La fondation Pro Economica vient d’allouer des millions d’euros d’argent public hongrois à différents projets agricoles dans la campagne transylvaine, à l’ouest de la Roumanie. L’opacité de ce système de subvention parallèle est telle, qu’il est impossible de connaître l’identité de ses heureux bénéficiaires.
Article publié le 15 juillet 2019 dans Magyar Hang sous le titre « Milliárdok névtelen határon túliaknak ». Traduit par nos soins. |
C’est la première fois que de tels volumes d’argent public hongrois sont injectés en dehors des frontières nationales. La fondation Pro Economica basée à Târgu Mureș – une des villes historiques de la communauté hongroise de Roumanie – vient d’octroyer près de 24 milliards de forints d’argent public (75 millions d’euros) au terme d’un appel d’offres dont les résultats viennent d’être rendus publics. Il est pourtant impossible d’en savoir davantage au sujet des heureux bénéficiaires de cette manne, fléchée vers l’industrie de transformation agricole du Pays sicule.
Les données disponibles font état de 66 projets subventionnés par l’État hongrois, dont 31 dans le județ de Harghita, 18 dans celui de Covasna et 17 dans celui de Mureș. Certains d’entre eux bénéficient de financements d’un niveau considérable entre un milliard et un peu plus de deux milliards de forints (entre 3 et 6 millions d’euros).
La rédaction de Magyar Hang a cherché à joindre Pro Economica pour connaître l’identité des porteurs des projets bénéficiant de plus de 100 millions de forint d’aide publique hongroise, en vain. « Je ne suis pas en mesure de vous répondre en raison des règles sur la protection des données », avait répondu Mónika Kozma, chargée de projet, lors d’une précédente enquête portant sur des faits similaires.
Le règlement général sur la protection des données promu par l’Union européenne a bon dos, mais n’est pas censé bloquer l’accès des journalistes à ce genre d’informations. Une demande formelle de consultation de ces données d’intérêt public a été adressée en ce sens au ministère hongrois des affaires étrangères, que les observateurs considèrent comme étant responsable de cette répartition des fonds à l’étranger. Lors d’une précédente manifestation publique réunissant les autorités hongroises et roumaines, le secrétaire d’État hongrois aux affaires étrangères Levente Magyar, avait d’ailleurs publiquement remercié le président du parti social-démocrate roumain (PSD) Liviu Dragnea « pour son soutien décisif » dans la mise en œuvre d’un projet similaire de soutien à l’agriculture transylvaine. La question de la légitimité de l’État hongrois à soutenir des projets de développement agricole en Roumanie a également été posée au ministère par l’hebdomadaire Magyar Hang.
La fondation Pro Economica versus le fonds Gábor Bethlen
La fondation Pro Economica a déjà été éclaboussée par des affaires de détournement de fonds publics hongrois au bénéfice de responsables politiques roumains proches du pouvoir. « Le cadre du PSD [Vasile Gliga] est financé par le gouvernement hongrois à travers une entreprise agricole », s’était notamment fait l’écho le site d’informations indépendant G4Media.ro. Interrogé par un journaliste, cet élu social-démocrate du județ de Mureș au parlement de Bucarest, n’avait d’ailleurs pas nié avoir reçu un soutien financier de la part de l’État hongrois, mais n’avait pas souhaité en préciser le montant.
Le Watch-dog transylvain « Erdélyi Átlátszó » avait également révélé qu’une entreprise proche de l’UDMR-RMDSz, le parti ethnique des Hongrois de Roumanie – proche du PSD -, vendait pour 68 000 forints (2000 euros) des faux comptes d’utilisateur sur le site des appels à projet. « La question se pose de savoir combien de faux comptes circulent sur le marché noir, et la façon dont le système d’examen des candidature les prend en considération », avait écrit le site d’investigation.
Le rôle de la fondation transylvaine Pro Economica est d’autant plus suspect qu’il existe déjà une organisation censée gérer ces deniers gouvernementaux : la société non-lucrative de gestion de fonds Gábor Bethlen, placée sous la direction directe du secrétaire d’État hongrois à la « politique nationale » – le jargon du pouvoir hongrois pour désigner les mesures de soutien aux minorités hongroises autochtones du bassin des Carpates. « Le fonds Gábor Bethlen est un fonds d’État extrabudgétaire, dont l’objet est la mise en œuvre des différents objectifs de la stratégie de « politique nationale » du gouvernement hongrois », peut-on d’ailleurs lire sur son site Internet. Les 24 milliards de forints qui viennent d’être alloués via la fondation Pro Economica n’entrent donc pas dans les cases de la politique gouvernementale : ils relèvent sans doute d’autres intérêts.