Le bloc d’opposition peut-il survivre à sa défaite cuisante contre Viktor Orbán aux législatives hongroises du 3 avril 2022 ? Quelle stratégie adopter pour les 4 années qui viennent ?
Unis pour la première fois, six partis de l’opposition espéraient un résultat serré aux élections du 3 avril. Ils ont finalement essuyé la pire défaite de leur histoire face au Fidesz, plus large encore que celle de 2010.
Avec 99,2% des bulletins de vote examinés sur la liste nationale (le dépouillement des votes des Hongrois de l’étranger prend un certain temps) :
- Le Fidesz a obtenu 2 973 353 votes, soit 54,7%, convertis en 136 sièges au parlement sur 199 ;
- L’opposition doit se contenter de 1 839 818, soit 33,8%, convertis en 55 sièges ;
- Les miettes reviennent au parti d’extrême-droite Notre Patrie (Mi Hazánk), qui a créé la surprise en récoltant 323 181 votes, 5,9% et donc 7 députés.
La coalition d’opposition n’a été en mesure de remporter que 18 des 106 circonscriptions. Battue à plate couture dans les petites villes et villages, elle ne compte que trois places fortes : Budapest, Szeged et Pécs.
Cette jeune alliance, qui rassemble des partis et des personnalités aux vues très divergentes, peut-elle survivre à une telle humiliation ? Au-delà de leur union, c’est la définition même du rôle de l’opposition qui est en suspens, alors que le Fidesz va à nouveau gouverner seul pour les quatre prochaines années.
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Règlements de compte
Dès le soir de la débâcle, les tensions latentes entre les six partis sont apparues au grand jour. Leur candidat commun Péter Márki-Zay était bien esseulé au rassemblement de l’opposition à la patinoire de Városliget. « Comme vous tous, je suis dévasté », concédait-il dans une ambiance glaciale et face à une foule éparse. Sur scène, il a finalement prononcé son discours accompagné uniquement de sa propre famille. Des principaux leaders de l’opposition, seuls Gergely Karácsony, le maire de Budapest et leader du parti Párbeszéd, ainsi qu’Anna Donáth, présidente du parti libéral de Momentum, ont fait une apparition sur scène.
Sans qu’il s’agisse d’une énorme surprise, Klára Dobrev de la Coalition démocratique (DK) ou Péter Jakab, du Jobbik, étaient donc les absents de marque. En amont des élections, il se murmurait déjà que les deux dirigeants des deux plus gros partis de l’opposition étaient très réticents à l’idée de soutenir Péter Márki-Zay. Au lendemain de la défaite, ces doutes se sont confirmés, les deux formations rejetant une grosse part de responsabilité sur le candidat désigné lors des primaires à l’automne dernier.
Ferenc Gyurcsány, époux de Klára Dobrev, ancien premier ministre socialiste et président de DK, n’a pas épargné MZP au lendemain des élections. « On ne devient pas capitaine juste parce qu’on a été élu », a-t-il déclaré. Moins d’une semaine plus tard, le porte-parole de DK déclarait que Péter Márki-Zay est l’unique responsable de la défaite, lui faisant même porter la responsabilité de la majorité des deux tiers acquise par le Fidesz.
Péter Jakab, le président et candidat du Jobbik, a également réglé ses comptes avec le maire de Hódmezővásárhely. « En octobre, Márki-Zay a déclaré qu’il remplacerait l’opposition, mais, loin de la remplacer, il l’a renversée », ajoutant que MZP a été choisi à l’automne au moment où l’opposition était créditée « d’un énorme avantage, transformé en un énorme retard ».
Le Jobbik en bout de course
Si Gyurcsány peut s’exprimer tant que président du plus gros parti d’opposition, avec 16 députés sur les 55 qu’envoie l’opposition au parlement, la situation est bien différente du côté du Jobbik. De loin le premier parti d’opposition lors des précédentes élections de 2018, avec 26 représentants, le parti de Péter Jakab ne sera désormais représenté que par 9 députés, une contre-performance que ses détracteurs ne manquent pas de lui reprocher.
L’ancien professeur d’histoire se défend en soulignant qu’il est normal que le Jobbik ait reçu moins de votes qu’en 2018, puisqu’il s’est entre-temps débarrassé de sa composante extrémiste pour devenir un « parti populaire ». C’est bien là que le bât blesse : quel électorat un Jobbik de centre droit peut-il viser, en étant membre d’une coalition majoritairement de gauche, alors que le Fidesz monopolise déjà l’électorat de droite ? Avant le scrutin, le politologue Róbert László du think tank Political Capital déclarait déjà « ne pas réussir à identifier qui est l’électeur type du Jobbik ».
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« Il semble que c’était une illusion de croire que la majorité de l’électorat Jobbik de 2018 serait prêt à soutenir la coalition d’opposition. La majorité d’entre eux ont certainement dû voter soit pour le Fidesz, soit pour Notre Patrie », note le rapport post élections de Political Capital, qui souligne bien que « dans la plupart des circonscriptions, ce sont exactement les électeurs Jobbik qui manquaient à l’appel du camp de l’opposition ».
