE peut prendre. Les références au fédéralisme européen disparaissent de plus en plus, on devient un grand parloir de centre-droit qui s’épuise en platitude. Eux ça leur plait, car tout ce qui compte pour le Fidesz est de faire partie de la plus grande famille politique du continent grand parti européen car c’est un élément de légitimité pour eux.

On dit qu’Orbán doit à Angela Merkel d’être encore au PPE, laquelle ferait preuve d’une indulgence particulière vis-à-vis des PECO en raison de son origine de RDA…

Je suppose quand même que Mme Merkel est une femme résolument attachée à une certaine conception de l’Etat et de la gouvernance, qui est aux antipodes de ce qui se passe en Hongrie. Et je sais aussi qu’elle en a marre. Maintenant, il est vrai que si jamais un jour au moins la CDU (la CSU, elle, ne suivra pas) dit « ça suffit, la dernière ligne rouge a été franchie », beaucoup de choses changeraient. A ce jour ce n’est pas le cas, malgré le dépit de bon nombre de collègues allemands.

« Tant qu’il n’y a pas d’action claire contre lui, il gagne à tous les coups »

Au risque d’agrandir encore le fossé avec l’Europe centrale, arrière-cour de l’Allemagne.

Les relations entre l’Allemagne et la Pologne sont dans un registre particulier, mais les autres sont des petits pays finalement. Que la Hongrie fasse des gesticulations voulues par l’oncle Viktor pour dire qu’elle est la seule à défendre le bastion européen contre les assauts des hordes barbares, c’est un truc très hongrois, auquel la moitié de la société hongroise au moins ne croit d’ailleurs pas elle-même ! Et hors de Hongrie il n’y a personne pour le croire, mais ça il le tait religieusement. Et il a raison de le taire car tant qu’il n’y a pas d’action claire contre lui, il gagne à tous les coups. Il projette de la Hongrie vers l’Europe et vice versa l’image de celui a de toute façon raison et qu’il est lui le grand orientateur des politiques européennes et du PPE : ce qui est faux. Il participe à des conseils européens, signe des engagements, et en rentrant en Hongrie il dit : « Bruxelles croit pouvoir nous imposer des choses, aucunement ! »

Le parlement européen doit débattre du cas hongrois en session plénière les 25-26 avril. Peut-il en ressortir quelque chose ? Y’a-t-il une possibilité de changement d’attitude de l’UE dans les semaines à venir ?

Je l’espère, mais je ne peux pas en être certain, mais je sais que moi et d’autres en ont marre à un point où nous ne tairons plus. Quand on a accepté le Fidesz en 2012 déjà, plus de 50 membres avaient voté contre ou s’étaient abstenus. Aujourd’hui ce serait différent. On doit faire revivre l’idée que le parlement demande l’application de l’article 7. Cette sordide complicité en ne faisant rien ma toujours déplu et je préfère être de la minorité qui a décidé d’agir et a affirmé ce qu’elle croyait que de rester silencieux.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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