Ziobro, le vengeur masqué de la droite dure polonaise

En Pologne, le très ambitieux Zbigniew Ziobro s’affiche désormais comme bien plus qu’un simple ministre de la Justice. Portrait en creux de ce politicien à la droite de la droite et qui se verrait bien remplacer Jarosław Kaczyński à la tête du PiS…le moment venu.

« Moi, je ne sais plus qui est M. Ziobro. Est-il le ministre des Affaires étrangères ? Un sur-premier ministre qui donne des ordres à Morawiecki ? ». Ainsi s’interrogeait le député de Razem Adrian Zandberg, le 24 novembre sur la chaîne privée TV24. « Un groupe de députés radicaux de droite contrôle aujourd’hui le gouvernement », en conclut le député, membre de la coalition de gauche à la diète. Il faut dire que le rejet par la Pologne (et la Hongrie) du budget de l’Union européenne et du plan de relance, parce que conditionnés à l’État de droit, ont donné du grain à moudre au ministre de la Justice. « Il ne s’agit pas d’État de droit mais (…) d’une limitation radicale de la souveraineté », s’est-il en effet indigné dans une conférence de presse ministérielle la veille d’une rencontre des premier ministres polonais et hongrois.

« Dans les négociations, il ne faut pas être mou », a enchaîné Zbigniew Ziobro, une pique à peine voilée à l’adresse de son rival, le premier ministre Mateusz Morawiecki. Car sur la question du « veto » polonais, comme dans de nombreux domaines, Zbigniew Ziobro, semble de plus en plus vouloir donner le ton et imposer la cadence à son supérieur. Il n’a pas hésité d’ailleurs à rappeler dans les médias qu’à la différence du premier ministre il avait lui suggéré un « veto » dès le mois de juillet.

Une guerre de succession pour remplacer Jarosław Kaczyński

« Ziobro est l’un des hommes politiques les plus ambitieux du moment en Pologne. Je pense qu’il veut prendre le leadership de la droite. Il aimerait remplacer Jarosław Kaczyński, peut-être plus que de devenir premier ministre, même si cela vient avec », décrypte Wojciech Przybylski, qui est rédacteur-en-chef de la revue anglophone « Visegrad Insight » et président de la fondation Res Publica à Varsovie. Car à soixante-onze ans, Jarosław Kaczyński commence à se faire âgé et, en coulisses, la guerre de succession gronde entre Zbigniew Ziobro et Mateusz Morawiecki.

Les ambitions de chacun et les antagonismes de la coalition gouvernementale ont éclaté au grand jour avec un projet de loi portant sur le bien-être animal initié par Jarosław Kaczyński puis torpillée par Ziobro et ses députés. « Morawiecki et Ziobro sont dans des attaques constantes. Cela ne vient pas seulement de Ziobro, mais aussi de Morawiecki, qui est dans une guerre froide ou chaude, c’est selon », précise Wojciech Przybylski. De quoi expliquer que Ziobro soit constamment dans une forme de surenchère vis-à-vis du premier ministre. Toujours est-il que Morawiecki, le gestionnaire indispensable à Jarosław Kaczyński, a clairement les faveurs du chef du PiS : « Kaczyński n’apprécie pas beaucoup Ziobro, qu’il voit comme une menace à sa propre personne et une entrave à son plan qui fait de Morawiecki son successeur », explique Wojciech Przybylski.

« Kaczyński n’apprécie pas beaucoup Ziobro, qu’il voit comme une menace à sa propre personne et une entrave à son plan qui fait de Morawiecki son successeur ».

Une relation d’interdépendance avec Kaczyński

Pourtant, Ziobro est l’un des cofondateurs de Droit et Justice (le PiS), en 2001. Proche de Lech Kaczyński au tout début des années 2000, il est alors promu chef de campagne de feu le frère jumeau de Jarosław à la présidentielle victorieuse de 2005. Député du PiS, entre 2001 et 2009, il est une première fois ministre de la Justice (et procureur général) entre 2005 et 2007. C’est en cette qualité, au sein du gouvernement de Jarosław Kaczyński, qu’il se fait remarquer comme le grand pourfendeur de la corruption. Deux jours après l’arrestation du cardiologue Mirosław Garlicki, pour une affaire de corruption doublée d’un homicide involontaire qui a passionnée la Pologne, il s’insurge lors d’une conférence de presse : « plus aucune vie ne sera désormais ôtée par cet homme ». Après moult procès, le docteur sera finalement condamné pour avoir accepté des pots de vin de ses patients, mais l’accusation de meurtre sera « cassée » par la Cour suprême.

