Dans un bureau de vote en Hongrie : « C’est où qu’on vote ? C’est lequel le Fidesz ? »

Un assesseur bénévole témoigne de ce qu’il a vu dans un bureau de vote d’une localité située dans le Borsod, la région du nord-est de la Hongrie. Dans ce petit hameau, comme dans tant d’autres, tout le monde a voté pour le Fidesz.

Ce témoignage a été publié sur facebook le 4 avril 2022 sous le titre de « Aux marges de l’élection ». Traduit et adapté par Thomas Laffitte.

Hier, on était en charge du décompte des votes dans un hameau isolé du Borsod, où 118 des 158 électeurs se sont rendus aux urnes. Une région en pleine dépression, au taux de chômage très élevé. Aucun abus, aucune fraude n’a eu lieu dans le bureau de vote. Résultat final : victoire du Fidesz, à 100%. Aucun vote nul, aucun vote en faveur d’une autre liste.

Des maisons en ruine, des cours sans grillage et une pauvreté stupéfiante nous ont accueillis à 5h30 du matin lorsque nous avons ouvert le bureau de vote. Nos collègues étaient des gens du coin très sympathiques qui ont déjà été assesseurs au village à plusieurs reprises. Ici, tout le monde connaît tout le monde. En fait, d’une manière ou d’une autre, tous les villageois ont des liens familiaux.

Au début, ils nous ont regardés un peu bizarrement, se demandant bien ce qu’on fichait ici, mais l’ambiance n’était pas hostile, on s’est rapidement réparti les tâches, ils étaient en fait bien heureux de recevoir de l’aide. La journée s’est déroulée dans une atmosphère agréable, malgré le vent glacial nous fauchant le dos pendant que nous accueillions les locaux.

« Pour qui d’autre voterions-nous ? Vous voulez qu’on aille faire la guerre ? »

Ça n’est que lorsque le premier électeur est arrivé, qu’on a compris dans quoi on s’était embarqués : l’analphabétisme était tout ce qu’il y a de plus banal, et non seulement beaucoup n’arrivaient pas à comprendre les textes sur les bulletins de vote, mais ils n’arrivaient même pas à les signer. L’analphabétisme est incroyablement élevé.

Il y avait une chose qu’ils savaient pourtant bien. Tous, sans exception : « IL N’Y A QUE LE FIDESZ ! VIKTOR ORBÁN ! »

« Pour qui d’autre voterions-nous ? Vous voulez qu’on aille faire la guerre ? », m’a répondu l’un de mes collègues, alors que nous restions bouche bée après le passage d’un énième électeur.

L’écrasante majorité des électeurs n’avaient aucune idée de la manière de voter, de leur rôle ou de la procédure à suivre. D’abord, on vérifiait la validité de leurs documents d’identité, puis, en recevant leurs bulletins de vote, ils demandaient tout de suite à un membre du comité qu’ils connaissaient bien de les aider à remplir.

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Il n’y a pas de secrets dans le village, Rafael sait très bien ce qui est arrivé à Lajos ou à Ramona la semaine dernière. Qui a acheté quelle voiture pour quel prix, et ce que font maintenant les enfants, où ils travaillent, combien ils gagnent.

Les chiffres parlent d’eux même : avec un emploi public, ils gagnent environ 60 000 forints par mois. S’ils bossent pour le propriétaire terrien local, ils empochent entre 100 et 150 000 forints. Bien sûr, certains préfèrent aller à Budapest pour travailler pendant 2 ou 3 semaines, en laissant la famille à la maison.

Après avoir pioché leur bulletin de vote, la plupart d’entre eux ne voulaient pas entrer dans ces isoloirs mal éclairés, au risque de s’y retrouver seuls, sans savoir quoi faire. Ils préféraient faire ça juste en face de nous, penchés sur leurs bulletins, à la recherche de la case à cocher qui correspondait à celle du parti au pouvoir. Quand ils ne la trouvaient pas, ils se faisaient tout naturellement aider par des parents ou par des amis.

Aucun des 118 électeurs n’a tremblé lorsqu’il a fallu cocher la bonne case. En revanche, écrire leur nom a pu être un problème.

– C’est où qu’on vote ? C’est lequel le Fidesz ? 

– On ne veut pas de changement, pas d’incertitude. 

– Orbán nous soutient, on reçoit de l’argent. 

– Ohlala, ce Márizaj [Márki-Zay, candidat commun de l’opposition, NDLR], faut le descendre, faut dire que lui aussi veut nous tuer, il va nous emmener à la guerre, nous couper le gaz, nous laisser crever de froid… 

– Pourquoi ? Le parti socialiste nous aide pas, il nous donne rien, Orbán lui, il s’occupe de nous. 

Les gens ont peur. Ils ont peur du changement. Ils ont peur de la guerre, de la hausse des prix. Ils ont peur que leurs enfants soient élevés par quelqu’un d’autre – c’est tout ce qu’ils ont retenu du référendum.

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Nous avons beaucoup parlé. Nous avons découvert les problèmes auxquels ils étaient confrontés, comment ils arrivaient à vivre avec 60 à 70 000 forints par mois. Il n’y a pas de magasin dans le village, personne n’y livre quoi que ce soit. Que ce n’est plus la peine de garder des animaux parce que les nourrir coûte trop cher. Faut-il acheter du bois de chauffage légalement ou s’en procurer ailleurs, à des prix plus abordables ?

Pendant cette journée, le destin de Borsod, d’une pauvreté et d’un désespoir indescriptible, m’a profondément bouleversé. Pourtant, malgré tout cela, 118 villageois sont allés voter, sans regret aucun.   

Il n’y avait pas besoin de frauder, la question était déjà tranchée. Voilà ce que c’est, la propagande.

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