Visite dans la Biélorussie de Loukachenko, un pays qui veut devenir un aimant à touristes

Le président autocrate Alexandre Loukachenko multiplie les signes d’ouverture pour attirer les touristes dans sa Biélorussie, à l’étroit entre l’Union européenne et la Russie de Poutine. Reportage au Bélarus, un pays qui a encore un peu de chemin à parcourir avant de devenir une destination internationale prisée.

Par Hélène Bienvenu et Patrice Senécal, envoyés spéciaux à Minsk, au Bélarus.

Oliya ne croule pas sous le travail en cette journée de juin. Cette jeune étudiante biélorusse (son prénom été modifié à sa demande) s’abrite du soleil de midi sous un petit chapiteau, où s’entasse une dizaine de ses collègues. Tous arborent l’uniforme aux couleurs bleu-blanc-vert de l’événement sportif d’envergure qui se tient dans la capitale : les Jeux Européens de Minsk (des jeux olympiques miniatures organisés tous les quatre ans par les comités olympiques européens).

Sur la surface asphaltée transformée en fan zone au cœur de la ville, une poignée de curieux déambule près de la scène, jouxtant boutiques de luxe, kiosques à sandwiches et attractions pour enfants — c’est là qu’aura lieu, quelques heures plus tard, la remise des médailles. À Minsk ce mois-ci, impossible de manquer ces « Jeux », la grande fierté du pays, rassemblant près de 4 000 athlètes d’une cinquantaine de pays, entre le 21 et le 30 juin dernier.

À chaque coin de rue, des jeunes étudiants bénévoles sont dépêchés pour distribuer des high-five à tour de bras. Dans les autobus, derrière les vitrines, Lesyk, le fameux renard, mascotte des cérémonies, s’affiche partout, y compris dans le grand magasin à la soviétique – Gum. Bref, Minsk est sur son 31 et l’on sent bien que les temps sont un peu extraordinaires : il est même permis de photographier le bureau du KGB, ce qui est strictement interdit d’habitude. Et puis, les visas ont été levés pour un mois, quel que soit le point d’entrée dans le pays. Coût total des Jeux : un peu plus de 100 millions d’euros. Cela représente près de quatre fois du coût initialement prévu, ce qui suscite l’indignation de certains, alors que l’économie peine à s’affranchir des aides financières de Moscou.

« Je crois que la politique de notre président n’aide pas vraiment », glisse Oliya, voyant dans le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 25 ans, un repoussoir à touristes.

Et pourtant, il n’y a pas foule. Certes, il y a un peu plus de touristes qu’à l’accoutumée. Pour autant, Oliya ne voit pas tellement la différence. « Jeux européens ou pas, il y a seulement plus d’activités et de vie dans la ville ». Ses acolytes tendent l’oreille. Ils n’ont visiblement pas de quoi s’occuper, outre distribuer des brochures touristiques, traduites dans une dizaine de langues, qui vous « apprend[ront] la vérité sur les lacs bleus entourés de mythes » de Biélorussie.

« Je crois que la politique de notre président n’aide pas vraiment », glisse Oliya, voyant dans le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 25 ans, un repoussoir à touristes. « C’est dommage, car ce n’est pas facile pour moi de voyager à cause de toute cette géopolitique. »

De fait, les chiffres de la fréquentation de l’événement sportif n’ont rien de renversant. Environ 37 500 visiteurs, dont 7 000 personnes accrédités, auraient foulé le sol biélorusse durant la période des compétitions. Bien en deçà des prévisions, lorsqu’en février dernier, le responsable en chef des Jeux, George Katulin, prévoyait d’accueillir « entre 70 000 et 100 000 » touristes.

Cérémonie de clôture des jeux européens, à Minsk. @Hélène Bienvenu
La brochette des dignitaires olympiques et des dirigeants de la Communauté des États indépendants (CEI), dont Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko, lors de la cérémonie de clôture des Jeux. @Hélène Bienvenu
Opération séduction

En finir avec les casinos (encore largement présents à Minsk), devenir le nouvel eldorado des aventuriers avides d’architecture stalinienne, de tourisme industriel (usines de tracteurs MTZ ou BelAz – engins miniers), attirer les amoureux de la ruralité tentés par un séjour au vert chez une babouchka : voilà qui pourrait bien être le nouvel axe de développement du régime biélorusse.

