La chaîne HBO Europe diffuse à partir du 11 mars le documentaire « L’histoire de mes mères » réalisé par les hongroises Asia Dér et Sara Haragonics. Un film qui raconte au quotidien, la vie, parfois compliquée, d’un couple homosexuel féminin après l’adoption d’un enfant, et qui se télescope avec la nouvelle loi très conservatrice et anti LGBTQ+ sur l’adoption votée en décembre 2020 par les fidèles du premier ministre Viktor Orbán.
Elles reviennent de loin. Après cinq ans de travail dont trois à trouver un financement pour leur documentaire racontant le difficile marathon d’un couple de lesbiennes qui cherchent à adopter un enfant, les deux réalisatrices hongroises Asia Dér et Sara Haragonics auteures de « Anyaim Torténete » (« L’histoire de mes mères ») n’imaginaient pas que sa diffusion sur HBO Europe et HBO go, à partir du 11 mars, se télescoperait avec la nouvelle loi anti-LGBT du gouvernement Orbán votée en décembre 2020. Une loi rétrograde, basée sur « les valeurs chrétiennes » de la famille, précisant que, désormais, l’adoption d’un(e) enfant ne pourrait plus se faire par les célibataires et qu’un couple pourrait être formé « si la mère est une femme et le père est un homme ».
Cette disposition contraire à toutes directives européennes a vivement été critiquée par l’opposition et les associations « arc-en-ciel » en Hongrie. Ces dernières ont trouvé un relais spectaculaire et inattendu dans leur combat avec le soutien du footballeur hongrois Péter Gulácsi (36 sélections comme gardien de but dans l’équipe nationale) évoluant actuellement au RB Leipzig en Allemagne. Le 23 février sur son compte Instagram, Gulácsi a posté une photo avec sa femme tendant la main où l’on peut voir le symbole du mouvement « Une famille est une famille ». En légende, il expliquait que « tout le monde a droit à l’égalité. Chaque enfant a le droit de grandir dans une famille heureuse, quels que soient le sexe, la couleur ou la religion de celle-ci ».

C’est justement l’histoire de cette « nouvelle famille » que nous raconte « L’histoire de mes mères ». Elles s’appellent Virág et Nóra. La première est une ancienne députée écologiste qui a quitté la vie politique, et la seconde une musicienne très joyeuse qui joue de la basse avec un groupe de copains. Elles se sont rencontrées en 2011 sur le parvis du Parlement à Budapest lors d’une manifestation contre le gouvernement Orbán, à peine de retour au pouvoir. Virág et Nóra se mettent en couple et, rapidement, décident d’adopter un enfant pour fonder une famille. Un parcours semé d’obstacles.
La caméra des deux réalisatrices suit Virág et Nóra dans leurs difficiles démarches administratives, les incompréhensions des autorités, les doutes de nombreux interlocuteurs. « Pourquoi voulez-vous adopter un enfant ? » est une question récurrente et culpabilisante. Il leur faudra attendre deux ans pour accueillir la petite Melissza, vite rebaptisée Meli, enfant Rom âgée de deux ans et demi, victime de retards dans sa croissance moteur et mentale.
La caméra des deux réalisatrices suit Virág et Nóra dans leurs difficiles démarches administratives, les incompréhensions des autorités, les doutes de nombreux interlocuteurs.
Tourné sur le vif sans entretiens des deux femmes face à la caméra, le film s’articule autour de cette famille arc-en-ciel qui se construit sous nos yeux. L’accueil de la petite Meli dans la maison familiale où règne un joyeux désordre qui est à l’image de la nouvelle situation des deux femmes, son apprentissage de la vie autour de ses parents « Dada» et « Anya » (noms choisis par Méli), ses joies et ses colères.
Mais, l’arrivée d’un enfant bousculent les habitudes d’un couple, homosexuel ou pas. On assiste ainsi aux interrogations des deux femmes sur leur maternité, leurs rôles respectifs, leur philosophie d’éducation jusqu’au moment où Nóra craque en expliquant « qu’avoir deux mères ne fonctionne pas ». La caméra se fait discrète. Tout est filmé avec tact et sensibilité.
L’histoire de Virág et Nóra n’est pas hors du temps. Elle s’écrit autour du difficile contexte politique en Hongrie qui a des conséquences sur la sphère privée. Ainsi, voit-on Viktor Orbán et László Kövér, le président du parlement hongrois, faire des déclarations homophobes et intolérantes à l’encontre de la communauté LGBTQ+. Des invectives et des remises en cause qui poussent finalement la petite famille à s’installer en Autriche où les deux femmes se marient. « Nous sommes des cinéastes, nous pouvons nous battre pour cette cause avec nos propres moyens, mais le film n’a pas été réalisé pour faire un amendement à la loi. Le fait que nous ayons une opinion se voit clairement à travers le film », ont précisé les deux réalisatrices dans un entretien à l’hebdomadaire HVG.
Les médias contrôlés par le gouvernement Orbán sont restés très discrets pour annoncer la diffusion de « L’histoire de mes mères », produit par la société hongroise Campfilm en coproduction avec HBO et le soutien de Sundance Institute. Néanmoins, ce documentaire très délicat a été récompensé par « une mention spéciale » lors du Festival international du film documentaire (BIDF) qui s’est tenu du 1er au 10 mars à Budapest.