« Cinq ans après, la Slovaquie n’est certainement pas le pays dont Ján et Martina rêvaient »

Dans cet éditorial publié sur le site Aktuality.sk, où travaillait le journaliste assassiné Ján Kuciak, Peter Bárdy fait le bilan de 5 années qui ont changé la Slovaquie et mesure le chemin qu’il reste à parcourir.

Éditorial de Peter Bárdy publié le 21 février 2023 sur le site Aktuality.sk.

Cela fait cinq ans aujourd’hui que Ján Kuciak et Martina Kušnírová ont été assassinés.

C’est passé très vite.

Cela fait cinq ans aujourd’hui que Miroslav Marček est entré dans leur maison de Veľká Mač pour assassiner de sang-froid Ján Kuciak et Martina Kušnírová. Il a reçu l’ordre de faire taire un journaliste d’investigation qui a apporté et publié des preuves d’activités criminelles commises par des gens tel que Marian Kočner.

Ces assassinats révélaient la faillite du gouvernement de Robert Fico à protéger les intérêts de l’État et de ses citoyens et à lutter contre la criminalité.

Ces cinq années n’ont pas été faciles du tout. Au début nous avons espéré et cru que la police serait en mesure de faire progresser l’enquête sur le meurtre et que nous apprendrions les noms du ou des meurtriers et des commanditaires.

À l’époque, l’atmosphère du pays était façonnée par un puissant mouvement civil appelant au changement. Il était porteur d’espoir pour nous citoyens et pour l’État. Cela nous a aidés à surmonter la douleur du meurtre d’êtres chers et de cette énorme injustice.

Des dizaines de milliers de personnes dans la rue ont proclamé qu’elles en avaient assez de Fico, Kaliňák, Tibor Gašpar et des autres représentants « des nôtres ».

Vous vous souvenez pourquoi nous avons appelé le système protégeant la sphère d’influence de Fico « les nôtres » ? Le partenaire commercial de Kaliňák, le fraudeur fiscal Ladislav Bašternák, aujourd’hui condamné, avait enfreint le code de la route, mais l’agent qui voulait lui infliger une amende avait reçu un appel téléphonique lui ordonnant de le laisser tranquille car « c’est un des nôtres ».

Consulter notre dossier d’archives : Ján Kuciak, le journaliste qui a fait avancer la Slovaquie

La Slovaquie pensait que les élections de 2020 apportaient un changement de direction. Que le régime corrompu de Smer et « des siens » serait remplacé par un gouvernement qui apporte des réformes et relance la société civile.

La gueule de bois post-électorale est rapidement arrivée et avec elle les conséquences dévastatrices de la pandémie de coronavirus, les conspirateurs et Robert Fico, qui pour reprendre le pouvoir ont décidé de brûler la démocratie et la foi en un État de droit.

Il y a quelques heures, on nous a demandé à nous, rédacteurs-en-chef et représentants des médias slovaques, si la Slovaquie est aujourd’hui plus sûre pour le travail des journalistes qu’elle ne l’était alors, il y a cinq ans.

La Slovaquie est un pays plus sûr, mais c’est bien malgré les politiciens de la coalition et de l’opposition. C’est comme s’ils ne se rendaient pas compte du poids des mots. Répandre la haine contre les journalistes et les médias crée une atmosphère qui légitime les attaques contre nous.

Y compris de la part de ceux qui ont profité politiquement du meurtre de Ján et Martina. Au lieu de la protection promise aux journalistes, ils inondent l’espace public de discours de haine et de complot.

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« Pendant les deux premières années, nous avons également ressenti le fort soutien de la société et des collègues de Ján. Cependant, il s’est progressivement estompé et aujourd’hui il n’y a plus qu’une poignée de personnes qui n’ont pas oublié et sont encore avec nous. Les salles d’audience sont vides, les conspirations insensées se multiplient.

Même si nous ne voulions pas l’admettre, et c’est triste, même un acte aussi odieux que le meurtre de deux jeunes innocents est sorti des têtes. Nous sommes revenus à notre confort. C’est aussi pour ça que je pense que notre société n’a pas encore mûri…

… J’espère seulement que les personnes honnêtes qui ne peuvent pas accepter cela ne resteront pas silencieuses et isolées, mais parleront au bon moment et pour la bonne cause. Et qu’ils seront entendus », écrit dans le prologue de son livre le père de Ján Kuciak.

Un homme sensé, sage, dur et en même temps sensible qui a perdu son fils, mais qui ne s’est pas détourné du monde et du pays dans lequel il vit. Tout comme la mère de Martina, Mme Zlatica, qui n’a pas baissé les bras.

Cinq ans sont passés depuis le meurtre et aujourd’hui, la Slovaquie n’est certainement pas le pays dont Ján et Martina rêvaient. Les forces de sécurité ont les mains libres pour enquêter sur les grosses affaires de corruption, souvent dirigées contre le système « des nôtres », mais la démocratie, les droits de l’homme et les libertés sont confrontés à une pression toujours plus forte.

Le mouvement citoyen qui a vu le jour après les meurtres ne génère plus la même formidable énergie. Mais il reste quelque part en nous des flammes qui couvent et qui n’ont pas été étouffées par des politiciens incapables d’introspection, […] et pleins de haine et de vengeance.

Nous aurons besoin de ces flammes. Le combat pour la démocratie est encore long, nous le devons à nous-mêmes et aux générations suivantes, mais aussi à la mémoire de Ján et Martina assassinés.

Aujourd’hui encore, #All For Jan et Martina est toujours d’actualité.

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