Après des années d’isolement sur la scène internationale, le pays a – en partie – exempté les touristes de visas en 2017. Une décision élargie l’an dernier aux ressortissants de plus de 70 pays souhaitant visiter le Bélarus, à condition de passer par l’aéroport de Minsk et d’y séjourner moins de 30 jours. Dans les régions de Brest et Grodno, le long des frontières polonaise et lituanienne, le visa n’est pas non plus requis pour entrer par la terre ferme si le touriste réserve un certain nombre de services via une agence, pour quelques euros.

« On pense souvent que nous sommes un pays sous-développé en Europe. Les gens sont surpris de découvrir que le Bélarus est un endroit où l’on n’a pas à se soucier de sa sécurité. »

Cette nouvelle vocation du président Loukachenko, adepte de hockey sur glace et connu pour son tempérament à l’emporte-pièce, réjouit particulièrement Valery Parashchanka. « Le tourisme devient de plus en plus notre priorité et des événements comme les Jeux européens, ne peuvent que nous aider à nous faire connaître », s’emballe celui qui est à la barre de l’Agence nationale de tourisme biélorusse, une compagnie d’État instaurée par le Ministère du sport et du tourisme ayant pour mission de stimuler l’industrie touristique.

Derrière son bureau en bois décoré de menus accessoires aux couleurs (vert et rouge) du pays, ce n’est pas l’ambition qui manque à Monsieur le directeur. « Notre objectif serait d’avoir quelques millions de touristes annuellement. Le nombre de visiteurs est en hausse de 60 % par rapport à l’an dernier », se réjouit-il, entre deux bouchées de chocolats, précisant que depuis 2017, l’aéroport de Minsk a accueilli 250 000 visiteurs sans visa.

C’est que le tourisme, pour lui, contribue à faire tomber les aprioris (en plus de constituer 2% du PIB). « On pense souvent que nous sommes un pays sous-développé en Europe. Les gens sont surpris de découvrir que le Bélarus est un endroit où l’on n’a pas à se soucier de sa sécurité. » (Dans ce pays où le KGB impose toujours l’ordre, bien difficile, en effet, de déroger à la loi, NDLR.)

Visites de ferme d’État, balades dans la forêt vierge de Bialowieza, à cheval sur la Biélorussie et la Pologne, sanatoriums prisés par les vacanciers russes, chasse au gibier, découvertes de châteaux médiévaux… Valery Parashchankase énumère ce qui semble une liste interminable d’attractions. « Nous voulons montrer que le Bélarus est un pays qui en vaut la peine, avec de l’air pur et beaucoup de végétation. Ici tout le monde peut se sentir comme à la maison ! »

Si la volonté d’accueillir est bien là, force est de constater qu’il y a encore à faire en matière de signalisation et d’infrastructures touristiques, dans ce pays de moins de dix millions d’habitants, privé d’accès à la mer et sans montagnes. Deux ans après le décret présidentiel ayant autorisé les entrées sans visa, aucune stratégie concrète n’a encore été élaborée. « Notre plan est encore en pleine croissance », se contente de répondre le directeur. « Nous prévoyons d’unifier les deux régions où l’on peut circuler sans visa entre Grodno et Brest d’ici la fin de l’année, l’industrie hôtelière y est en plein essor. Mais ce serait bien d’étendre cela à l’ensemble du pays, je suis pour un monde sans frontière ! Les petits commerces peuvent également profiter de cette croissance », assure-t-il.

Un champ de bataille touristique ?

À la croisée des grands empires européens, le Bélarus a été un véritable champ de batailles durant des siècles. « Tout a été construit et détruit à plusieurs reprises dans notre histoire » reconnaît-il. De fait, le pays ne compte que quatre sites inscrits à l’UNESCO. Sa capitale Minsk, a été presque entièrement ravagée pendant la Seconde Guerre mondiale, et à l’exception d’un centre piéton historique, elle a été avant tout reconstruite dans le style soviétique.

Grodno, elle à deux pas de la Lituanie et de la Pologne, fait figure de joyau touristique. La ville historique aux églises baroques et autres monuments pluriséculaires, a en effet de quoi satisfaire les assoiffés de patrimoine, à l’instar de Piotr Maeser, étudiant polonais de 27 ans. « Il y a tout de même des choses à voir au Bélarus », commente-il devant la maison musée d’Eliza Orzeszkowa, romancière polonaise nominée au Prix Nobel de littérature en 1905 (décédée à Grodno). « Loukachenko a sans doute réalisé qu’on pouvait faire rentrer de l’argent grâce au tourisme. La facilitation des visas est une bonne chose mais leur abolition aiderait encore plus à populariser la destination, si c’était le cas, je reviendrais ! ». En 2018, Grodno avait accueilli 65 000 touristes sans visa, soit 60 % de plus que l’année précédente.

