En Ukraine, la défiance face aux autorités

Comme souvent en Ukraine, la réalité désinvolte de la rue tranche avec le ton inquiet des déclarations officielles.

Par Sébastien Gobert, Collectif D&B, à Kiev – A Kiev, ce 18 mars, le premier jour de quarantaine se vit en dilettante. La plupart des cafés et restaurants sont effectivement fermés, mais quelques cafés ouvrent toujours leurs portes pour servir des clients. Dans la rue, néanmoins. Les transports publics fonctionnent au ralenti. Malgré les injonctions des autorités, on voit des tramways et des bus remplis de bien plus que 10 ou 20 personnes. Beaucoup d’entre elles ne portent pas de masques de protection. Comme souvent, la réalité désinvolte de la rue tranche avec le ton inquiet des déclarations officielles. Le président Zelenskyy a ainsi annoncé un état d’urgence dans plusieurs régions, fermé les frontières, découragé les voyages à l’intérieur du pays, interrompu toute liaison aérienne avec l’étranger sauf pour rapatrier des Ukrainiens de l’étranger, et averti de sanctions pour ceux qui entraveraient les mesures de confinement, ou causeraient des risques à la santé d’autrui.

Kiev le 19 mars 2020. @Sébastien Gobert

Mais comment faire appliquer ces dernières ? Et surtout, comment convaincre du danger d’un virus invisible, lointain, aux effets encore incertains sur l’homme, auprès d’une population post-soviétique traumatisée par une déliquescence du système de santé, la corruption et les mensonges des autorités, l’absence de la moindre référence morale ? Dans un pays où se dresse encore la cheminée radioactive du bloc 4 de la centrale de Tchernobyl, on n’a jamais su la différence entre le nombre de personnes officiellement mortes de la catastrophe nucléaire, et le nombre de personnes décédées « simplement ». Sida, tuberculose, hépatite, cancer, ont beau être des fléaux connus et précisément recensés sur la planète, ils ne cessent d’échapper aux statistiques ukrainiennes, ce qui convertit, d’année en année, de plus en plus d’Ukrainiens aux thèses des anti-vaccins. Alors, le « nouveau coronavirus COVID-19″… Personne ici ne semble croire aux 14 cas officiellement dépistés, dont 2 ont déjà péri.

Kiev le 19 mars 2020. @Sébastien Gobert

Mais que faire ? Malgré les assurances du gouvernement, il n’y a pas assez de masques, pas assez de respirateurs artificiels, pas assez de médicaments, pas assez de tests. Et elles ont bon dos, les assurances du gouvernement, quand le Parlement se réunit en session plénière et en comités le 17 mars, et que les députés, pour certains fraîchement revenus de voyages à l’étranger, s’étreignent gaiement sous les objectifs des caméras ? L’un de ceux qui procédait à des votes dans l’hémicycle le 17 a été testé positif le lendemain. Qui aurait-il contaminé ? Même le parlementaire Petro Porochenko, cet ancien président patriote apparemment si soucieux du bien-être de la nation, est à peine de retour d’un déplacement en Espagne qu’il apparaît au Parlement, frais comme un gardon. Peut-être que oui, peut-être que non. Mais si lui et ses compères ne se montrent pas responsables, le concept même de quarantaine peut demeurer abstrait, tant que l’incertitude continue d’entourer l’épidémie. A Kiev, les rayons des supermarchés sont encore pleins. Même le papier toilette ne manque pas. Il est évident qu’il se passe quelque chose, de la Chine à la Lombardie. Mais dans ce cas comme dans d’autres, on n’assiste pas à une réponse coordonnée et acceptée par tous à ce qui pourrait pourtant très bientôt devenir une crise.

Sébastien Gobert

Journaliste

Correspondant à Kiev, co-fondateur du collectif "Daleko Blisko" et co-auteur de Looking for Lenin.

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