Crash du FPÖ en Autriche : un séisme pour l’extrême droite européenne

Une vidéo tournée en 2017 montre Heinz-Christian Strache marchandant le soutien d’une oligarque russe. Le vice-chancelier autrichien et chef du parti d’extrême droite FPÖ y exprime son admiration pour le modèle hongrois et notamment la mainmise de Viktor Orbán sur les médias de son pays. L’affaire a provoqué la démission de Heinz-Christian Strache et devrait également bousculer les autres partis nationalistes européens à une semaine des élections européennes.

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« Nous voulons construire un paysage médiatique semblable à celui de [Viktor] Orbán ». Dans une vidéo datée du 24 juillet 2017 et tournée à Ibiza, le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache (FPÖ) se livre à de curieuses confidences en compagnie de la prétendue nièce d’un oligarque russe ainsi que de Johann Gudenus, présenté par de nombreux médias comme l’un des artisans du rapprochement entre l’extrême droite autrichienne et la Russie de Vladimir Poutine.

La séquence de six heures, filmée à l’insu des principaux protagonistes dans le « finish » de la campagne des élections législatives autrichiennes de 2017, a partiellement été rendue publique hier par Der Spiegel et Süddeutsche Zeitung. On y voit M. Strache disserter de longues heures au sujet d’un éventuel financement de son mouvement, le parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), par un homme d’affaires présenté comme proche du Kremlin. Plusieurs pistes sont évoquées : la prise de participation dans des médias influents, l’organisation de campagnes de dénigrement d’adversaires politiques ou encore des dons à une association créée ad hoc, afin d’échapper à la vigilance de la Cour des comptes.

Celui qui n’est alors pas encore le numéro deux du gouvernement autrichien évoque l’avenir de l’Autriche « en Europe de l’est », où les gens seraient « normaux », contrairement à une Europe de l’ouest décrite comme « décadente ». Pour parvenir à ses fins, Heinz-Christian Strache souhaite reproduire dans son pays la recette appliquée par Viktor Orbán dans la Hongrie voisine. En sollicitant notamment l’entremise de Heinrich Pecina, l’homme de paille autrichien qui avait pris le contrôle de nombreux médias hongrois détenus par des Allemands – dont le feu quotidien de référence Népszabadság, avant de les céder en 2016 à des hommes d’affaire proches du Fidesz.

« Le Kronen Zeitung nous ferait du bien à tous. A vous au niveau des affaires, à nous politiquement », lâche notamment Johann Gudenus comme possible « aide » bienvenue de la mystérieuse femme russe – d’après un extrait cité par Le Monde. L’éventuelle privatisation de l’ORF, le grand groupe audiovisuel public, est aussi évoquée comme composante de cet « empire médiatique » à la hongroise. Dans la vidéo, Heinz-Christian Strache évoque également un autre coup de pouce envisageable de l’oligarque russe : organiser depuis l’étranger des campagnes de dénigrement de ses opposants politiques, de manière à ce que le FPÖ ne soit pas inquiété.

Si M. Strache redit à plusieurs reprises sa volonté de rester dans la légalité, il envisage comme contreparties possibles de confier des contrats publics à une société de construction créée ad hoc par le Russe, de briser le monopole autrichien des jeux d’argent et de créer une entreprise exploitant les ressources en eau de l’Autriche.

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Une bombe à fragmentation pour l’extrême droite européenne

Convoqué en fin de matinée à la chancellerie située à deux pas du Hofburg par le chef du gouvernement Sebastian Kurz et en présence du président de la république Alexander Van der Bellen, Heinz-Christian Strache a annoncé sa démission de ses fonctions de vice-chancelier peu après midi. Présenté comme son dauphin en politique, Johann Gudenus a également lâché ses mandats électoraux. Comme le rappelle le journaliste Blaise Gauquelin, M. Gudenus « manoeuvre depuis dix ans pour rapprocher l’extrême droite européenne de Moscou ». Le jeune homme issu d’une famille de négationnistes notoires était également présent à l’ambassade de Hongrie à Vienne lors d’une visite de Viktor Orbán en janvier 2018.

Ces révélations sur la proximité de certains dirigeants nationalistes autrichiens avec Moscou devraient jeter un voile de suspicion sur de nombreuses formations européennes d’extrême droite alliées au FPÖ, lesquelles sont réunies aujourd’hui à Milan autour de Matteo Salvini et Marine Le Pen. Cette « affaire Ibiza » – comme le titrent les médias germanophones – pourrait également gripper certains rapprochements au sein de la droite radicale européenne dont le parti libéral d’Autriche était une pièce maîtresse.

Il en va ainsi notamment du très russophobe parti Droit et justice (PiS) aux manettes en Pologne. Mais aussi de plusieurs formations situées à la frange droite du Parti populaire européen (PPE), tentées par une alliance avec M. Salvini. « Les populistes de droite sont prêts à vendre leur pays pour satisfaire leurs propres intérêts. Ils ne doivent pas arriver aux responsabilités en Europe », a en tout cas déjà averti dans un tweet Anngegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la puissante CDU d’Angela Merkel.

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Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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