Depuis la levée des sanctions occidentales en 2016, la « dernière dictature d’Europe » tente de redorer son blason. Mais la politique du pays, où opposition et société civile sont toujours muselées, n’a rien à voir avec le choix de destination, assure Valéry Parashchanka. « Les touristes choisissent leur pays en fonction de leur envie d’être au calme et de passer du bon temps ».

Église orthodoxe de l’intercession divisine à Grodno. @Hélène Bienvenu
Danses folkloriques biélorusses. @Hélène Bienvenu
Tchernobyl et Marc Chagall…

Anna Lashmanova, 24 ans, partage cet optimisme. « Les jeunes apprennent maintenant l’anglais à l’école », s’enthousiasme la responsable des communications de Prime Tour, une agence touristique basée à Minsk, dans des bureaux flambant neufs. « Les visiteurs sont intéressés par cette destination méconnue. Ce n’est pas qu’un effet de mode ! ». Même si, avec la levée des visas, les étrangers ont tendance à se débrouiller par eux-mêmes, plutôt qu’à avoir recours aux services de son agence.

Au cours des dernières semaines, la jeune femme en charge des médias sociaux de l’agence, a même été confrontée à un afflux de demandes insolites : visiter les régions affectées par l’explosion de la centrale de Tchernobyl. C’est la diffusion cette année de la mini-série par la chaîne HBO portant sur la pire catastrophe nucléaire du XXe siècle, qui est à l’origine du phénomène. 23 % du territoire biélorusse, limitrophe de l’Ukraine où le drame s’est produit en 1986, est toujours contaminée par la radioactivité. « Nous envisageons de mettre en place une excursion organisée avec nos partenaires ukrainiens » précise Anna Lashmanova.

Pour les férus d’histoire, il est également possible de « suivre les pas de Napoléon » jusque dans les confins de l’Europe centrale, poursuit-elle. « Beaucoup de Français nous écrivent pour venir sur les lieux de la bataille de Bérézina [où s’affrontèrent en novembre 1812 la Grande armée aux troupes russes, à deux pas près d’une rivière du même nom, à une centaine de kilomètres de Minsk, ndlr] ». En individuel, encore faut-il savoir où aller car sur place, aucun panneau n’indique le lieu en question aux non russophones… Vitebsk, au nord du pays, où est né Marc Chagall, pourrait aussi attirer les adeptes de ses toiles surréalistes. Sa maison d’enfance de briques rouges, aménagée en un modeste musée, mériterait bien – aux dires de l’experte – un petit rafraîchissement.

Obligation de s’enregistrer à la police

Des contraintes bureaucratiques peuvent néanmoins encore freiner les envies de visite en Biélorussie. En touriste, par exemple, il est toujours impératif de déclarer son lieu de résidence à la police ainsi que la durée de séjour dans les cinq premiers jours. Certes, depuis janvier dernier, la démarche peut se faire sur le portail Internet du gouvernement. Mais gare aux récalcitrants : ils risquent d’être expulsés et contraints de payer une amende s’élevant à plus de 550 €. De quoi rendre les escapades en plein-air un peu compliquées, surtout pour les adeptes de camping, déplore Anna Lashmanova. « Si vous venez avec votre tente-caravane, il peut y avoir des soucis. On a recours à des résidences fictives dans ce cas-là. »

Si elle se réjouit de l’importance récente qu’accorde le gouvernement au secteur touristique, la jeune femme souligne que la tactique mériterait d’être révisée. « On investit beaucoup dans les hôtels, surtout à Minsk et les événements sportifs. Mais il faudrait promouvoir notre patrimoine, en injectant de l’argent dans la reconstruction d’anciens châteaux et de demeures impériales qui pourraient attirer des touristes »

Il en faudra encore beaucoup, toutefois, pour persuader Anthony Hudson, 28 ans, touriste britannique rencontré dans un café de Minsk. N’eut été le mariage de son ami auquel il se devait d’assister en ville, il n’aurait sans doute pas mis les pieds ici. « J’étais venu il y a quatre ans et je vois le changement dans la capitale : il y a de plus en plus de cafés et restaurants. Mais ce pays n’a pas d’emblème, rien qui ne le démarque vraiment. La France a la tour Eiffel. Ici, ce sont les rues propres et les policiers à chaque coin de rue. D’ailleurs c’est un peu perturbant, on a toujours peur de faire un pas de travers… »

Patrice Senécal

Journaliste indépendant, basé actuellement à Varsovie. Travaille avec Le Soir, Libération et Le Devoir.

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