Comment la Hongrie est devenue la plus fervente avocate de l’adhésion de la Serbie à l’UE

A Budapest comme à Belgrade, on fait le même constat : les relations serbo-hongroises sont meilleures qu’elles n’ont jamais été. La Hongrie de Viktor Orbán pousse au maximum pour une adhésion à l’UE aussi rapide que possible de la Serbie d’Aleksandar Vučić.

Le président serbe Aleksandar Vučić était le principal invité du sommet de Budapest sur la démographie qui s’est tenu la semaine dernière. Reçu en guest star, c’est lui qui a eu le droit à la première intervention, avant les partenaires de la Hongrie dans le Groupe de Visegrád, aussi présents. « Les relations n’ont jamais été aussi bonne entre nos deux pays et nous sommes ravis qu’il soit parmi nous », s’est réjoui la secrétaire d’Etat hongroise aux affaires familiales, Katalin Novák, reconvertie en maîtresse de cérémonie. Le serbe a rendu les amabilités : « C’est grâce à M. Orbán, que nos relations sont meilleures que jamais. Je vous assure que nous resterons des amis fidèles de vous-même et de votre pays », a assuré M. Vučić, lui donnant même du « mon ami Viktor ».

Quelques semaines plus tôt, la question de l’élargissement de l’Union européenne a été abordée par Viktor Orbán lors de la conférence de presse qui a suivi sa rencontre avec Angela Merkel, à Sopron le 19 août, en marge des commémorations du pique-nique paneuropéen. « C’est une question cruciale pour la Hongrie, étant donné que la frontière hongroise coïncide avec la frontière du sud de l’Union européenne. Nous avons un intérêt direct à ce que les Balkans occidentaux fassent partie de l’Union européenne dans les plus brefs délais. La Hongrie demande donc à l’Union européenne de poursuivre son élargissement », a-t-il plaidé. « La Serbie est le pays clé et l’accélération des pourparlers d’adhésion avec la Serbie est dans l’intérêt non seulement de la Hongrie, mais également de l’ensemble de l’Europe », a ajouté Viktor Orbán, aux côtés d’Angela Merkel.

Cette position hongroise en faveur de l’intégration rapide de l’ensemble des pays des Balkans n’a rien de nouveau et Viktor Orbán ne fait que s’inscrire dans une constante de la diplomatie hongroise depuis que le pays a intégré l’UE en 2004. Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, défend aussi cette position avec zèle dans les forums internationaux, comme l’avait fait son prédécesseur János Mártonyi.

Budapest estime que la frontière externe de l’Union européenne – qui coïncide avec sa frontière méridionale au niveau de la Serbie – doit être repoussée afin que le pays puisse jouer à plein son rôle de carrefour centre-européen. A l’heure actuelle, la frontière de l’espace Schengen se superpose encore avec la Serbie, mais aussi avec la Roumanie et la Croatie, déjà membres de l’Union.

Moscou et les minorités hongroises

Ce qui est nouveau en revanche, c’est cette proximité entre Budapest et Belgrade. Elle doit beaucoup à la bonne entente de leurs dirigeants Viktor Orbán et Aleksandar Vučić, dont les gouvernements aux tendances autoritaires montrent de nombreuses similitudes. Lire Banja Luka, Belgrade, Budapest, Tirana, un vent de colère au cœur de l’hiver. La volte-face de la diplomatie hongroise en faveur de la Russie de Poutine, frappée de sanctions européennes, qui remonte à la signature d’un accord sur le nucléaire en 2014, encourage peut-être aussi ce rapprochement avec cet allié traditionnel de Moscou.

La question de la minorité hongroise de Voïvodine, la région du nord de la Serbie, fait également partie de l’équation. Car outre les relations de bon voisinage, le soutien aux minorités hongroises des pays voisins est un pilier de la politique étrangère de Budapest. Au moment de la guerre de l’Otan contre la Serbie, au printemps 1999, Budapest avait menacé Belgrade de s’impliquer dans le conflit si les Serbes décidaient de s’en prendre aux Magyars de Voïvodine.

En 2011, Budapest avait menacé d’opposer son veto à l’obtention par Belgrade du statut de candidat à l’entrée dans l’Union, car elle jugeait une loi serbe de restitution des biens confisqués pendant la période titiste discriminatoire pour la minorité hongroise. En 2013, les deux pays avait fait un acte de réconciliation historique, lorsque le président de la République hongroise, Jànos Ader, et son homologue serbe, Tomislav Nikolić, avaient rendu hommage ensemble aux victimes serbes et hongroises des massacres de Voïvodine, perpétrés entre 1941 et 1945, par les forces de l’Axe, puis par les troupes de Tito. Mais aujourd’hui, Budapest estime que la Serbie est le pays qui a le plus œuvré en faveur de sa minorité hongroise.

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Une obscure affaire…d’éclairage public

Les deux pays sont aujourd’hui reliés par un grand projet d’infrastructures : la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Budapest et Belgrade, dont les travaux, financés par la Chine, s’apprêtent à débuter. Mais la nouvelle relation serbo-hongroise tient-elle également à des liens affairistes dissimulés ? C’est ce que suggère une enquête menée conjointement par le site hongrois Direkt36 et Balkan Insight. Elle met en lumière les activités, en Hongrie et en Serbie, de l’entreprise d’éclairage public Elios, dans le collimateur du bureau anti-fraude européen OLAF. En 2015, l’OLAF a conclu à l’existence de « graves irrégularités » et de « conflits d’intérêts » dans les 35 projets réalisés par l’entreprise en Hongrie, et des « mécanismes de fraude organisée » dans 17 cas.

En utilisant les mêmes méthodes (des appels d’offres taillés sur mesure), Elios a glané de nombreux marchés en Serbie, pour des investissements qui se montent à 25 millions d’euros. Direkt36 et Balkan Insight ont révélé que sur 15 appels d’offres, 12 ont été attribués à des consortiums comprenant au moins un membre ayant des liens avec Elios, pour une valeur totale de 25 millions d’euros. Le gendre de Viktor Orbán, István Tiborcz, comptait parmi les dirigeants de l’entreprise au moment des irrégularités et des fraudes relevées par l’OLAF. L’enquête des deux médias a aussi établi des liens entre sa succursale serbe et des personnes proche du pouvoir à Belgrade. Lire les détails de cette affaire ici et (en anglais).

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Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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