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Ses années d’eurodéputé à Strasbourg de 2009 à 2014 ressemblent à une petite traversée du désert et il se fait expulsé du PiS avec deux collègues, en 2011, pour désaccord sur l’avenir du parti. Et réalité, comme Jarosław Kaczyński s’en ouvrira au journal très droitier « Gazeta Polska » : Zbigniew Ziobro se serait rendu coupable de crime de lèse-majesté, il aurait « tenté de prendre le pouvoir au sein du parti » juste après la catastrophe de Smolensk dans laquelle a péri Lech Kaczyński. Zbigniew Ziobro formera donc son propre parti l’année suivante : « la Pologne solidaire de Zbigniew Ziobro », finalement abréviée plus sobrement en « Pologne solidaire » (« Solidarna Polska »). C’est de ce même parti, aujourd’hui, fort de 19 députés au parlement, que dépend la simple majorité parlementaire de la coalition gouvernementale. « Avec ses députés, Ziobro est un élément presque irremplaçable pour Jarosław Kaczyński, même si ce dernier a déjà essayé de le remplacer. Ziobro exploite parfaitement cet état de fait », analyse Wojciech Przybylski qui note que la relation de dépendance joue dans les deux sens : « Ziobro (et ceux qu’il a placés) joue également sa survie, il ne peut pas se permettre d’être en dehors de ce gouvernement ». 

À l’origine des lois les plus controversées

Au conflit avec le chef du gouvernement Morawiecki s’ajoute la conviction depuis quelques mois que son parti ne fera pas bulletin commun avec PiS lors du prochain scrutin législatif, dans trois ans. Toute occasion est bonne pour Ziobro de se faire connaître auprès du grand public, alors que son parti est encore inconnu ou presque. De quoi pousser le simple ministre de la Justice à s’exprimer et prendre position sur les grands sujets du moment en Pologne. Les manifestations contre la décision du Tribunal constitutionnel restreignant l’avortement ? « Une escalade sans précédent de crimes envers les personnes croyantes, avec intimidation, destruction et dévalorisation de lieu de culte », estime-t-il le 26 octobre sur Twitter, lui qui est aussi rappelons-le, procureur général, comme en 2005.

« Sa carrière a commencé avec un fort sentiment de victimisation, assez commun au sein de la droite polonaise ».

De quoi expliquer aussi que l’homme soit souvent à l’origine de projets controversés, comme l’annonce cet été d’un possible retrait de la Pologne de la Convention d’Istanbul. Cet instrument de lutte contre la violence domestique avait été qualifié par le passé de « création féministe pour justifier l’idéologie gay ». Cet été toujours, il suggérait encore de s’attaquer aux ONG polonaises financées par des fonds étrangers au nom de la transparence, sur le modèle de la Lex NGO magyare, pourtant retoquée par la Cour de Justice européenne au mois de juin. Et puis, c’est encore lui, Ziobro, qui a proposé une aide financière aux municipalités qui s’étaient déclarées « zones sans LGBT » et ont été privées en retour de certains fonds européens.

Une justice mise au pas

Mais c’est dans son domaine de prédilection, la justice, que Zbigniew Ziobro s’est le plus illustré ces cinq dernières années. Pas seulement parce que ses études de droit ont été sanctionnées par un diplôme de procureur, mais aussi pour une raison plus personnelle. « Sa carrière a commencé avec un fort sentiment de victimisation, assez commun au sein de la droite polonaise. Dans son cas, elle provient de sa carrière de juriste « ratée » et la mort de son père », perçoit Wojciech Przybylski. « Ziobro lutte contre ce qu’il perçoit être des injustices, plus personnelles que systémiques. Dans la corruption systémique chez les médecins, il retient surtout qu’ils n’ont pas réussi – prétend-il – à sauver son père. Il est également motivé par une certaine haine vis-à-vis du monde snob des juristes ». D’où la mise au pas de la justice en Pologne, l’inféodation du Tribunal constitutionnel, d’une partie de la cour suprême ou d’une partie des tribunaux.

« Les « réformes » de la justice de Ziobro ne sont pas des réformes, c’est une tentative de prendre le contrôle de l’autorité. Le PiS est persuadé que le pouvoir judiciaire n’est pas au bon endroit car il estime qu’il est un obstacle à la gouvernance du pays et à la réalisation de ses promesses électorales », conclut Wojciech Przybylski. Quatre juges ont fait l’objet d’une procédure auprès de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, fondée en 2017. Jugée illégitime par la CJUE et non reconnue comme un tribunal par la Cour suprême elle-même, elle a tout de même conduit à la suspension de ses fonctions du juge Tuleya, en instance d’un procès pénal…

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.

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