Retour à gauche
L’avenir de cet ancien parti d’extrême-droite est d’autant plus compromis que la coalition d’opposition sera certainement amenée à renforcer et assumer son identité politique de gauche. Le parti écologiste Dialogue (Párbeszéd) obtient 7 sièges à l’assemblée, le parti socialiste MSZP et le parti de gauche LMP se partageant les 14 sièges restants. L’orientation de plus en plus sociale-démocrate du jeune parti Momentum – par ailleurs une force montante de l’opposition avec 9 députés – illustre d’autant plus le retour naturel vers la gauche de l’opposition.
Ferenc Gyurcsány ne s’y trompait pas au lendemain des élections : « l’alternative au Fidesz, c’est la gauche ». L’ancien premier ministre de s’en prendre implicitement à la stratégie de Márki-Zay, chrétien-conservateur qui espérait pouvoir rallier une partie de l’électorat du Fidesz : « une opposition […] fondamentalement de gauche, ne peut pas l’emporter avec un programme qui, à bien des égards, prend la droite au pouvoir comme un exemple et un modèle ».
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Le leader de l’opposition, sans-parti, a d’ailleurs renoncé à son siège de député qui lui revenait via la liste nationale. Sèchement battu dans sa propre circonscription, où il se présentait face à l’ancien dauphin d’Orbán János Lázár, Márki-Zay semble avoir déjà fait une croix sur sa carrière politique nationale et a annoncé vouloir se concentrer sur sa mairie de Hódmezővásárhely.
Pour autant, MZP refuse d’endosser toute la responsabilité de la défaite : « nous avons échoué à cause de nos erreurs, pas à cause de mes phrases mal interprétées […] ou de mes monologues trop intellectuels. C’est terrible de l’admettre, mais le Fidesz ne peut être vaincu dans les circonstances actuelles. Sur son propre terrain, où ses propres règles s’appliquent, Orbán est impossible à battre », déclare-t-il dans une interview pour 24.hu.
L’heure de la remise en question
« Ça n’est pas un changement de gouvernement, mais un changement d’opposition », déclarait la sociologue Andrea Szabó au soir des élections sur le plateau de Partizán, pour qui « la société hongroise a exprimé une critique très grave à l’encontre des partis d’opposition ». Pour autant, il n’est pas certain que les partis d’opposition révisent en profondeur leur mode de fonctionnement, et encore moins que cette défaite provoque un renouvellement de cette classe politique.
Mis à part le maire de Budapest Gergely Karácsony, qui a annoncé quitter la présidence du parti écologiste Dialogue, aucun des leaders de l’opposition n’a quitté ses fonctions ou déclaré vouloir se retirer de la vie politique. De la même manière, aucun des élus de l’opposition n’a appelé à boycotter le parlement, une option pourtant soulevée par de nombreux politiciens, pour qui une opposition impuissante ne servira qu’à légitimer le régime de Viktor Orbán.
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Le député Ákos Hadházy, connu pour son combat anticorruption, rallié à Momentum au parlement, avait déjà quasiment déserté les bancs du parlement lors de son précédent mandat. Cette fois-ci, il appelle à siéger au parlement « uniquement si l’opposition obtient des garanties qu’elle pourra exercer un minimum de contrôle », notamment quand il s’agit de mettre sur pied des « commissions d’enquête parlementaires sur proposition de l’opposition ». Sans ces garanties, le député appelle à ne prendre part à aucune commission parlementaire, et à ne pas être une « opposition décorative ».
Pour Bence Tordai, président du parti Dialogue, les élus de l’opposition doivent accepter leur mandat de parlementaire. « Si l’opposition ne va pas au parlement, cela ferait la une des journaux pendant une journée, mais ensuite, le seul résultat sera une moindre visibilité dans l’espace public, et encore moins de ressources pour se battre contre le Fidesz », explique-t-il auprès de Telex.
Le parti socialiste a souligné le rôle d’observateur que joue l’opposition au parlement, pour garder un œil sur « le système corrompu, inhumain et haineux du Fidesz », ajoutant que « nous rendrions le plus grand service au Fidesz si nous quittions le Parlement, puisqu’après coup, tout se discuterait en quelques minutes sans la moindre opposition ».
A voir la teneur des « débats » actuels, la présence des députés de l’opposition à l’assemblée ne change concrètement rien à la simplicité avec laquelle le Fidesz fait passer les lois. Pour le juriste et historien Péter Techet, les députés de l’opposition doivent même s’attendre « à une rhétorique encore plus radicalisée envers eux, qui les exclut totalement de la nation hongroise ». Selon lui ces élections, où « l’opposition disposaient des conditions idéales pour l’emporter, signent la fin de tous les projets de battre Orbán par une voix démocratique ».