Le Brexit compromet l’agenda européen de Viktor Orbán

Viktor Orbán est sans doute devenu le premier ministre hongrois le plus connu en Europe. Et pour cause : depuis sa réélection triomphale en 2014, il a fait de la scène continentale son terrain de jeu et le nouvel horizon de sa révolution conservatrice. Critiquant le libéralisme dans chacun de ses discours, l’un de ses plus proches alliés n’en restait pas moins David Cameron, le premier ministre défait par le résultat du référendum sur le Brexit. Le départ du Royaume-Uni du Conseil européen pourrait sérieusement compromettre l’agenda politique du maître de Budapest.

En deux ans à peine, Viktor Orbán est devenu le héraut des milieux nationalistes européens pour son opposition récurrente à la «technocratie bruxelloise» et pour sa position «dure» pendant la crise des réfugiés. Grâce à un alignement des astres inédit dans le ciel centre-européen, il était parvenu à donner un semblant de cohérence au groupe de Visegrád, créé à l’origine pour accélérer le processus d’intégration européenne de la Hongrie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie. «Enfant terrible» du Parti populaire européen qui a jusqu’ici pardonné toutes ses incartades, le maître de Budapest savait qu’il pouvait compter sur deux alliés de poids au sein du Conseil européen : la chrétienne-démocrate Angela Merkel, consciente de l’intérêt de ménager les Hongrois à la lisière de l’Europe, ainsi que le conservateur David Cameron, avec qui il partageait la même volonté de freiner l’approfondissement politique de l’Union européenne. En janvier, ce dernier avait déclaré lors d’une visite à Budapest : «Nos visions s’accordent sur beaucoup de points, nous envisageons notamment tous les deux une Europe forte, qui soit cependant respectueuse des États-nations».

Récemment grand-père, chef du gouvernement d’un pays qui a marqué positivement les esprits durant l’Euro 2016, tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à la proclamation des résultats du référendum britannique sur le Brexit il y a deux semaines de cela. Jusque là, le ciel était dégagé et la feuille de route toute tracée pour la frange la plus eurosceptique de la droite européenne : un Brexit évité de justesse aurait permis de poursuivre l’offensive de détricotage de la machinerie bruxelloise, tout en installant la thématique de l’Europe forteresse au cœur des débats sur l’avenir de l’Union. Une victoire de David Cameron aurait par ailleurs permis de tenir en respect les velléités d’une Europe du sud dominée par la gauche, et de marginaliser ainsi les tenants d’une ligne plus sociale et redistributive.

L’initiative de la France, l’Allemagne et l’Italie de réunir le 26 juin les Six pays signataires du Traité de Rome à Berlin montre bien le renversement des rapports de force après la sortie annoncée de la Grande Bretagne de l’Union européenne. Si la stratégie des États fondateurs n’est pas encore tout à fait arrêtée, l’objectif d’une relance de l’approfondissement politique de l’Union semble assez clair. L’activisme diplomatique de Paris, jusqu’ici tapie dans l’ombre de Berlin, est sans doute un autre indicateur fiable de ce bouleversement. S’il fallait en trouver un énième, la réunion «alternative» le même jour, à Varsovie, des pays d’Europe centrale rejoins par les Autrichiens, Grecs et Espagnols, a mis en lumière la nature de cette coalition improvisée : celle de pays vexés en panne d’idées.

Dans pareil contexte, tout montre que Viktor Orbán est en train de perdre la main au niveau européen. Après la défection de l’ami David Cameron, le dirigeant hongrois ne peut plus trop compter sur la protection d’Angela Merkel, qui l’a non seulement trahi en août dernier en ouvrant les portes de l’Allemagne aux réfugiés, mais qui est désormais bousculée sur sa gauche par ses alliés du SPD et une Europe latine ragaillardie. La crise du Brexit semble également agir comme un révélateur de la faiblesse structurelle du groupe de Visegrád, dont les membres ont, durant les deux dernières décennies, davantage été habitués à se concurrencer qu’à véritablement coopérer. Ce qui les réunissait, à savoir le sentiment d’être les sentinelles dune «Europe des civilisations», a par ailleurs pris un sacré coup dans l’aile avec le thème des «immigrés de l’Est», qui a alimenté les arguments les plus massues et les dérapages les plus racistes des partisans du Leave

A l’échelle nationale, Viktor Orbán voit également les pièges qu’il a tendus se refermer sur lui. Après avoir agité des mois durant le péril migratoire avec des mots parfois très durs, il s’est engagé dans la tenue d’un référendum sur les quotas de réfugiés, sans que personne n’en comprenne vraiment le sens ni la portée. Côté Fidesz, il s’est même reçu une volée de bois vert de la part de son ancien protégé Tibor Navracsics, lequel a rappelé à qui voulait l’entendre le caractère non-contraignant de ce système de répartition. Si le premier ministre tient encore son parti d’une main de fer, il est très probable que la nouvelle génération de cadres cherche à ménager son avenir au sein du PPE et surtout ne pas marginaliser la Hongrie dans le cadre des futures négociations sur la répartition des subventions européennes, dont le pays tient pour une grande partie son embellie économique. Du côté de sa base électorale et des Hongrois en général, toute victoire de Viktor Orbán au référendum d’octobre prochain ne saura être interprétée comme un vote de défiance à l’égard de l’Europe, tant l’adhésion de la Hongrie à l’UE reste plébiscitée par la population.

Dans pareille confusion post-Brexit, reste néanmoins à savoir la façon dont le premier ministre hongrois trouvera la parade. Deux inconnues restent entières. D’une part, la manière dont Londres négociera sa sortie de l’Union, avec notamment l’épineuse question du statut des migrants originaires d’Europe centrale et orientale. Souhaitant que les négociations entre l’Union et le Royaume-Uni se fassent au niveau du Conseil européen – et non de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker -, Viktor Orbán a déclaré le 28 juin que la première des priorités «était de défendre les intérêts des étudiants et travailleurs hongrois établis en Grande-Bretagne».

La seconde inconnue, ce sont les possibles déflagrations du Brexit auprès des opinions publiques tchèque et autrichienne. Alors que le président tchèque Miloš Zeman plaide pour la tenue d’un référendum sur un «Tchexit» et une sortie de son pays de l’OTAN, il n’est pas à écarter qu’il obtienne gain de cause et que ses concitoyens décident également de sortir des traités européens. Jusqu’à présent, pareille option n’est pas du tout envisagée à Budapest, quand bien même Viktor Orbán ait déclaré que «Bruxelles devait écouter les peuples». Les sorties tonitruantes la semaine dernière de János Lázár et Zoltán Kovács, respectivement ministre de la Chancellerie et porte-parole du gouvernement, en faveur d’un «Huxit» (pour Hungarian Exit) semblent se limiter à des contre-feux sans réelle perspective. Par ailleurs, il n’est pas non plus à exclure une possible victoire du parti d’extrême-droite FPÖ lors de l’élection présidentielle autrichienne en octobre prochain. Battu sur le fil par le candidat écologiste Alexander Van der Bellen en mai dernier, Norbert Hofer a demandé et obtenu la tenue d’un nouveau second tour. Un tel basculement de l’Autriche dans le camps europhobe aurait des conséquences plus notables sur la Hongrie, tant les deux pays sont liés historiquement et économiquement.

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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