Comment des espions israéliens ont piégé des ONG en Hongrie

Le site d’information Index a révélé au cours de la campagne électorale comment des ex-espions du Mossad reconvertis dans la sécurité privée ont tenté de piéger des organisations d’aide aux réfugiés pour qu’elles soient diffamées ensuite dans les médias en Hongrie et en Israël. La croisade menée conjointement par Viktor Orbán et Benyamin Nétanyahou contre George Soros a pris un nouveau tour.

« Y-a-t-il des liens entre votre organisation et George Soros ? Ne pensez-vous pas que, plutôt que distribuer des tentes et des couvertures, vous devriez organiser des manifestations ? Êtes-vous en liens avec des politiciens ?« . L’homme qui pose ces questions prétend s’appeler Grigori Alexsandrov, il affirme être le PDG d’une entreprise britannique, Smart InnoTech, dont les outils pourraient se révéler forts utiles à l’association Migration Aid. Son interlocuteur, c’est le président de cette ONG hongroise, András Siewert. Ce 12 février, ce dernier est venu au rendez-vous à Vienne avec un enregistreur dans sa poche, car il soupçonne être la cible d’une tentative de recrutement par une puissance étrangère, et en a d’ailleurs averti les services de contre-espionnage hongrois dès que Grigori Alexsandrov l’a approché, quelques semaines plus tôt, au mois de décembre.

Le 19 mars, le journal pro-gouvernemental Magyar Idők publie un article « Les intérêts financiers derrière l’humanitaire », basé sur les conversations entre Siewert et Alexsandrov. C’est le polémiste Zsolt Bayer, mué pour le coup en journaliste d’investigation, qui le signe. Des journalistes d’investigation en immersion lui auraient transmis des précieuses informations selon lesquelles András Siewert reconnu avoir doté l’ONG Migration Aid d’une base de données secrète et illégale. Ce qui relève de la pure calomnie précise d’ailleurs Index, sur la base de l’enregistrement de toute la réunion.

Parallèlement en Israël, le Jerusalem Post publie de son côté un article incriminant l’ONG honnie par l’administration Orbán, l’Union des libertés civiles (TASZ). Il rapporte des propos tenus par son représentant Balázs Dénes qui, croyant s’adresser à un de ses soutiens, évoque les activités de lobbying de TASZ auprès des autorités allemandes pour faire reculer le gouvernement hongrois sur son projet de loi « Stop Soros ». Viktor Orbán, qui mène une croisade personnelle contre l’ancien bienfaiteur du Fidesz à la fin des années 1980, a promis de se venger après sa réélection de ceux qu’il nomme les « mercenaires de Soros ». La première loi que le nouveau parlement doit adopter ce printemps pourrait entraver sérieusement le travail des organisations civiles opérant avec des financements étrangers.

« Nous travaillons dur. Je vais avoir une réunion cette semaine avec un think tank, influent auprès du gouvernement allemand et du ministère allemand des Affaires étrangères », cite le journal israélien. « Je leur apporte des copies de la loi, traduite du hongrois, et je leur explique comment s’y opposer ». L’article du Jerusalem Post est immédiatement repris par les médias publics hongrois, qui brandissent la preuve que George Soros se sert des ONG qu’il finance pour attaquer la Hongrie.

Migration Aid, TASZ, ce ne sont pas les seules organisations à avoir été « approchées » de même. Les mêmes personnes ont tenté d’approcher avec un procédé équivalent l’Open Society Foundations – issue de la Fondation Soros établie au milieu des années 1980 à Budapest – et une autre ONG dans le viseur du gouvernement hongrois : le Comité Helsinki hongrois.

La « Orbán-Nétanyahou connection »

« Tout ceci suggère qu’une entreprise de sécurité privée israélienne a été engagée pour discréditer les ONG hongroises« , écrit Index. « L’entreprise, qui entretient des liens étroits avec le Mossad et de nombreux ex-espions, a appliqué des méthodes de renseignement illégales. Leurs cibles avaient une chose en commun : l’administration Orbán les a qualifiés d’ennemis du gouvernement« . Il s’agit d’une opération de relativement grande ampleur, au vu des éléments qu’apporte Index et son journaliste András Dezső estime la facture à plusieurs centaines de milliers de dollars. Pour tenter d’obtenir des informations et des propos embarrassants de la part des personnels des ONG hongroises, les espions ont organisé des réunions à Vienne, Amsterdam et New York, acheté des domaines internet, montés des sites web, enregistré des fausses sociétés, présentés des faux documents d’identité.

Index détient également des preuves que le service de contre-espionnage hongrois ​était au courant de l’opération dirigée contre Migration Aid. Qui a embauché ces ex-espions israéliens du Mossad pour se tourner contre des organisations hongroises ? « Ce qui est sûr, c’est […] quel parti politique en Hongrie a bénéficié de ces informations. Les opérations correspondent toutes à la narration propagandiste du gouvernement contre le financier George Soros et à la vague migratoire« . Index pointe ainsi, mais sans le nommer faute de preuve, le gouvernement hongrois. Ou comment ce dernier aurait fait appel à l’aide d’une puissance étrangère pour se retourner contre ses propres compatriotes…

Source : How an Israeli Intelligence Company Attempted to Slur a Hungarian NGO and Failed

Le Likoud a aidé le Fidesz pour sa campagne contre Soros

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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