L’Université d’Europe centrale (CEU), fondée par George Soros en 1991, pourrait devoir plier bagages et quitter Budapest. La cause : un projet de loi présenté par le ministre des Ressources humaines, Zoltán Balog le mardi 28 mars et qui pourrait être approuvé dès ce lundi par les députés hongrois.

Cela fait plusieurs mois que le gouvernement chrétien-conservateur de Viktor Orbán a George Soros dans son collimateur. Non content d’avoir lancé une vaste campagne de dénigrement des ONG que ce dernier soutient financièrement, l’exécutif hongrois a lancé les hostilités contre l’Université d’Europe centrale (CEU) basée à Budapest. Une loi taillée sur mesure contre la CEU contraindrait les universités étrangères implantées en Hongrie à être homologuée « si et seulement si » celles-ci proposent les mêmes cursus dans leur pays d’origine. Pour le recteur de l’établissement américain Michael Ignatieff, il s’agirait là d’une disposition « discriminatoire », dans la mesure où la CEU n’a pas d’implantation hors de Hongrie.
L’oukase lancée contre la CEU a pris de court tout le monde, y compris des députés de la coalition au pouvoir (Fidesz-KDNP), dont certains ont manifesté leur désapprobation en privé à l’hebdomadaire HVG. Selon le même magasine, l’initiative gouvernementale aurait été préparée dans le plus grand secret depuis plusieurs semaines. De nombreuses personnalités politiques hongroises ont été formées au sein de l’institution, y compris dans les rangs de la droite à l’instar du porte-parole du gouvernement Zoltán Kovács. Un sous-secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères, Ákos Berzétei, est également à l’heure actuelle étudiant de cette Université et sa scolarité est financée par le gouvernement, a appris le site 24.hu.
Pourquoi le gouvernement de Viktor Orbán s’en prend-il à cette Université emblématique et pourquoi à ce moment-là ? Plusieurs théories et pistes d’explications sont avancées, tant parmi les étudiants de la CEU que dans la presse hongroise et internationale. La plupart convergent et se complètent.
La manœuvre populiste : un nouvel ennemi en vue des législatives 2018 ?
C’est la théorie la plus partagée, mais elle ne doit pas faire oublier les autres, qu’elle complète. Les élections législatives auront lieu dans une année et le pouvoir doit pouvoir mobiliser ses électeurs autour d’un adversaire. Depuis 2010, le Fidesz a alterné plusieurs boucs-émissaires : le Fonds Monétaire International, l’Union européenne, les sans-abris, les migrants et réfugiés, des Organisations non-gouvernementales, puis George Soros en personne. Cela fait plusieurs mois que l’opinion publique est travaillée au corps : alors qu’il y a quelques années le nom de Soros n’évoquait rien ou presque pour le citoyen lambda, celui-ci est devenu aujourd’hui la figure du mal et plus une semaine ne passe sans que des médias pro-gouvernementaux ne le dépeigne comme celui qui veut détruire la nation hongroise.
Le Fidesz est un parti ultra-pyramidal avec une faible capacité à la gouvernance sereine. Un adversaire de chair et d’os lui permet donc de faire campagne sans être perturbé par les nombreux scandales de corruption touchant le pouvoir et de passer à la trappe ses échecs, en matière d’éducation et de santé notamment. Selon les partisans de cette théorie, M. Orbán n’a pas l’intention d’aller jusqu’à la fermeture de l’Université. Ainsi une ancienne députée de gauche qui estime que : « ils ne veulent pas fermer l’Université. Ils veulent juste que tout le monde parle de ça au lieu de parler des vrais problèmes ». C’est aussi l’avis d’Erdost, un étudiant turc de la CEU – rencontré (parmi d’autres) par Hulala la semaine passée – et qui reconnait un style de gouvernance avec lequel il a déjà eu à faire dans la Turquie d’Erdoğan : « Orbán teste les limites, pour savoir jusqu’où il peut aller ».
Le conflit personnel entre deux hommes : Viktor versus George
Lors d’une rencontre secrète entre Viktor Orbán et George Soros, le premier aurait assuré au second qu’il ne toucherait pas à l’Université d’Europe centrale. Mais le bras de fer par voie de presse interposée s’est intensifié depuis. Notons toutefois que M. Soros et l’Open Society Foundations ont manifestement choisi de faire le dos rond et de ne pas répondre aux attaques incessantes venant du gouvernement hongrois. Toutefois, des ONG telles que le Comité Helsinki hongrois, « les laquais de Soros », comme les a qualifié un député du Fidesz, très actif sur le plan du droit d’asile, a imposé plusieurs camouflets juridiques au gouvernement, provoquant peut-être son désir de vengeance.
Le conflit idéologique : la CEU, un îlot progressiste dans un océan de conservatisme
A l’origine, il s’agissait de faire émerger les élites de demain acquises aux idées de la démocratie libérale et au concept cher à Soros de « société ouverte ». Ce type de société libérale et progressiste promu par l’OSF est l’exact opposé de l’Etat et la société illibérale que le Fidesz voudrait faire émerger en Hongrie. Aux gender studies enseignées à la CEU ou à l’Université Loránd Eötvös (ELTE), le gouvernement opposera dès la rentrée prochaine des sciences de la famille.
Et si la cible réelle était l’Open Society Foundations ?
Et si le sort de l’Université d’Europe centrale n’était pour le gouvernement hongrois qu’un moyen de pression, une monnaie d’échange : laisser la CEU opérer sans entrave en Hongrie en échange du départ de l’Open Society Foundations ?
Plaire à Donald Trump ?
Le gouvernement hongrois a fait savoir qu’il souhaitait négocier l’avenir de la CEU directement avec Washington. Souvenons-nous que le député du Fidesz Szilárd Németh avait considéré que « le contexte international depuis l’élection de Donald Trump » permettait de « nettoyer » de la Hongrie les ONG qu’il finance. Viktor Orbán pensait peut-être obtenir l’approbation du Département d’Etat américain en s’en prenant à un généreux donateur du parti démocrate et de la fondation Clinton. La diplomatie américaine s’est en fait dite « préoccupée » par la législation présentée par le gouvernement hongrois.